CosmosExploration spatiale

L’ISS tournerait-elle en rond ?

Seize fois par jour, soit plus de 100 000 fois depuis 1998, la Station spatiale internationale passe au-dessus de nos têtes, à environ 350 kilomètres de la surface de la Terre. A l’intérieur, six astronautes vivent, échangent, travaillent puis repartent sur Terre, tandis que d’autres leur succèdent. Le tout sans incident majeur. Des voix, pourtant, au sein du monde scientifique, s’interrogent : l’exploration spatiale ne mériterait-elle pas mieux ? Y-a-t-il quelque chose qui ne tournerait pas rond sur cette Station ?

ISS : Origins

En 1984, durant le traditionnel discours sur l’état de l’Union, le président américain Ronald Reagan annonce sa volonté de poursuivre l’exploration du cosmos entamée quelques décennies plus tôt. Le projet évoqué est ambitieux : construire une station spatiale orbitant de façon permanente autour de la Terre dans la décennie à venir.

Un temps appelé Freedom, cette station devient la Station spatiale internationale lorsque la Russie se joint au projet en 1993. Le chantier, entamé en novembre 1998, est titanesque : treize ans de travaux auxquels participent seize nations. En 2000, la première mission habitée, composée de trois astronautes, démarre. Depuis, plus de 50 expéditions se sont succédées.

Un indéniable réussite technique qui se prolongera au moins jusqu’en 2024. Ce succès de l’ingénierie humaine ne manque pourtant de soulever des critiques dans la communauté scientifique. Cet investissement de 100 milliards de dollars, pour une aventure de plus de quarante ans, en vaut-il vraiment la peine ?

Les espérances cosmiques

« Bip bip » – Spoutnik 1

Le 24 octobre 1946, un appareil photo monté sur une fusée V2 prend la première photo de notre planète depuis l’espace, à 104 kilomètres d’altitude. Moins d’une décennie plus tard, le 4 octobre 1957, le premier satellite artificiel, Spoutnik 1, est placé en orbite, marquant officiellement le début de l’ère spatiale. La rivalité qui oppose alors les Etats-Unis et l’Union Soviétique, en pleine Guerre froide, se traduit par une augmentation drastique des budgets alloués à l’exploration spatiale.

C’est le début d’une grande aventure, marquée par une succession de découvertes pionnières :

  • la face cachée de la Lune se révèle au monde le 4 octobre 1959
  • le 12 avril 1961, Youri Gagarine devient le premier homme à effectuer un vol dans l’espace
  • le 18 mars 1965, Alexeï Leonov effectue la première sortie extravéhiculaire dans l’espace
  • en juillet de la même année, la sonde Marine 4 réalise le premier survol de Mars

Et c’est omettre tant et tant d’autres aventures prodigieuses. Cette course à l’espace culminera bien sûr avec la réussite du programme Apollo, qui envoie l’homme marcher sur la Lune en 1969, puis le voyage des sondes Voyager 1 et 2 – à ce jour les objets de fabrication humaine situés le plus loin de la Terre.

Les sondes Voyager ont permis de découvrir en détail les étonnantes planètes de notre Système solaire. Ici, la Grande Tache rouge de Jupiter.

Les deux grandes puissances spatiales lancent chacune les premières stations spatiales de l’histoire, Saliout et Skylab, en 1971 et 1973, de véritables laboratoires destinés à étudier le comportement de l’homme lors de voyages au long cours dans l’espace. L’objectif ? Envisager des missions vers d’autres planètes. La science-fiction est devenue réalité. Tout est désormais possible.

L’un des ingénieurs pionniers du développement de la fusée, Wernher von Braun, en est persuadé :

En l’an 2000, nous aurons sans aucun doute une base sur la Lune, nous aurons atterri sur Mars et il est tout à fait possible que des équipages humains aient volé jusqu’aux plus lointaines planètes.

Or, près d’un demi-siècle après que Neil Armstrong ait posé le pied sur le sol lunaire, un quart de siècle après que Saliout ait commencé à orbiter autour de la Terre, force est de constater que l’exploration humaine de l’espace est un peu ralentie. L’homme n’est pas retourné sur la Lune depuis 1972, il n’a pas non plus marché sur Mars. Par contre, il continue à tourner inlassablement autour de la Terre, dans la Station spatiale internationale. Et c’est tout.

Où est la science ?

Les critiques se concentrent d’abord sur l’intérêt scientifique de l’ISS. Jusqu’en 2008, les membres de l’ISS ne passaient en effet que trois heures par semaine à faire de la recherche pure. Depuis 2009, ce chiffre est passé à cinquante, avant tout parce que le nombre de membres de l’équipage a doublé – il est passé de 3 à 6 personnes – et que les travaux d’assemblage sont terminés. Les principales recherches menées ont trait au comportement du cors humain en microgravité. Soit plus ou moins les mêmes recherches qui étaient déjà menées dans les stations Skylab et Mir, plusieurs décennies auparavant…

La Station, qui est devenue complètement opérationnelle en 2011, est en plus en partie obsolète puisque les premiers modules ont été envoyés dans l’espace en 1998 ! L’assemblage a en effet pris beaucoup plus de temps que prévu…

La station spatiale Mir

Eric Istasse, responsable pour l’ESA (Agence spatiale européenne) des expériences menées à bord de l’ISS, en convient :

Dans les plans initiaux, l’assemblage des différents modules devait être terminé en quatre ans. Il en a finalement pris treize. Forcément, le nombre de publications scientifiques engendrées à ce jour par l’ISS s’en ressent.

Consciente des critiques qui lui sont adressées, la NASA publie en 2013 une liste de résultats concrets issus des recherches menées sur l’ISS. Elle publie aussi sur son site une liste des bénéfices de ces recherches pour l’humanité, classés dans cinq domaines : le développement économique de l’espace, l’innovation technologique, la santé, l’éducation et l’observation de la Terre et la réactivité face aux catastrophes naturelles.

La NASA ajoute un argument de poids dans la défense de l’ISS : la Station servirait de point de passage entre la Terre et de futures destinations situées au-delà de la Lune, en premier lieu Mars. Les opposants ne sont évidemment pas de cet avis. Christopher Hall, de l’Université Polytechnique de Virginie (Virginia Tech), explique :

Si nous devons retourner sur la Lune, nous nous y rendons directement depuis la Terre. Même chose pour Mars. Directement depuis la Terre.

C’est en effet ce que semblent privilégier les futures missions, qu’elle soient issues de financements publics ou privés.

Dans l’émission Affaires Sensibles consacré à la mission Apollo 13 et diffusée en 2014, l’ancien astronaute Patrick Baudry s’étonne que l’homme n’ait jamais posé le pied sur Mars et va jusqu’à qualifier la Station de lamentable !

Une autre critique régulièrement opposée à l’ISS concerne la pertinence de l’envoi d’hommes dans l’espace. Les sondes et les robots, pour un budget bien moins élevé, effectuent un meilleur travail que l’homme, avec des missions bien plus longues, et le tout sans aucun risque. Car l’espace est un milieu dangereux, où la routine n’existe pas. La réussite des différentes expéditions sur l’ISS ne doit pas faire oublier qu’un incident reste possible, comme le rappelle la mésaventure de l’astronaute italien Luca Parmitano, dont le casque s’est rempli d’eau lors d��une mission extravéhiculaire en 2013.

Luca Parmitano

Dans un papier au vitriol publié en 2006, le journaliste Matthieu Quiret reprend les arguments du photographe Serge Brunier, fervent opposant à l’envoi d’homme dans l’espace et auteur du livre Impasse de l’espace, et conclut :

Pour Serge Brunier, les astronautes sont les conquérants de l’inutile. Les véritables explorateurs du cosmos sont physiciens, astronomes, cosmologistes. On ne saurait faire plus concis.

Rêves d’antan

Les astronautes de l’ISS restent pourtant les meilleurs ambassadeurs de l’exploration spatiale. L’épopée de Thomas Pesquet est un exemple de communication scientifique à destination du grand public, qui contribuera certainement à faire naître bien des vocations. Pour le canadien Chris Hadfiels, devenu célèbre avec sa reprise la chanson Space Oddity de David Bowie, les objectifs de l’ISS vont même au-delà de sa mission scientifique, comme il l’explique en 2013 :

La Station est bien plus qu’un laboratoire à distance où un petit nombre de personnes et de robots effectuent quelque chose que tout le monde ignore. La Station est bien plus que cela. Elle est le premier avant-poste de l’homme dans l’espace. Elle est un moyen de voir notre monde comme il n’avait jamais été vu auparavant dans l’histoire de l’espèce humaine.

Des mots qui reviennent souvent dans la bouche de ceux qui ont connu les joies de l’espace : la redécouverte de la Terre, la prise de conscience de sa fragilité, et la nécessité pour l’homme de franchir définitivement la frontière qui le sépare de l’espace. C’est l’effet Overview, que nous avons déjà évoqué dans un article précédent, et dont les témoignages de ceux l’ayant ressenti racontent parfois la vision d’une Terre unifiée, globale, sans frontières, et un sentiment de profonde insatisfaction quant à l’action politique… Là-haut, sur la station, faisant fi de tous les conflits économiques ou géopolitiques qui secouent la planète, seize nations collaborent, dont les Etats-Unis et la Russie.

La classe des astronautes de l’expédition 34 de l’ISS

Et quelque part, l’ISS représente un fantasme de science-fiction devenu réalité. L’astronaute américain Michael Fincke, qui est resté au total 381 jours dans l’espace, a passé une partie de son temps à lire le roman 2001 d’Arthur C. Clarke. Autrement dit : un astronaute dans une station spatiale lit un roman à propos d’astronautes dans une station spatiale. De la SF, 2001 ?  Plus maintenant, comme le précise Fincke :

Nous prenons ces rêves et nous les transformons en réalité.

L’ISS est le dernier lien concret qui unit l’homme à l’espace. Ou le premier. Il suffit de lever les yeux : la station est toujours là. Peut-être qu’un jour, les rêves des hommes ne se porteront plus vers le cosmos. Les nostalgiques se souviendront alors de l’ISS, depuis longtemps précipitée dans l’océan, de ses formidables promesses et des héros modernes qui ont flotté dans ses modules. Ce jour, heureusement, n’est pas venu. L’ISS est toujours là. Gardant intacts les espoirs que l’humanité devienne une civilisation interplanétaire.

3 Commentaires

  1. Très bon article qui remet l’aventure spatiale en perspectives historiques.
    On peut par ailleurs comprendre le dépit de personnalités telles que P. Baudry, mais d’un autre côté ce n’est plus un secret que la sortie de l’humain hors de la protection du bouclier magnétique terrestre rend toute implantation extraterrestre très aléatoire.
    Cela a fait l’objet d’un très bon article dans la revue Science & Vie il y a quelques mois.

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