Science-fiction

Outer Wilds – Les vertiges de poche

Prudence : cet article ne révèle pas d’éléments majeurs de l’intrigue, mais dévoile tout de même le début du jeu.

La science-fiction, genre de la démesure ? C’est qu’il faut forcément une débauche de technologie et de moyens pour rendre compte des jours et siècles à venir, ou des mondes cosmiques qui nous entourent, non ? Pas du tout, le jeu-vidéo Outer Wilds en fournit la preuve.

Poétiques cosmiques

Outer Wilds, c’est l’exploration spatiale vue par les yeux d’un enfant allongé dans son lit et rêvassant en fixant son petit mobile de système solaire.

Le jeu démarre sur une planète extraterrestre appelée Atrebois, dont les habitants découvrent peu à peu l’exploration spatiale et donc l’univers qui les entoure. Le joueur se retrouve dans la peau du prochain astronaute du programme spatial. Première étape, après qu’il se soit réveille auprès d’un feu, à côté d’un collègue qui déguste des guimauves grillées : récupérer les codes de lancement de la fusée. Une simple formalité.

La fusée est faite de bric et de broc, de morceaux de bois et de tôles assemblés ensemble et qui tiennent on ne sait trop comment. Et pourtant, contre toute attente, elle décolle, révélant bientôt un Système solaire à la fois familier (avec son étoile, ses planètes, sa comète) et déroutant (sa physique hors-norme et de prime abord peu compréhensible). Les premières parties sont plutôt courtes : on fonce par inadvertance vers le Soleil, on meurt étouffé dans l’espace, on s’écrase lamentablement à la surface d’une planète. Et puis on parvient tant bien que mal à dominer son vaisseau, à approcher sans trop d’encombres les petits mondes qui tournent au-dessus de notre tête et à les explorer à l’aide des propulseurs de notre combinaison. Alors que le joueur commence à apprécier ces petites escapades, tranquillement installé sur la petite lune qui orbite autour d’Atrebois ou perdu dans une station spatiale en dérive, le Soleil se met à rougir avant de s’effondrer sur lui-même et d’exploser en supernova. Le Système solaire est immédiatement réduit à néant. Partie terminée, une fois de plus.

C’est le cycle sans fin qui attend le joueur d’Outer Wilds : toutes les vingt-deux minutes, inexorablement, ce Système solaire à l’agonie disparaît. Le personnage principal, pourtant, est emporté dans le temps, et renaît vingt-deux minutes plus tôt grâce à la magie d’une étrange statue extraterrestre, prêt à décoller encore et encore, mais riche de ses souvenirs et de son journal de bord compilant informations et rumeurs. Au joueur de découvrir pourquoi.

Mais ce n’est pas la seule énigme à résoudre. Il faudra notamment découvrir qui sont les Nomai, cette civilisation extraterrestre dont les ruines parsèment le Système solaire tout entier, comment ils sont arrivés là, pourquoi ils ont disparu. Pur jeu d’aventure et d’exploration, Outer Wilds est dénué de combat ou de batailles spatiales. Toutes les séquences de jeu reposent sur des énigmes basées sur l’environnement qui entoure le joueur, et sur sa capacité à relier les fragments de textes qu’il trouvera un peu partout.

La jolie fusée qui vous emportera aux quatre coins du Système solaire.

Outer Wilds est intéressant en ceci qu’il mélange habilement deux courants qu’on pourrait croire antinomiques. D’un côté, le merveilleux scientifique, qui cherche avant toute chose, comme son nom l’indique, l’émerveillement et l’étonnement plutôt que le réalisme. De l’autre, la hard science-fiction, très rigoureuse sur les technologies qu’elle invoque. Bon, certes, ce n’est pas un jeu exagérément réaliste. Mais si Outer Wilds est poétique, parfois absurde, mélancolique, il est aussi bardé de références à la physique théorique (trous de ver, physique quantique, antimatière…). J’aime à penser que sa physique si déroutante s’explique par le fait qu’il se déroule dans un autre univers que le nôtre (au sein du Multivers), régi par d’autres paramètres physiques, dont certains nous sont familiers et d’autres complètement étrangers.

Éloge du minuscule

Il faut trois minutes à peine pour se rendre sur la planète la plus éloignée d’Atrebois, décollage et atterrissage compris. On ne parcourt des distances que de quelques dizaines de kilomètres au maximum. La surface des planètes peut également se parcourir en quelques minutes d’un pôle à l’autre. Ces inexorables parties de vingt-deux minutes au maximum imposent cette rapidité d’action.

Outer Wilds s’éloigne ainsi fondamentalement des autres jeux d’exploration spatiale, qui semblent de prime abord bien plus ambitieux… Le jeu Elite : Dangerous (2014) propose ainsi d’explorer notre galaxie, la Voie Lactée, reproduite à l’échelle, avec ses centaines de milliards d’étoiles et de planètes générées de manière procédurale (c’est-à-dire plus ou moins aléatoirement, à partir d’algorithmes). Dans No Man’s Sky (2016), tout est généré de manière procédurale : les planètes, les créatures extraterrestres, les plantes… Le nombre de planètes potentiellement explorables est estimé à 18 446 744 073 709 551 616, soit 18 trillons… L’immense majorité de ces planètes ne seront donc jamais visitées par aucun joueur !

Elite : Dangerous.

Avec son tout petit système solaire entièrement façonné à la main, débordant d’idées surprenantes et visuellement hallucinantes, Outer Wilds réussit pourtant à nous emporter encore plus loin et en moins de vingt-deux minutes, à nous émerveiller, nous faire rire et même nous faire trembler… Il rappelle que la main de l’artiste est encore plus douée que le code de l’algorithme. Evoquer ici une seule de ses six planètes serait gâcher une partie du plaisir de la découverte…

Caché derrière des graphismes simplistes, voire enfantins, Outer Wilds aura réussi comme trop peu d’autres œuvres à me rappeler combien l’espace est un lieu fascinant et magique mais aussi hostile, voire terrifiant. Pour comprendre, il faut comme moi s’être retrouvé seul à la merci de phénomènes incompréhensibles sur une planète dangereuse, ou bien perdu dans l’espace et se servir de ses dernières secondes d’oxygène comme propulseur pour tenter de rejoindre sa fusée que l’on sait pourtant hors d’accès…

Finalement, dans les cosmos virtuels, pas besoin de démesure pour être pris de vertiges.

Outer Wilds, un jeu développé par Mobius Digital et édité par Annapurna Interactive, disponible sur PC, Xbox One et PlayStation 4.

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