L’été SF – Les Chronolithes – Robert Charles Wilson
Cet été, je vous propose de revenir chaque semaine sur une œuvre de science-fiction. J’éviterai autant que possible les classiques absolus (Asimov, K. Dick et consorts), et axerai chacune de ces courtes chroniques sur un aspect particulier qui, pour une raison ou pour une autre, m’a marqué. Il ne s’agira donc pas d’être érudit ou exhaustif, mais avant toute chose de vous donner envie de vous y plonger à votre tour !
Aujourd’hui, un roman de l’auteur américain Robert Charles Wilson, Les Chronolithes.
Le voyageur imprudent
Si l’on se fie à nos perceptions, le temps s’écoule toujours dans la même direction, et le présent est le moment qui sépare le passé irrévocable du futur incertain. La physique, pourtant, explique depuis la théorie de la relativité que le temps est malléable, voire qu’il n’existe tout simplement pas. Une aubaine pour la science-fiction, dont le voyage dans le temps est l’un des thèmes majeurs. Bien employé, il est propice au sense of wonder, ce sentiment de vertige que ressent un lecteur (ou un spectateur de film) de science-fiction devant l’immensité du temps et de l’espace. Mal employé, il génère incohérences et confusion.
Le voyage dans le futur, plus crédible d’un point de vue physique (et employé par exemple dans le film Interstellar de Christopher Nolan) est à différencier du voyage dans le passé, qui lui est la source de paradoxes liés au principe de causalité :
- Que se passe-t-il si je voyage dans le temps et tue mon grand-père avant qu’il n’ait eu d’enfants ? S’il n’a pas eu d’enfants, je n’ai pas pu naître, et donc n’ai pas pu voyager dans le temps pour le tuer… C’est le paradoxe du grand-père.
- Que se passe-t-il si je voyage dans le temps et donne Les Misérables à Victor Hugo avant qu’il ne l’écrive, et qu’il décide de l’éditer ? Qui en sera l’auteur ? Victor Hugo le tient de mes mains, et je le tiens de celles de Victor Hugo… C’est le paradoxe de l’écrivain.
Du global à l’individuel
Les romans de l’auteur américain Robert Charles Wilson mêlent habilement les destins individuels à la démesure de phénomènes menaçant l’humanité toute entière. Dans Darwinia (1998), une partie de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie disparaît subitement, remplacée par un étrange continent peuplée d’une faune et d’une flore inconnue. Dans Spin (2005), la Terre se retrouve mystérieusement entourée par une barrière qui vient modifier le temps, qui s’écoule désormais cent millions de fois plus vite à l’extérieur de la dite barrière qu’à l’intérieur : la Terre est dès lors menacée par la transformation du Soleil en géante rouge. Les forces qui sont en jeu dans les romans de Wilson, par leur démesure, et par leur capacité à rabaisser l’humanité au rang de simple jouet de choses qui la dépassent, rappellent un peu les nouvelles de Lovecraft.
Dans Les Chronolithes (2001), de gigantesques colonnes émergent subitement à plusieurs endroits sur Terre. Ils ne sont pas bâtis, ne sortent pas de la Terre, ils apparaissent, c’est tout. Et ils sont dotés d’une mystérieuse inscription :
L’inscription gravée dans la substance du pilier, profonde de deux ou trois centimètres et rédigée dans une sorte de pidgin de mandarin et d’anglais basique, n’était que la commémoration d’une bataille. En d’autres termes, la colonne était un monument de victoire.
Elle célébrait la reddition de la Thaïlande et de la Malaisie aux forces fédérées de quelqu’un (ou de quelque chose) appelée « Kuin ». La date de la bataille figurait au-dessous.
21 décembre 2041.
Soit vingt ans plus tard.
Les personnages du roman et le lecteur n’auront de cesse d’essayer de résoudre ce paradoxe temporel. Les colonnes viennent-elles véritablement du futur ou s’agit-il d’une supercherie ? Lorsque le dit Kuin émergera et commencera ses conquêtes, la présence des colonnes ne sera-t-elle pas un obstacle, ses ambitions étant tout de suite claires ? A-t-il déjà tout gagné d’avance ? Est-ce la présence même des colonnes qui mènera à sa victoire finale ? S’il est tué, les colonnes disparaîtront-elles ?
Le monde des Chronolithes, avant que les colonnes ne surgissent, est une extrapolation de notre propre monde, avec les mêmes problèmes : essor du secteur privé sur le public, destruction des écosystèmes, conflits géopolitiques… Un monde aussi instable est de toute évidence propice à la révolution, qu’elle vienne du présent ou du futur. La colonne est le prétexte, l’étincelle initiale, le deus ex machina de l’auteur, nécessaire pour embraser définitivement son territoire de jeu.
Wilson, comme à son habitude, explore l’intime au sein du global. Le mystère initial n’a que pour objectif d’en décrire les conséquences sur l’humanité et sur l’individu. Au risque que les réponses apportées sur le mystère initial ne déçoivent le lecteur…