Science-fiction

La Nuit du Faune – Romain Lucazeau

Prudence : cet article révèle quelques éléments importants de l’intrigue.

Le nouveau roman de Romain Lucazeau, La Nuit du Faune, a le potentiel de pouvoir emmener un public néophyte vers un genre souvent considéré comme particulièrement ardu – la hard-SF. Relativement court – 250 pages – il se pare des jolis atours du conte pour emmener son lecteur vers un voyager vertigineux jusqu’aux confins du cosmos. On le pressentait avec Latium, son précédent roman, on en a désormais la confirmation : Lucazeau est un grand auteur de SF, ou plutôt un grand auteur tout court.

Le Sense of wonder à la portée de tous

La Nuit du Faune démarre comme un mythe universel, comme le chant d’un aède, comme un vieux conte qui se transmet auprès de l’âtre, de grands-mères en petits enfants. Après un voyage éreintant, un faune rencontre une petite fille au sommet d’une montagne légendaire, dans un endroit longtemps jugé inaccessible. Elle semble être là depuis longtemps, très longtemps, trop longtemps sans doute, et pourtant après ses réserves initiales elle l’accueille chaleureusement et lui propose un surprenant voyage qui l’amènera loin, très loin, bien au-delà des limites du monde connu par le faune et ses congénères.

Le lecteur comprendra bien vite que la petite fille en question, appelée Astrée, est en fait la dernière survivante d’une civilisation post-humaine, devenue complètement transhumaniste, que sa montagne est une machine complexe destinée à la protéger, et que le faune qu’elle surnommera Polémas est issu d’une espèce qui a peuplé la Terre bien après la disparition de l’homme.

Avec son conte philosophique, Romain Lucazeau prend le contre-pied de son précédent romain, Latium (2018), vaste space opera.

C’est là tout le brio du nouveau roman de Romain Lucazeau : se montrer très accessible, prendre doucement le lecteur par la main en lui rappelant des récits universels pour l’emmener progressivement vers des contrées nettement moins familières, à travers un genre souvent considéré comme particulièrement ardu : la hard SF. Faut-il posséder un doctorat en physique pour lire du Greg Egan ? Sans doute pas, encore que cela doit aider, mais il est vrai que la hard SF, qui recherche à tout prix la crédibilité scientifique en collant au plus près aux théories et hypothèses en vigueur, est un genre relativement obscur, peu accessible aux néophytes. Ce qui est dommage puisqu’il est particulièrement générateur de sense of wonder, ce sentiment d’émerveillement propre à la science-fiction. Avec La Nuit du Faune, Romain Lucazeau offre enfin aux profanes l’occasion de goûter aux vertiges procurés par la hard SF.

Un avant-goût de l’infini

Le vertige du cosmos, c’est le vertige du temps autant que de l’espace. Les distances spatiales sont ce qu’elles sont, immensément grandes, déroutantes, frustrantes parfois à bien des égards, effrayantes peut-être… Autant de qualificatifs qui s’appliquent aussi aux distances temporelles, difficilement appréhendables par la conscience humaine, façonnée par son intuition et son expérience tout au long d’une vie qui ne durera guère plus d’un siècle. Un million d’années, c’est autre chose qu’un siècle, chacun en conviendra. Un milliard, n’en parlons même pas. A l’aide de métaphores élégantes, et grâce à une écriture qui se rapproche parfois de la poésie en prose, Romain Lucazeau démarre ce voyage de la plus belle des manières, et le lecteur se sent forcément dérouté, écrasé presque par les années qui le surplombent. Un vertige qui n’est pas sans rappeler le fameux calendrier cosmique de Carl Sagan, autre méthode pour faire ressentir à l’homme ce que signifie réellement l’âge de l’Univers ou de la Terre.

Ce voyage à travers le temps, raconté par Astrée, est nécessaire pour bien comprendre le cycle de la vie sur Terre et plus globalement à travers l’Univers. Pour Romain Lucazeau, point de Grand Filtre, du nom de cette hypothèse qui explique que des barrières pourraient entraver l’accès à l’espace des civilisations planétaires. L’Univers grouille de vie, ne serait-ce que dans le Système solaire, depuis les lunes glacées d’Encelade (un corps il est vrai particulièrement prometteur pour les exobiologistes), jusqu’aux nuages de Jupiter (rappelant là encore les hypothèses de Carl Sagan). La vie foisonne, voyage de corps en corps, s’étend à travers le cosmos, se transforme, quitte son enveloppe biologique, et se rassemble en meta-civilisations aux ambitions galactiques.

Vie hypothétique dans les nuages de Jupiter. (crédits : Adolf Schaller)

Evidemment, l’espace est un lieu propice à la mélancolie, comme la SF l’a déjà largement démontré. De mon côté, il m’arrive parfois de lever et les yeux et de ressentir une grande mélancolie en pensant à ces étoiles sans doute à jamais inaccessibles, aux progrès extraordinaires et pourtant si dérisoires de l’exploration spatiale à l’échelle de la galaxie, au fait que peut-être je m’éteindrais un jour sans savoir si, quelque part, une vie extraterrestre, ne serait-ce que microscopique, existe.

Romain Lucazeau prend le contre-pied total de ces thèmes assez classiques : l’espace peut rester profondément mélancolique, même avec un Univers foisonnant de vie, il demeure également effrayant, surtout quand des forces de nature quasiment divines, capables de maîtriser l’espace, le temps, la matière et la gravité, se livrent des guerres durant des millions d’années. Agrégé de philosophie, épris de métaphysique, Lucazeau questionne constamment le destin de l’Univers et des civilisations qui le composent. Le tout, et c’est une prouesse, en restant toujours clair, synthétique, et acceesible.

Véritable synthèse de la hard-SF, La Nuit du Faune fourmille d’idées absolument géniales qui chacune pourraient donner lieu à de grands romans. Sans en dévoiler la teneur, le dernier tiers du roman, proprement épique, atteint des sommets de sense of wonder. J’en suis personnellement ressorti complètement ébahi.

On se sent un peu minuscule, en lisant La Nuit du Faune, après tout c’est ce qu’on attendait d’un roman qui promettait de nous raconter l’impermanence des civilisations. Et on se plaît à rêver aussi, en levant les yeux et en contemplant les étoiles et le vide qui les sépare. Là encore, ce n’est rien moins que l’essence pure de la science-fiction. Un chef-d’œuvre ? Ouais, clairement.

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