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La mission martienne de Wernher von Braun

Dans les années 50, l’homme s’est soudainement dit qu’il n’était plus suffisant de lever les yeux vers les étoiles ; il fallait s’y rendre. L’incroyable épopée qui a suivi a culminé avec les premiers pas de l’homme sur la Lune, en 1969. L’objectif suivant semble alors tout trouvé : Mars, la planète la plus proche de la Terre. Un objectif atteignable, pense le pionnier de l’exploration spatiale, Wernher von Braun, qui conçoit un programme prévoyant d’envoyer l’homme sur Mars au tout début des années 80. Retour sur un rêve qui n’est toujours pas devenu réalité.

Un Mars, et ça repart

Comment ne pas être enthousiaste ? La course à l’espace, cette rivalité qui opposa les Etats-Unis et l’Union Soviétique au sortir de la seconde guerre mondiale dans tous les domaines – mais pas sur les champs de bataille, a dessiné de nouveaux horizons pour l’humanité. Pensez donc : entre le lancement du premier satellite artificiel, Spoutnik, et les premiers pas de l’homme sur la Lune, lors de la mission Apollo 11, douze années seulement se sont écoulées ! Entre temps, l’homme aura aussi eu le temps de survoler Vénus et Mars, et dans les années qui suivront, il mettra en orbite une station spatiale (Saliout 1, en 1971), posera une sonde sur Vénus et Mars (Venera 7, en 1970, et Mars 2, en 1971), et survolera Jupiter (Pioneer 10, 1973), entre autres…

C’est donc clair : l’avenir de l’homme est dans l’espace. Et après la Lune, quel meilleur objectif que Mars ? En août 1969, Wernher Von Braun, l’un des pères de la fusée Saturn V, pionnier éminemment controversé de l’exploration spatiale, envisage les premiers pas de l’homme sur Mars pour l’année 1981. Après tout, c’était déjà lui qui, en 1952, avait réalisé la première étude technique d’une mission habitée vers la planète rouge. L’objectif semble donc bien plus atteignable après le triomphe d’Apollo 11.

Douze années séparent le lancement de Spoutnik 1 de la mission Apollo 11 !

Dans une présentation au Space Task Group, le groupe de travail mis en place par le président Richard Nixon pour concevoir le futur du programme spatial américain, Von Braun détaille son plan, forcément ambitieux mais, précise-t-il dès l’introduction, pas plus que celui qui visait à faire marcher l’homme sur la Lune, envisagé dès le début des années 60 et consacré par le fameux discours de Kennedy à Houston, en septembre 1962. Le président américain expliquait alors que l’Amérique choisissait d’aller sur la Lune, « non pas parce que c’est facile, mais bien parce que c’est difficile. »

Mars présente un intérêt majeur. Alors que la Lune est un corps stérile, désert, Mars suscite encore de nombreux fantasmes quant à la question de la vie extraterrestre (et en suscite toujours, d’ailleurs, la question n’étant toujours pas officiellement tranchée). Von Braun explique :

Peut-être que la question scientifique la plus importante est celle de la possibilité d’une vie extraterrestre dans notre Système solaire. Une mission planétaire habitée offre l’opportunité de résoudre cette question universelle.

Von Braun prévoit une mission de deux ans, décomposée comme suit :

  • Utiliser des fusées Saturn V et des navettes spatiales pour assembler un vaisseau en orbite terrestre
  • Profiter du voyage de 270 jours dans l’espace interplanétaire pour réaliser des études scientifiques et des observations astronomiques inédites
  • Placer le vaisseau dans l’orbite martienne durant environ 80 jours, et déployer à sa surface un module d’exploration, le MEM (Mars Excursion Module), et des sondes de récolte d’échantillons
  • Explorer à l’aide d’un rover la surface martienne, en forer la surface de la planète à la recherche d’eau ou d’autres ressources naturelles.
  • Profiter du voyage retour de 290 jours pour survoler Vénus, y déployer des sondes et cartographier sa surface par imagerie radar
  • Et enfin revenir sur cette bonne vieille Terre

Pour des raisons de sécurité, Von Braun envisage le lancement de deux vaisseaux identiques à propulsion nucléaire, chacun accueillant un équipage de six astronautes – ou jusqu’à douze en cas de problème sur l’un des deux vaisseaux.

Au boulot !

On le comprend à la lecture de la présentation : une telle mission réutilise forcément de nombreux éléments du programme Apollo, à commencer par les lanceurs Saturn V, les plans de mises en orbite, et l’utilisation du module d’exploration. Von Braun intègre aussi son programme dans les développements en cours et à venir en 1969 – sa mission martienne réutilise des éléments du programme Shuttle, des missions Viking et Voyager, d’une potentielle future station spatiale en orbite lunaire, et d’une base à sa surface.

 Il écrit :

Le point culminant et logique de la prochaine décennie est l’atterrissage de l’homme sur Mars en 1981. […] En plus de servir de point central pour la prochaine décennie, l’atterrissage sur Mars en 1981 est le seuil de l’exploration planétaire habitée des années 1980.

Von Braun estime qu’à la fin de la décennie, si son programme et ceux qui le précèdent sont menés à bien, 100 hommes pourraient se trouver simultanément dans l’orbite terrestre basse, et 48 à la surface de la Lune de Mars.

Quarante ans plus tard, faut-il vraiment le préciser, nous n’en sommes pas là, loin de là, et nous n’y serons peut-être même pas de notre vivant. Alors que s’est-il passé ?

Mission failed

Et bien c’est simple : le programme a été considéré par le président Nixon mais n’a malheureusement pas été retenu, au profit du développement de la future navette spatiale. Contrarié, Von Braun quitte la NASA en 1972, pour rejoindre une entreprise aéronautique privée.

Le contexte, évidemment, n’a pas aidé. A partir du milieu des années 70, la course à l’espace, évidemment remportée par les Américains suite au succès des missions Apollo, peut être considérée comme terminée. Les budgets de la NASA sont diminués – alors que le programme de Von Braun prévoyait de le doubler ; l’agence spatiale américaine est focalisée sur l’exploration non habitée de l’espace (les sondes Voyager en sont le meilleur exemple) et sur le développement de la navette spatiale, après en avoir également réduit les coûts de développement. L’intérêt du grand public pour l’espace s’estompe peut-être un peu aussi. En 1981, l’homme ne marche pas sur Mars, n’est jamais retourné sur la Lune, et la navette spatiale Columbia effectue seulement son premier vol.

A l’instar de nombreux autres projets ambitieux établis dans les années 60 et 70 (comme le fameux cylindre O’Neill, cette colonie spatiale abritant des dizaines de milliers de personnes et envisagée par leur concepteur Gérard O’Neill pour le début des années 80), la mission habitée vers Mars, véritable arlésienne portée par plusieurs projets, a constamment été repoussée. Les années, puis les décennies, se sont écoulées.

Les cylindres O’Neill n’ont essaimé que dans la science-fiction (ici, Interstellar, de Christopher Nolan)

Forcément, une telle mission laisse un peu rêveur… Si l’homme avait marché sur Mars à l’aube des années 80, qui sait où nous en serions aujourd’hui de l’exploration du Système solaire ? Aurions-nous mis en place des colonies sur la Lune et sur Mars ? Mais de telles missions, à l’ambition folle, forcément coûteuses et qui nécessitent l’implication de nations toutes entières, n’auraient-elles pas entravé l��exploration robotique du Système solaire externe, avec les missions Voyager, Cassini-Huygens, Rosette ou encore New Horizons, pour ne citer que les plus emblématiques ? Difficile à dire. En tout cas, quand il s’agit de rêver, on peut encore compter sur la science-fiction, en attendant que l’homme pose véritablement le pied sur Mars, d’ici à quelques décennies, au plus tôt.

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