L’agriculture spatiale – 1 – Fermes cosmiques
En janvier 2019, la Chine annonce avoir fait pousser les premières plantes sur la Lune, à bord de son rover Chang’e 4. Malheureusement, elles sont mortes quelques jours plus tard. Même si l’expérience s’est terminée là, elle aura mis le sujet de l’agriculture spatiale sur la table. Car dès lors que l’homme voudra s’éloigner de son berceau, il faudra fatalement penser à son alimentation, non seulement dans l’espace mais aussi à destination.
1 – Fermes cosmiques
2 – Nouveaux sols fertiles
3 – La question de l’eau
Le retour de l’homme dans l’espace
L’homme progresse toujours plus loin dans l’espace : la sonde New Horizons survole l’astéroïde Ultima Thule à 6 milliards de kilomètres de la Terre, tandis que les sondes Voyager continuent à s’enfoncer jusqu’aux confins de notre Système Solaire, à près de 20 milliards de kilomètres. Certes, ce n’est pas vraiment de l’homme dont il s’agit, mais plutôt des objets issus de sa formidable ingénierie. Car l’homme, lui, n’est pas allé plus loin que sur la Lune – et c’était en 1969, il y a désormais un demi-siècle. L’avant-poste de l’humanité dans l’espace reste depuis vingt ans la Station spatiale internationale, qui depuis tourne seize fois par jour à seulement 400 kilomètres au-dessus de nos têtes.
Pourtant, les velléités des agences spatiales et de l’industrie spatiale privée semblent s’orienter vers un retour progressif de l’homme dans l’espace, d’abord sur la Lune puis sur Mars, et pourquoi pas au-delà. Ces objectifs ambitieux, voire démesurés, nécessiteront d’incroyables prouesses scientifiques, techniques et humaines pour pouvoir être menées à bien. Là-haut, là-bas, contrairement aux sondes, l’homme devra vivre et donc, avant toute chose, s’alimenter.
Dans la Station spatiale internationale, c’est déjà quelque chose de relativement cher et complexe. D’après une étude menée en 2011, un astronaute de l’ISS a besoin d’environ 1,8 kilogrammes d’aliment par jour (en incluant l’emballage). Par soucis d’économie d’espace, la plupart des plats sont lyophilisées et distribués dans des poches qui doivent être réhydratés au moment du repas à l’aide d’une station qui les remplit d’eau chaude. Ces plats sont également stérilisés pour éviter tout problème de contamination pathogène à l’intérieur de la station.
Des missions d’approvisionnement de la Station permettent d’apporter du matériel et des vivres à bord. Dans le cas des Etats-Unis, c’est la société SpaceX qui est depuis 2011 chargée de livrer ce ravitaillement, à l’aide de son vaisseau Dragon.
La Station spatiale étant proche de la Terre, sa gestion logistique n’est pas particulièrement compliquée. Quant aux missions Apollo, qui ont envoyé l’homme sur la Lune, elles ne duraient au maximum qu’un douzaine de jours entre le décollage de la fusée et le retour de la capsule, il n’y avait donc évidemment pas lieu de les ravitailler.
Dans le cas d’un éventuel voyage vers Mars, prévu dans les années 2030 pour la NASA et même dès la fin des années 2020 pour SpaceX, ce sera une toute autre affaire. Car un voyage aller-retour prendrait, selon les scénarios, de 600 à 900 jours. Globalement, il faut compter six mois de voyage aller, six mois sur place et six mois de voyage retour. Difficile de partir avec le provisions nécessaires, et impossible de faire venir du ravitaillement une fois la mission commencée. Et on ne parle là que de Mars, la deuxième planète la plus proche de la Terre après Vénus (où les conditions ne sont de toute façon pas propices à une mission habitée dans les décennies à venir) ! Comment alimenter correctement et durablement l’homme dans l’espace ?
Les premiers paysans cosmiques
Des expériences sont en fait déjà menées en ce sens. En fait, la toute première remonte même à l’après-guerre, lorsque diverses graines (riz, coton, maïs) furent envoyées par les américains dans l’espace puis récupérées. Il n’était alors nullement question d’alimenter les futurs astronautes, mais plutôt d’étudier les effets des radiations cosmiques.
Ce sont en fait les soviétiques qui furent les premiers à faire germer des plantes dans l’espace : en l’occurrence, des plantes du genre Arabidopsis à bord de la station spatiale Saliout 7, en 1982. La station Mir accueillit une expérience similaire en 1997 : il s’agissait alors déjà d’étudier les effets de la microgravité sur les plantes dans le cadre de futures longues missions. Cette question est primordiale : comment poussent les racines d’une plante lorsqu’il n’y a plus ni haut ni bas ? Sur Terre, les plantes s’orientent en effet en fonction de la gravité : c’est le gravitropisme.
La Station spatiale internationale accueille depuis 2001 une série d’expériences nettement plus ambitieuses dont l’aboutissement est le Veggie, ou Vegetable Production System (système de production de légumes), une serre qui fournit aux plantes cultivées à l’intérieur un apport en lumière et en éléments nutritifs.
Les objectifs sont multiples :
- Observer la croissance des plantes en microgravité (l’installation permet une croissance maximale des plantes de 45 centimètres)
- Evaluer le niveau de contamination microbienne des plantes
- Comparer ces résultats avec les témoins au sol (le centre spatial Kennedy de la NASA en Floride contient également une serre Veggie)
- Fournir des aliments frais à l’équipage, avec ce que cela comporte d’effets positifs sur leur moral et leur bien-être
Comme le résume le docteur Gioia Massa, responsable du projet Veggie :
Plus les êtres humains s’éloignent de plus en plus loin de la Terre, plus il est nécessaire de pouvoir cultiver des plantes à des fins alimentaires, psychologiques et pour aider au recyclage de l’atmosphère.
Le 10 août 2015, trois astronautes de l’Expédition 44 de la Station, ont pour la première fois mangé un aliment entièrement cultivé dans l’espace, une laitue romaine issue de l’expérience Veggie qui inspirera à Scott Kelly la phrase suivante, publiée sur Twitter :
C’était une petite bouchée pour un homme, un bond de géant pour le projet Veggie et notre voyage vers Mars.
Le projet Veggie a permis de constater que globalement, les plantes poussent bien dans l’espace. Mais leur culture nécessite une attention particulière : il faut surveiller leur arrosage – l’eau ayant tendance à s’agglutiner en gouttes qui peuvent noyer les racines, et il faut régler correctement la lumière et l’air utilisés.
La NASA réfléchit bien sûr à d’autres technologies alimentaires pour les voyages au long cours : en 2013, elle a subventionné à hauteur de 120 000 dollars l’entreprise SMRC pour le développement d’une imprimante 3D capable d’imprimer des plats à partir de cartouches de poudre.
Un article du site Space.com explique détaille l’impression d’une pizza :
Le système commencera par « l’impression » d’une feuille de pâte, suivie d’une couche de « sauce » à la tomate, composée de la poudre mélangée avec de l’eau et de l’huile. Au lieu de garnitures traditionnelles, la pizza imprimée en 3D sera complétée par une couche de protéines pouvant être dérivées d’animaux, de lait ou de plantes.
Evidemment moins rustique que Veggie, un tel système a l’avantage de pouvoir fournir rapidement et efficacement de nombreux types de plats différents.
Une laitue, une pizza : ce ne sont là que les prémisses expérimentales d’un problème qui deviendra peu à peu une priorité, à mesure que l’homme s’éloignera de la Terre.
Vers l’indépendance alimentaire
Allons plus loin : comment nourrir l’homme lorsqu’il aura définitivement quitté la Terre à bord de colonies spatiales lancées vers l’infini ? Une question hautement spéculative, qui relève encore largement de la science-fiction. Elle pourtant posée dans les années 70, une décennie où la réussite des missions Apollo a rendu les hommes particulièrement optimistes quant à leur avenir dans l’espace.
En 1974, le physicien américain Gerard K. O’Neill théorise avec ses étudiants le développement d’un gigantesque vaisseau spatial composé de plusieurs cylindres pivotants, dont l’un est consacré à l’agriculture. Une telle structure est utilisée à la fin du film Interstellar, de Christopher Nolan, sorti en 2014 – nous en avions d’ailleurs déjà parlé ici. La force centrifuge des cylindres qui pivotent permet de créer une gravité artificielle – qui facilite évidemment la vie des hommes et l’agriculture. On imagine en effet assez mal de gigantesques champs de blé et des élevages de bovins en microgravité.
A partir des idées de O’Neill, l’auteur américain Thomas A. Heppenheimer publie en 1977 le livre Colonies in Space. Il imagine les milliers de colons voyageant dans les cylindres mener une existence plutôt rurale, et orientée vers l’efficacité agricole : le peu d’espace disponible impose fatalement une agriculture intensive à haut rendement, similaire à ce qui se fait sur Terre.
Sur ce sujet, il conclut :
Beaucoup de gens pensent que la colonie spatiale serait un endroit artificiel et froid, où les gens seraient isolés de la nature. Mais les colons seront peut-être plus impliqués dans l’agriculture qu’ils ne le seraient dans une ville sur Terre. Beaucoup d’entre eux pourraient passer plusieurs heures par semaine dans la Space Farm, puis rentrer chez eux pour manger de la viande ou cuire des pommes de terre et des légumes qu’ils ont cultivés de leurs propres mains.
Plus de quarante ans après l’écriture de ce livre, on peut supposer que la viande ne viendrait pas de véritables animaux, mais qu’elle serait produite artificiellement à partir de cellules cultivées, par économie d’eau et d’espace.
Difficile de se projeter plus avant… L’exploration spatiale par l’homme progresse lentement, un projet pouvant prendre plusieurs décennies avant d’être mené à bien, tandis que l’évolution des technologies sur Terre semble s’accélérer toujours plus. Après tout, aurons-nous toujours besoin de nous alimenter lorsqu’une colonie spatiale s’apprêtera à explorer les confins de notre Système solaire ?
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