CosmosExploration spatiale

L’agriculture spatiale – 2 – Nouveaux sols fertiles

En janvier 2019, la Chine annonce avoir fait pousser les premières plantes sur la Lune, à bord de son rover Chang’e 4. Malheureusement, elles sont mortes quelques jours plus tard. Même si l’expérience s’est terminée là, elle aura mis le sujet de l’agriculture spatiale sur la table. Car dès lors que l’homme voudra s’éloigner de son berceau, il faudra fatalement penser à son alimentation, non seulement dans l’espace mais aussi à destination.

1 – Fermes cosmiques
2 – Nouveaux sols fertiles
3 – La question de l’eau

Vie et mort d’une graine de coton

La mission chinoise qui a permis l’alunissage de la sonde Chang’e 4 est intéressante à plus d’un titre. Déjà parce qu’elle témoigne du dynamisme de ce nouvel acteur du spatial avec qui il faudra désormais compter. Ensuite parce qu’elle montre que la Lune revient au programme des agences spatiales publiques et de l’industrie privée, alors que l’homme en a foulé le sol il y a désormais un demi-siècle. Et puis parce que le rover Yutu 2 qu’elle transportait en explore la face cachée, celle qui ne se dévoile jamais à nos yeux de terriens. Enfin, parce qu’au-delà d’une batterie d’instruments scientifiques, ce rover abrite une boîte de trois kilogrammes contenant diverses graines de plante, dont du coton et de la pomme de terre, ainsi que des œufs de mouche. Il s’agissait ni plus ni moins que d’un petit jardin, avec des formes de vie terrestre, envoyé à près de 400 000 kilomètres de leur environnement originel.

L’expérience témoin sur Terre. (crédits : CNSA)

Le résultat ? Des photos montrant une graine de coton en train de germer ont été publiées et ont rapidement fait le tour du monde. Il s’agissait en réalité des photos de l’expérience témoin, sur Terre. Du coton a bien germé sur la Lune, mais le froid a eu raison de lui. Et l’expérience s’est arrêtée là : cette mini-biosphère est désormais en train de se décomposer. Hautement symbolique, cette expérience est tout de même pionnière. Contrairement aux expériences en cours sur la Station spatiale internationale dont nous avons déjà parlé, il ne s’agit plus de nourrir l’homme dans l’espace, durant son voyage, mais bien à destination, sur la Lune ou même au-delà.

De la science-fiction ? Peut-être, mais les projets annoncés de retour de l’homme sur la Lune, dans les années et les décennies à venir, sont nombreux :

  • Le président américain Donald Trump a annoncé la construction d’une base lunaire, qui servirait à faciliter les voyages vers Mars
  • La Chine souhaite aussi s’y installer afin d’en exploiter les ressources
  • Les sociétés concurrentes SpaceX (d’Elon Musk) et Blue Origin (de Jeff Bezos) envisagent toutes deux d’établir une base permanente sur la Lune
  • Le directeur de l’Agence spatiale européenne, Jan Wörner, évoque lui carrément la construction d’un village !
La base lunaire du film 2001 : l’Odyssée de l’espace (1968).

Même s’ils sont encore relativement vagues, voire fantasques, ces projets nécessitent des réflexions et des études dès aujourd’hui. Car il faudra bien les nourrir, ces colonies ! L’acheminement de ravitaillement depuis la Terre n’est pas souhaitable, pour des raisons économiques, logistiques, voire  même morales ou sociétales. Pourquoi envoyer de la nourriture si loin, diront certains, alors que des hommes meurent de faim juste à côté ? De plus, pour des raisons gustatives et par plaisir, d’hypothétiques colons lunaires ou martiens préféreront sans doute développer leur propre agriculture. Ils se retrouveront alors dans la situation inverse de leurs plus lointains ancêtres terriens, qui avaient un sol pour cultiver mais durent tout apprendre des plantes, génération après génération, siècle après siècle. Eux auront les plantes, ou en tout cas leurs graines, mais pas le sol.

Agricultures lunaires

La Lune et Mars sont pourtant bien des corps solides, non ? Ils disposent donc bien d’un sol, à la différence des corps gazeux, comme Jupiter ou Saturne, n’est-ce pas ? Le terme de sol est en effet utilisé par commodité – et nous l’utiliserons aussi dans cet article. Mais pour être tout à fait exact, il faudrait plutôt parler de surface. Car sur Terre, le sol se différencie de la croûte terrestre par la présence de matière organique. Le sol est un important réservoir de la biodiversité de notre planète, là où des organismes cohabitent et interagissent les uns avec les autres : c’est la chaîne trophique des sols.

Rien de tout cela sur la Lune, évidemment, dont la surface est composée de régolithe, une poussière très fine produite par les innombrables collisions météoritiques. Serait-il malgré tout possible de l’utiliser comme base afin d’y faire pousser des plantes, pour éviter de devoir livrer de la terre depuis… la Terre ? Une étude parue en 2014 dans la revue PLOS One a étudié la possibilité de faire pousser des plantes sur des sols lunaires et martiens simulés (ainsi qu’un sol terrestre dénué de matière organique). Au contraire du sol martien (sur lequel nous reviendrons plus bas), le sol lunaire donne des résultats peu encourageants  :

  • C’est celui sur lequel le pourcentage de germination est le plus bas
  • Sur lequel la formation de feuilles, fleurs ou graines est la plus rare
  • Certaines plantes étaient même tout simplement mortes après 50 jours…

Réussir vainement à faire pousser quelques plantes est une chose, les faire survivre, puis croître, puis produire des aliments en quantité raisonnable et relativement facilement en est une autre ! Sachant que cette étude avait seulement pour but de tester les qualités du sol lunaire. D’autres paramètres, comme par exemple l’influence des vents solaires ou de la gravité, plus faible, n’ont pas été pris en compte. Globalement, ça s’annonce donc compliqué.

Pourrait-on alors se passer d’un sol qui n’a pas les qualités requises pour servir de support à notre agriculture ? Oui. La plante n’a pas besoin de sol, elle a besoin des éléments nécessaires à sa croissance, qui sur Terre sont effectivement contenus dans le sol. L’expérience Veggie menée à bord de la Station spatiale internationale fait pousser des plantes dans des sortes de structures que la NASA appelle « oreillers » qui contiennent les engrais nécessaires, permettent une injection régulière d’eau, et assurent que les racines et la plante poussent de façon contrôlée (dans l’espace, les racines peuvent pousser dans toutes les directions). Le tout, donc, sans sol ! Sur Terre, des techniques de culture hors-sol existent déjà depuis longtemps : la plus connue s’appelle l’hydroponie, et c’est celle qui est privilégiée pour l’exploration spatiale.

La serre Veggie, à bord de l’ISS. (crédits : NASA)

Une expérience est menée à ce sujet depuis 2010 par l’Université CEAC (Controlled Environment Agriculture Center) d’Arizona (Etats-Unis), dans un prototype de serre lunaire fonctionnant en hydroponie.

Comme le précise la page du site de la NASA consacré au projet :

Le prototype comprend une serre gonflable déployable pour soutenir la production de plantes et de cultures pour la nutrition, la revitalisation de l’air, le recyclage de l’eau et le recyclage des déchets.

D’autres problèmes restent en suspens, parmi lesquels ceux liés aux impacts des micrométéorites eu aux rayons cosmiques. L’environnement lunaire est hostile. La serre idéale devrait donc être enfouie sous la surface, ce qui suppose aussi de fournir aux plantes la lumière et la chaleur artificielles nécessaires à leur bon épanouissement.

Pomme de terre martienne sur son lit d’excrément

Quid de Mars ? La planète rouge est à l’agenda des agences spatiales – surtout la NASA – et des entreprises privées – surtout SpaceX – pour une prochaine mission humaine, après des décennies d’exploration robotisée. Dans ce cadre, la Lune ne deviendrait finalement qu’une sorte de passage transitoire destinée à faciliter les voyages entre la Terre et Mars.

Seul sur Mars (2015)

Difficile de parler d’agriculture martienne sans évoquer le film de Ridley Scott sorti en 2015, Seul sur Mars, tiré du roman de l’auteur américain Andy Weir. Loué par les critiques et les scientifiques pour son réalisme, il suit les aventures d’un astronaute, Mark Watney, laissé pour mort par ses coéquipiers à la surface de Mars suite à une tempête de sable. Watney devra utiliser toutes ses connaissances scientifiques pour survivre en attendant l’arrivée de la prochaine mission habitée, prévue pour dans… quatre ans. Pour se nourrir après l’épuisement des stocks, il décide de cultiver des pommes de terre à l’aide du sol martien, qu’il fertilise avec ses excréments, devenant ainsi le premier agriculteur extraterrestre.

Watney dispose des ingrédients suivants : une petite quantité de terre de la Terre, du sol martien, quelques pommes de terre, de l’eau et des excréments.

La procédure qu’il met au point est détaillée dans le roman :

J’ai trouvé une grosse boîte dans laquelle j’ai versé un peu d’eau et jeté la merde séchée. Depuis, j’y ajoute également mes propres excréments. Plus ça pue, plus je suis heureux. C’est signe que les bactéries sont à l’œuvre ! Après cela, je n’aurai plus qu’à ajouter un peu de sol martien, à mélanger le tout et à le répandre. Restera à saupoudrer un peu de sol terrestre par-dessus. Attention, ce sera une étape essentielle ! Des dizaines d’espèce de bactéries vivent dans le sol terrestre, et elles sont indispensables à la croissance des plantes. Elles vont se multiplier, pulluler comme… comme une infection bactérienne.

Watney ajoutera ainsi progressivement du sol martien à sa terre chargée en bactéries, incorporant également ses excréments à ce mélange.

Poétique, il résume sa démarche :

Mon trou du cul contribuera à mon salut autant que mon cerveau !

Seul sur Mars (2015)

Est-ce bien réaliste ? Le principe, en tout cas, d’ensemencer en bactéries un sol mort est tout à fait valide. Quelques objections ont été soulevées, toutefois, notamment concernant les perchlorates contenus dans le sol martien, qui pourraient rendre plus difficile la croissance des plantes, voire les rendre impropres à la consommation, ainsi que la présence de bactéries pathogènes dans les selles.

Les pots de l’expérience PLOS One

Dans l’étude de la revue PLOS One, déjà citée plus haut, le pseudo-sol martien testé pendant l’expérience est celui qui a mené aux meilleurs résultats. En conditions non-stériles, par contre : des traces de matière organique peuvent expliquer ces résultats. Une autre expérience, menée elle en 2016, est également prometteuse : des tubercules de pommes de terre ont poussé à l’intérieur d’une petite boîte qui reproduit les conditions martiennes !

A ce stade, il reste encore de nombreux points d’interrogation relatif à l’environnement martien, aux effets de la gravité, des rayons ultraviolets ou des rayons cosmiques…

Sur la Lune comme sur Mars, voilà le problème : les plantes ont évolué sur Terre durant des centaines de millions d’années et ne sont absolument pas adaptées à d’autres conditions. Comme l’être humain, d’ailleurs. La possibilité d’utiliser des serres reproduisant les conditions terrestres, comme sur la Lune, reste une option.

Un article paru en 2018 sur le site The Conversation propose une alternative plus ambitieuse basée sur la biologie synthétique pour mettre au point des organismes capables de résister aux conditions martiennes :

Cela comprend l’amélioration de la photosynthèse et de la photoprotection (pour aider à protéger les plantes de la lumière du soleil et des rayons UV), ainsi que la tolérance à la sécheresse et au froid des plantes, ainsi que la conception de cultures fonctionnelles à haut rendement. Nous devons également modifier les microbes pour détoxifier et améliorer la qualité du sol martien.

Adapter nos plantes aux conditions de Mars est une idée, adapter les conditions de Mars à nos plantes en est une autre : c’est la fameuse terraformation, qui viserait à transformer la planète rouge en une seconde planète bleue.

Mars terraformé. (crédits : Daein Ballard)

Pour l’homme dans l’espace, pour l’homme sur Terre

Tout cela peut sembler flou, lointain et peut-être futile. Mais les premières réflexions des problèmes qui se poseront à l’humanité dans les décennies à venir – si tant est qu’elle poursuive ses rêves d’exploration spatiale – doivent être menées dès maintenant.

Quoiqu’il en soit, ces études, ces expériences de pensée, ces premières ébauches fébriles d’agriculture spatiale ne sont pas seulement utiles à l’astronaute ou aux futurs et très hypothétiques colons martiens. Leurs applications peuvent également être utilisées sur Terre, dans des zones urbaines peu propices à l’agriculture ou sujettes à des conditions climatiques difficiles. Et qui le seront de plus en plus. Comment nourrir l’homme, dans un monde qui se réchauffe ? La Terre ne sera bientôt plus le paradis qu’elle est aujourd’hui pour l’homme et pour son agriculture, hélas, et il faudra donc s’adapter ou disparaître. Puisque partir n’est pas encore à notre portée.

4 Commentaires

  1. Conclusion de l’article: « Comment nourrir l’homme, dans un monde qui se réchauffe ? La Terre ne sera bientôt plus […] hélas, et il faudra donc s’adapter, partir, ou disparaître. »

    Cette saloperie délirante est de plus en plus présente, jusque dans des article de presse!

    C’est du pur délire. On a pas de planète B. On ne créera pas un écosystème viable pour l’humain sur une autre planète (et certainement pas sur Mars, sans tectonique, ni géomagnétisme).

    Mais ça permet de continuer à consommer sans limites, à saloper la planète en gardant bonne conscience: de toute façon, on en aura bientôt une autre çà détruire…

    Ça me fais franchement peur ce genre de mentalité…

    1. Bonjour,
      J’ai été mal compris (et je me suis mal exprimé, sans doute). Je suis écologiste et je crois que l’espace doit nous aider à comprendre combien la Terre est fragile (surtout vue de là-haut) et combien l’exploration spatiale est compliquée (mais fascinante).
      La conclusion de cet article c’est que l’agriculture spatiale n’en est qu’à ses balbutiements, mais qu’elle n’est pas pour autant inutile et qu’elle pourrait bénéficier à notre planète. J’ai modifié légèrement la dernière phrase.
      (Sinon, merci de rester courtois, et pour information ceci n’est pas un article de presse mais un article de blog).

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