La science d’Interstellar – 2 – Le trou noir, Gargantua
Ce dossier se compose d’une série d’articles autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar.
1 – Les trous de ver
2 – Le trou noir, Gargantua
3 – Le tesseract
4 – Eux, les êtres du bulk
5 – Le cylindre O’Neill
Aujourd’hui, le trou noir Gargantua.
Après avoir traversé le trou de ver, Cooper et son équipe découvrent un paysage cosmique stupéfiant : un gigantesque trou noir, Gargantua, autour duquel orbitent plusieurs planètes.
Le trou noir ou l’objet cosmique fascinant par excellence
Il est invisible. Aucun télescope ne l’a jamais observé. Ce qui est logique, puisqu’il avale tout ce qui passe à la portée de son appétit gargantuesque, y compris la lumière. Rien ne ressort d’un trou noir, objet qui peut concentrer jusqu’à plusieurs milliards de masses solaires (pour rappel la masse du soleil est d’environ 2 milliards de milliards de milliards de tonnes) dans un volume extrêmement réduit.
En fait, les trous noirs sont des déformations de l’espace et du temps. L’image utilisée par Thorne est celle d’une fourmi sur un trampoline au milieu duquel est posée une pierre. Cette pierre vient déformer le tissu du trampoline. Cette fourmi est aveugle : elle ne voit ni la pierre, ni le tissu qui est déformé. Mais cette fourmi est intelligente, et elle suppose que le tissu est déformé. Pour le déterminer, elle marche en cercle dans la région supérieure du tissu, mesurant ainsi une circonférence. Puis elle marche en ligne droite le centre du trampoline, là où est posée la pierre, et rejoint le cercle de l’autre côté, calculant ainsi son diamètre. Si cet univers était plat, alors la circonférence devrait être π (Pi) multiplié par le diamètre. Or la circonférence est plus petite que le diamètre ! L’univers est donc déformé, se dit cette fourmi. Le trampoline représente l’univers, le tissu déformé le trou noir, et la pierre la singularité. La singularité est une région minuscule, un point où les forces gravitationnelles sont si intenses que l’espace, la matière et le temps n’ont plus cours de la manière dont nous les connaissons. Ce qui s’y passe est un mystère absolu.
Non seulement l’espace est déformé, comme nous venons de le voir, mais le temps l’est aussi. Inexorablement, une fois dépassé l’horizon des événements, plus rien ne peut sortir d’un trou noir, et tout est entraîné vers la singularité. Plus on s’approche de l’horizon des événements d’un trou noir, et plus le temps s’écoule lentement.
La théorie de la relativité d’Einstein démontre qu’une étoile, lorsqu’elle à court de carburant, implose. Si sa masse est trop importante, alors elle s’effondrera sous le poids de sa propre gravité.
Les trous noirs ne sont pas des objets rares dans l’univers. Rien que dans la Voie Lactée, il en existerait environ 100 millions, de taille et de masse variables. Pratiquement chaque grosse galaxie de l’Univers abrite en son cœur un trou noir supermassif. Au centre de la galaxie MGC 1277, à 250 millions d’années-lumière de la Terre, se trouve le trou noir le plus massif jamais mesuré, 17 milliards de fois plus massif que le Soleil[i] !
La représentation d’Interstellar
Elle serait, la presse généraliste n’a pas manqué de le souligner à la sortie du film, d’un réalisme si extrême qu’elle aurait permis à la science d’avancer sur la question des trous noirs ! Ici, point d’aspirateur cosmique ou de tourbillon infernal, que les amateurs de science-fiction sont d’ordinaire habitués à voir en lieu et place d’un trou noir. Gargantua est un cercle entièrement noir, entouré d’un anneau de lumière appelé disque d’accrétion.
Le travail de Kip Thorne
Comment représenter un objet invisible ? Comme expliqué précédemment, nous connaissons les trous noirs uniquement grâce à l’influence qu’ils exercent sur les objets célestes aux alentours. La théorie de la relativité d’Einstein, qui régit justement les comportements de ces objets, permet de déduire facilement toutes les priorités d’un trou noir à partir de deux propriétés principales : sa masse et son moment cinétique (et éventuellement sa charge électrique). Celles-ci influent sur les objets aux alentours ; dans le cas d’Interstellar, la planète de Miller, qui orbite justement autour de Gargantua.
A partir de cette masse et de ce moment cinétique, l’astrophysicien peut déduire la taille du trou noir, sa force gravitationnelle, la manière dont il réfléchit les objets derrière lui, etc. Tout.
Comme l’explique Kip Thorne, que ces deux simples propriétés puissent en dire autant sur un trou noir est intriguant tant cela diffère de l’expérience de la vie quotidienne.
C’est comme si, à partir de ma taille et de la vitesse à laquelle je cours, vous pourriez déduire la couleur de mes yeux, la taille de mon nez, mon QI, etc.
L’influence de Gargantua sur la planète de Miller
La planète de Miller est suffisamment proche de Gargantua pour en subir les effets, et suffisamment éloignée pour survivre et ne pas être aspirée. Autrement dit, elle ne pourrait pas être placée plus près. C’est cette proximité qui rend possible la dilatation temporelle que nous expliquerons plus tard.
A partir des effets de la force gravitationnelle de Gargantua sur la planète de Miller, Thorne a calculé la masse du trou noir : elle est de 100 millions de masses solaires, pour une circonférence d’1 milliard de kilomètres. Le rayon d’un trou noir étant égal, selon les physiciens, à sa circonférence divisé par 2π (environ 6,28), alors le rayon de Gargantua est d’environ 150 millions de kilomètres (environ la distance Terre-Soleil).
Quant à sa vitesse de rotation, de même elle est extrêmement élevée, proche du maximum rendu possible par les lois de la physique.
C’est par contrainte scénaristique que Thorne a doté son trou noir de propriétés aussi exceptionnelles. Christopher Nolan voulait en effet que le temps soit extrêmement dilaté sur la planète de Miller, la première visitée par Cooper après avoir traversé le trou de ver. Une heure sur cette planète équivaut en effet à sept années sur Terre ! Thorne se rappelle :
Je ne croyais pas cela possible et l’ai indiqué à Chris qui a insisté : « c’est non négociable ! »
Thorne s’est donc mis au travail et à découvert que si la planète de Miller était suffisamment proche du trou noir sans tomber dedans, et que si le trou noir tournait suffisamment vite, cette dilatation du temps était possible. Peu probable, mais scientifiquement possible.
Qu’est-ce que le disque d’accrétion ?
Un magnifique halo de lumière jaune-orange entoure Gargantua, visuellement similaire aux anneaux de Saturne. C’est ce qu’on appelle un disque d’accrétion, soit de la matière en orbite autour d’un objet céleste. Ici, il s’agit de gaz chaud. Un disque d’accrétion émet normalement de telles radiations (rayons x, rayons gamma, ondes radio et lumières) qu’il grillerait instantanément n’importe quel être humain à proximité. C’est pour cette raison que le disque d’accrétion de Gargantua est anémique, c’est-à-dire avec un gaz qui ne dépasse pas plusieurs milliers de degrés (au lieu des centaines de millions de degrés de certains quasars). Il diffuse beaucoup de lumière, mais peu de rayons X ou gamma.
Visuellement, le disque est troublant : plutôt que de passer derrière Gargantua (comme les anneaux d’une planète comme Saturne), celui-ci semble l’entourer ! C’est à cause de l’effet dit « de lentille gravitationnelle » du disque par le trou noir[ii]. Pour être plus clair, il s’agit tout simplement d’un mirage qui dévie les rayons lumineux à cause de la courbure de l’espace-temps provoquée par Gargantua.
Ce trou noir est-il réaliste ?
Pour un film hollywoodien à grand spectacle, il l’est. Il a en plus le mérite de présenter au grand public un objet fascinant, encore mystérieux, sans tomber dans le sensationnalisme ou le grotesque. Cependant, cette représentation n’est ni totalement fidèle, ni même unique. Dès 1979, comme il l’explique dans un article de son blog[iii], l’astrophysicien français Jean-Pierre Luminet, présente par une simulation sur ordinateur un trou noir entouré d’un disque d’accrétion. En 1991, une vidéo en sera tirée. Cette vidéo est autrement plus réaliste que le trou noir d’Interstellar, et pour une raison simple : elle prend en compte l’asymétrie existante dans le disque d’accrétion, appelée effet Dopler.
Thorne n’est évidemment pas sans ignorer cet effet. Il n’en parle pas dans The Science of Interstellar, mais a promis à Luminet d’y consacrer un article scientifique. Cette omission était selon lui nécessaire pour la compréhension du grand public.
Comme il l’écrit :
Pour la toute première fois dans un film hollywoodien, un trou noir et son disque est représenté comme un être humain le verra quand nous aurons inventé le voyage interstellaire.
[i] http://www.space.com/18668-biggest-black-hole-discovery.html
[ii] http://www.astronomes.com/la-fin-des-etoiles-massives/lentille-gravitationnelle/
[iii] http://blogs.futura-sciences.com/luminet/2014/11/01/interstellar-trou-noir-hollywood-1/
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