L’agriculture spatiale – 3 – La question de l’eau
En janvier 2019, la Chine annonce avoir fait pousser les premières plantes sur la Lune, à bord de son rover Chang’e 4. Malheureusement, elles sont mortes quelques jours plus tard. Même si l’expérience s’est terminée là, elle aura mis le sujet de l’agriculture spatiale sur la table. Car dès lors que l’homme voudra s’éloigner de son berceau, il faudra fatalement penser à son alimentation, non seulement dans l’espace mais aussi à destination.
1 – Fermes cosmiques
2 – Nouveaux sols fertiles
3 – La question de l’eau
Il n’y a pas d’homme sans eau
Dans l’espace, c’est évident, l’homme n’ira pas loin sans eau. Après tout, le corps humain est composé d’environ 65% d’eau, et on estime que près d’un octillion de molécules d’eau traversent chaque jour notre corps. Un octillion ? Tout simplement 1 000 000 000 000 000 000 000 000 000 de molécules d’eau, voilà. Certains organes contiennent plus d’eau que d’autres : ainsi le cerveau en contient 79%, le plasma sanguin 90% ; contre 23% dans les os, et seulement 1% dans l’ivoire des dents ! Le corps élimine 2,4 litres d’eau par jour, principalement par la respiration, la transpiration et dans les urines. Ces pertes doivent être compensées par des apports en eau suffisants, à travers l’alimentation et la boisson. Un homme ne peut guère vivre plus de deux à trois jours sans eau.
L’eau est également indispensable à la production de notre alimentation. L’agriculture ne peut évidemment pas s’envisager sans eau. A titre d’exemple, qu’elle soit apportée naturellement par l’environnement, ou artificiellement par l’homme, il faut près de 600 litres d’eau pour produire un kilo de blé, 900 pour un kilo de soja, et pas moins de 13 500 pour un kilo de viande de bœuf ! Et les différentes méthodes d’agriculture spatiale évoquées dans les deux premières parties de ce dossier nécessitent toutes de l’eau.
Bref, à moins d’abandonner son enveloppe biologique, l’exploration spatiale de l’espace par l’homme passe forcément par la question de l’eau. Une question qui deviendra d’autant plus complexe et fondamentale à mesure qu’il s’éloignera de la Terre. Comment la transporter, la produire, la stocker, l’utiliser ?
L’eau sur la Station
La Station spatiale internationale (ISS) est située à quelques quatre-cent kilomètres au-dessus de nos têtes, et abrite généralement un équipage de six astronautes. Ils disposent d’un distributeur d’eau, utilisé à la fois pour remplir des pochettes en aluminium de boisson, pour hydrater les aliments, et pour humidifier des lingettes utilisées pour la toilette corporelle. Chaque membre de l’équipage consomme ainsi quotidiennement environ 3,5 litres d’eau.
Envoyer un litre d’eau dans l’espace étant extrêmement coûteux, le rationnement et le recyclage sont essentiels. L’ISS dispose d’un stock d’environ 2000 litres d’eau, fourni lors de diverses missions d’approvisionnement. Et deux systèmes différents, l’un américain et l’autre russe, permettent de recycler l’eau, qu’elle provienne de la condensation, de la transpiration, ou encore des urines (en ce qui concerne le système américain, en tout cas).
Les missions spatiales humaines des années 60 et 70 étaient relativement courtes, et n’excédaient que rarement la douzaine de jours passés au total dans l’espace. L’intégralité de l’eau nécessaire à l’équipage pouvait donc être stockée dans les fusées.
Ce n’est plus le cas avec l’allongement de la durée des missions. La gestion de l’eau dans l’espace impose donc aujourd’hui de fermer le circuit, ou d’en faire une boucle, et de rapprocher progressivement les astronautes de l’autonomie pour réduire les approvisionnements, comme le résume un article du site de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) :
La durée des missions spatiales a commencé à augmenter graduellement, rendant nécessaire des approvisionnements supplémentaires, ce qui a commencé à poser des limites à la durée possible d’un vol. Pour réaliser des missions de longue durée, il est dès lors crucial de « fermer » un certain nombre de circuits nécessaires pour la vie.
L’eau dans l’Univers
Ceci étant dit, comment s’approvisionner en eau, bien au-delà de la Station spatiale internationale, sur la Lune, sur Mars, voire encore plus loin ? L’approvisionnement depuis la Terre, pour des raisons économiques, logistiques et éthiques, est inconcevable. Il faudra donc trouver de l’eau ailleurs, et en abondance.
Bonne nouvelle : l’Univers en regorge. Cela peut sembler a priori incongru puisque la Terre est à ce jour le seul corps céleste sur laquelle la présence d’eau liquide soit connue. Et pourtant : plus l’exploration spatiale progresse, plus l’eau semble abondante dans l’Univers.
C’est vrai dans notre Système solaire :
- La Lune semble abriter de la glace d’eau dans les cratères de ses pôles
- Mars cacherait de l’eau liquide sous sa surface
- La présence d’océans est soupçonnée sous la surface de certaines lunes de Jupiter et Saturne, comme Europe, Encelade ou Titan…
- … Et même sous la surface des planètes naines Cérès et Pluton !
- Et d’autres corps renferment également de l’eau, par exemple les comètes ou les astéroïdes
C’est aussi vrai en dehors de notre Système solaire, même si les recherches se compliquent forcément. D’innombrables planètes orbitant autour de la zone habitable d’innombrables étoiles, présentent sans doute de l’eau liquide à leur surface. L’existence de planète océans est également fortement soupçonnée, et Gliese 1214 b, située à 40 années-lumière de la Terre, serait peut-être même la première planète de ce type a avoir été identifiée.
Au-delà du sujet qui nous intéresse dans ce dossier, à savoir l’agriculture, la quête de l’eau dans l’Univers est un domaine fascinant et en pleine expansion car intimement lié à l’exobiologie, qui étudie l’apparition et le développement de la vie dans l’Univers. Il y a donc fort à parier que de futures missions viendront confirmer et préciser ces premiers éléments.
En somme, l’eau est là, et il « suffira » d’aller la chercher pour approvisionner notre future agriculture spatiale.
Dans le désert, l’or est inutile, et l’eau inestimable
De l’eau : pour boire, pour développer une agriculture, mais aussi pour fabriquer du propergol, produit utilisé pour propulser les fusées, et notamment composé d’hydrogène et d’oxygène. Faut-il le rappeler, une molécule d’eau, dont la formule est H2O, est justement formée d’un atome d’oxygène et de deux atomes d’hydrogène ! De quoi simplifier les lancements et les réapprovisionnements des futures fusées lunaires.
Dans un article consacré au sujet sur le site The Verge, Julie Brisset, Julie Brisset, associée de recherche au Florida Space Institute, explique :
L’idée serait de lancer une sorte de chaîne d’approvisionnement en dehors de la Terre pour certains produits – en particulier l’eau propulsive – afin de faciliter la navigation dans l’espace d’un corps à l’autre.
Mais comment s’y prendre, concrètement ? Les premiers essais de forage sur d’autres corps que la Terre sont extrêmement modestes. Sur Mars, le rover Curiosity creuse des petits trous de quelques centimètres dans le sol pour récupérer des échantillons et les analyser, tandis que la sonde InSightest théoriquement capable d’aller jusqu’à 5 mètres de profondeur (dans un sol exempt de roches).
Avant d’envisager un essai de grande ampleur et à visée industrielle sur la Lune, sur Mars ou ailleurs, il faudra de toute façon analyser le sol, sa consistance, et chercher le meilleur endroit pour forer, à l’aide d’atterrisseurs et de rovers : en somme, prospecter.
Irréaliste ? En tout cas envisagé ! Une table ronde s’est tenue en 2018 sur le sujet des ressources minières spatiales, à la Colorado School of Mines (Etats-Unis). L’exploitation minière lunaire, concernant principalement les gisements de glace, est estimée comme étant réalisable d’ici environ une décennie. L’incertitude, pour le moment, ne demeure pas tant sur la méthode utilisée pour extraire cette glace, mais plus sur sa composition, qui détermina ensuite la façon de l’extraire et de l’exploiter.
Philip Metzger, de l’Institut spatial de Floride, a déclaré à ce sujet :
Nous ne savons pas s’il s’agit principalement de » neige sale « ou de morceaux de glace pure de la taille d’un gravier mélangés à du régolithe, ou encore autre chose.
Et du côté de la NASA ? Après avoir annulé en 2018 la mission Ressource Prospector, qui était censée envoyer un rover vers les régions polaires de la Lune à la recherche d’hydrogène et d’oxygène, l’agence spatiale américaine a annoncé que ses instruments seraient déployés sur d’autres programmes, sans guère plus de précision pour le moment. Il est vrai que depuis, le programme lunaire s’est réorienté vers l’exploration humaine de la Lune, en commençant par la station spatiale orbitale lunaire Plateform-Gateway.
Cela n’empêche toutefois pas de poursuivre les réflexions et premières expérimentations, menées depuis déjà depuis plusieurs années. Un rapport collaboratif publié en 2018 résume l’état actuel de la recherche sur le minage lunaire, et propose un plan d’action plutôt ambitieux pour résoudre à la fois les défis techniques mais aussi juridiques qui permettront l’exploitation des futures mines lunaires par des sociétés commerciales.
Un rapport similaire publié en 2016 revenait lui sur Mars, sur les zones souterraines où l’eau est la plus facilement accessible, et sur les techniques à envisager, en se référant notamment à des tests de forage de glace effectués en Antarctique.
Il aura fallu dix mille ans pour que l’agriculture se répande sur Terre, depuis la révolution néolithique. Elle permet aujourd’hui de nourrir près de 7,6 milliards d’êtres humains. Si l’homme, par pur désir d’exploration, par volonté colonisatrice, ou tout simplement pour survivre, décide d’essaimer dans l’espace, il devra emporter avec lui son agriculture, et se fournir en eau sur place. Le défi de l’agriculture spatiale est immense, mais indispensable.
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