Sondes Voyager : et maintenant ?
Depuis quarante ans, les sondes Voyager s’éloignent de la Terre. Toutes deux actives, elles sont l’avant-poste de l’humanité dans l’espace, les derniers petits morceaux d’humanité avant l’infini. Selon la NASA, elles ont désormais toutes deux atteint l’espace interstellaire. Mission évidemment plus qu’accomplie. Alors que peut-on encore attendre d’elles ?
Deux bouteilles lancées dans l’océan cosmique
C’est un programme spatial emblématique, lancé dans la foulée des missions Apollo et qui vient conclure la guerre de l’espace que se livrent les Etats-Unis et l’Union Soviétique depuis 1957 et l’envoi du premier satellite artificiel, Spoutnik. Tout semble désormais possible : le Système solaire et ses planètes extérieures (situées au-delà de la ceinture principale d’astéroïdes, c’est-à-dire Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) sont à la portée de l’humanité.
Profitant d’un alignement planétaire exceptionnel qui ne survient qu’une fois tous les 175 ans, les sondes Voyager sont lancées en 1977. Elles utilisent le principe de l’assistance gravitationnelle pour économiser du carburant et passer rapidement d’une planète à une autre. Fournissant à la Terre de sublimes photos et des données de premier plan, elles bouleversent notre vision du Système solaire. Jupiter et Saturne dévoilent leurs lunes, dont certaines font renaître l’espoir de découvrir un jour une vie extraterrestre (Europe, Encelade ou Titan). Pour la première fois, Uranus (en 1986) et Neptune (en 1989) sont survolées par un objet de fabrication humaine, ce qui n’est plus arrivé depuis.
Les deux sondes contiennent en outre un disque comprenant une variété d’informations sur la Terre : des images de la nature, de l’être humain et de ses réalisations, des sons et des phrases prononcées dans trente-deux langues différentes, et des musiques qui vont de chants traditionnels à du rock’n’roll. Le couvercle du disque explique comment le lire et, tout comme pour les précédentes sondes Pioneer, indique la position du Soleil par rapport à la position de quatorze pulsars.
Un message du président Carter inscrit sur la sonde est destiné aux éventuelles civilisations extraterrestres qui le trouveraient :
Nous essayons de survivre à notre temps, pour que nous puissions vivre dans le vôtre. Nous espérons un jour, ayant résolu les problèmes auxquels nous faisons face, rejoindre une communauté de civilisations galactiques. Ce disque représente notre espoir, notre détermination et notre bonne volonté dans un univers vaste et impressionnant.
Comme un dernier message à sa planète d’origine avant de s’enfoncer à tout jamais dans l’infini, en 1990, la sonde Voyager 1 réalise son fameux portrait de famille du Système solaire, une série de photos prises à près de 6 milliards de kilomètres de la Terre. La Terre, justement, n’est plus qu’un petit point bleu pâle sur l’une des photos de Voyager 1, ce qui inspirera à l’astronome britannique Carl Sagan un poème mémorable.
Vers l’espace interstellaire
Mission accomplie, donc, dès 1989. Les caméras des deux sondes sont mises hors service afin d’économiser de l’énergie, et le logiciel qui les gère est désinstallé : aux confins du Système solaire, l’espace est trop sombre pour espérer distinguer quoi que ce soit sur d’éventuelles photos.
Une seconde mission est financée et lancée par la NASA dans la foulée, sous le nom évocateur et peut-être aussi trompeur de Voyager Interstellar Mission. Il faut préciser ici qui est entendu par interstellaire, pour éviter les malentendus récurrents à propos de cette mission. Il ne s’agit pas pour les sondes de se rendre au-delà de la sphère d’influence gravitationnelle du Soleil, ce qui serait tout bonnement impossible avant que les sondes n’épuisent leur carburant, et impossible également de notre vivant. La question de savoir où s’arrête précisément notre Système solaire n’est pas encore résolue, mais il s’étend au moins jusqu’au fameux nuage de Oort, un ensemble sphérique de comètes située jusqu’à environ une année-lumière du Soleil, soit près de 10 000 milliards de kilomètres ! Pour rappel, Voyager 1 se trouve à seulement 21 milliards de kilomètres du Soleil… Il lui faudra 30 à 40 000 ans pour traverser le nuage d’Oort, et donc véritablement quitter la sphère d’influence gravitationnelle du Soleil.
Mais alors, de quoi parle-t-on ? De la sortie de l’héliosphère, la sphère d’influence magnétique du Soleil, une zone produite par les particules du vent solaire. La limite de l’héliosphère est appelé e l’héliopause. Au-delà, le vent interstellaire l’emporte sur le vent solaire. Il faut imaginer deux cailloux qui seraient lancés dans l’eau et produiraient des vaguelettes qui, bientôt, viendraient à se rencontrer. Les vaguelettes d’un premier caillou, le Soleil, entrent en conflit avec celles du second caillou, le milieu interstellaire.
Et donc, les sondes Voyager ont bien franchi l’héliopause : en 2012 pour Voyager 1, et en 2018 pour Voyager 2. Cela, nous le savons notamment grâce au Plasma Science Experiment, un outil embarqué sur les deux sondes (mais seulement opérationnel sur Voyager 2) capable détecter la vitesse, la densité, la température, le flux et la pression des vents solaires. Début novembre, Voyager 2 mesure une baisse notable du flux de particule du vent solaire, et une augmentation du rayonnement cosmique.
Les sondes Voyager ont dont quitté l’influence magnétique du Soleil, plus de quarante ans après leur lancement, mais pas son influence gravitationnelle.
Comme le résume l’astrophysicien français Jean-Pierre Luminet sur son blog, à chaque domaine sa définition du Système solaire :
Quand on est astronome, on s’attache avant tout aux diverses manifestations du rayonnement électromagnétique, et à cet égard l’influence de notre étoile cesse là où s’arrête le vent solaire. Quand on est astrophysicien, c’est la gravitation qui prime, car c’est elle qui organise la cohérence des systèmes planétaires. Or, l’empire gravitationnel du Soleil s’étend mille fois plus loin que son empire magnétique.
Le songe palliatif
Les sondes Voyager symbolisent parfaitement l’exploration spatiale. Des missions grandioses qui bouleversent notre vision du ciel, et rappellent ce que l’humanité est capable de concevoir par simple désir de voir ce qu’il y a au-delà de l’horizon, fut-ce un autre continent ou une autre planète. Grandioses mais aussi frustrantes, parce qu’au-delà de notre environnement cosmique proche, qui nécessite déjà des missions de plusieurs décennies pour être exploré, il n’y a plus rien d’accessible à échelle d’homme, voire à échelle de civilisation. Il ne reste alors plus que le rêve…
A mesure que les sondes s’éloignent de leur berceau et s’enfoncent dans la nuit, elles inspirent la culture populaire.
Dans Star Trek : le film (1979), qui se déroule en 2272, une mystérieuse sonde appelée V’Ger approche la Terre à la recherche de ce qu’elle appelle son créateur. Il s’agit en fait de la sonde Voyager 6, lancée au XXe siècle et dont la plaque désormais altérée ne laisse plus apparaître que les lettres V, G, E et R. Celle-ci a disparu dans un trou noir et a été modifié sur une planète habitée par des machines, accédant à une forme de conscience.
Dans un épisode de la série Big Bang Theory, le personnage de Raj explique que lorsqu’il a peur, il pense à la sonde Voyager :
Quand je suis né, la mission Voyager 1 était censée être terminée. Elle avait survolé Jupiter et Saturne et toutes leurs lunes, mais elle continuait à avancer. Quand j’ai quitté l’Inde pour l’Amérique, je n’ai jamais eu aussi peur de tout ma vie, je n’avais aucune idée de ce qui nous attendait. Chaque fois que j’ai peur, je pense au fait que Voyager 1 est toujours quelque part au-delà de notre système solaire, allant plus loin que personne ne l’aurait jamais pensé.
Dans le jeu-vidéo Elite Dangerous (2014), qui simule notre galaxie, les deux sondes peuvent être approchées.
Il faut aussi mentionner cette étrange rumeur apparue en 2017 qui expliquait que Voyager 2 avait été mystérieusement piratée en 2010, probablement par une civilisation extraterrestre. Cette rumeur est née d’un communiqué de la NASA expliquant que les données envoyées par la sonde n’étaient plus lisibles suite à un problème informatique, la valeur d’un bit de l’un des ordinateurs étant passée de 0 à 1. Un problème corrigé en réinitialisant l’ordinateur, et qui a suffi à un pseudoscientifique allemand pour déclarer que des aliens en étaient responsables. Il s’agirait plutôt de rayonnements cosmiques, dont les effets sur les systèmes informatiques sont bien connus sur Terre, et certainement amplifiés dans l’espace.
Aux confins du temps
Que peut-on désormais attendre des sondes Voyager ? Elles vont poursuivre leur voyage, tout simplement. Sans instrument, par contre, ni moyen de communiquer avec la Terre : d’ici 2025 à 2030, toute leur énergie sera épuisée.
Voyager 1 devrait approcher le nuage d’Oort d’ici environ 300 ans, pour en ressortir dans près de 30 000 ans. D’ici 40 000 ans, elle passera à 1,6 années-lumière de l’étoile Gliese 445. Voyager 2, elle, passera à 1,7 années-lumière de l’étoile Ross 248, également d’ici 40 000 ans, où elle sera alors l’étoile la plus proche de notre Soleil. Sa prochaine destination sera l’étoile Sirius, l’étoile la plus brillante de notre ciel nocturne, qu’elle approchera à une distance de 4,3 années-lumière, dans environ 298 000 ans.
Et ensuite ? Un article de National Geographic s’est penché sur la question. Il leur faudra déjà plusieurs millions d’années (5,7 pour Voyager 1 et 6,3 pour Voyager 2) pour traverser la Bulle locale, la zone relativement vide dans laquelle se trouve notre Système solaire, probablement causée par l’explosion de supernovas.
La trajectoire des sondes pourrait ensuite être perturbée par des planètes errantes, qui n’orbitent autour d’aucune étoile, et dont on suppose qu’elles pourraient être des milliards dans notre galaxie. En définitive, elles orbiteront autour du centre de la Voie Lactée, avec des périodes orbitales de 225 à 250 millions d’années. Et cela, probablement, jusqu’à ce que notre galaxie voisine, Andromède, fusionne avec la Voie Lactée, dans 4 milliards d’années, redessinant une nouvelle trajectoire pour les sondes. Elles survivront peut-être ainsi à la mort de notre Soleil, dans 5 à 7 milliards d’années. La Terre, elle, n’est déjà plus habitable depuis longtemps.
Bien sûr, il est possible de spéculer sur d’autres destins : un impact micro-météoritique qui endommagerait ou détruirait l’une des sondes ou, impossible de ne pas y penser, leur découverte par une civilisation extraterrestre…
Comme la NASA l’indique sur sa page consacrée à la mission interstellaire du programme Voyager :
Les sondes Voyager sont destinées – peut-être éternellement – à errer dans la Voie Lactée.
Peut-être qu’il ne restera alors plus rien de l’homme, plus rien de la Terre ni de la Lune, et que ces minuscules sondes comportant des fragments épars de nos vies demeureront à jamais les seuls témoignages de notre existence dans cet Univers qui sera, lui aussi, irrémédiablement appelé à disparaître à son tour.