Science-fiction

La forêt sombre – Liu Cixin

Prudence : cet article révèle des éléments majeurs de l’intrigue !

La forêt sombre est une course : comment l’humanité peut-elle faire face à l’arrivée inexorable, dans quatre siècles, d’une civilisation extraterrestre belliqueuse et technologiquement très avancée ? Une course longue à l’échelle d’une vie, courte à l’échelle cosmique, où les égoïsmes individuels devront nécessairement s’écraser face à l’enjeu civilisationnel.

Le paradoxe de Fermi

La forêt sombre, paru en 2017 en France, est le deuxième tome de la trilogie culte de l’auteur chinois Liu Cixin. Elle raconte la prise de contact entre l’humanité et une civilisation extraterrestre, les Trisolariens. Ceux-ci, à la recherche d’une nouvelle planète, ont envoyé une flotte de vaisseaux destinée à anéantir l’humanité. Le voyage prendra quatre siècles : à charge pour l’humanité de se préparer au combat.

Ce n’est pourtant pas le développement des technologies spatiales qui permettra aux hommes de vaincre l’ennemi : quoiqu’ils fassent, ils perdront, puisque leur développement technologique est ralenti par une arme trisolarienne décrite dans le premier tome de la trilogie. En fait, la solution est esquissée dès les premières pages de La forêt sombre. Elle s’appuie sur l’une des solutions au très célèbre paradoxe de Fermi.

Le paradoxe de Fermi, du nom du physicien italien qui l’a mis en évidence en 1950, peut être énoncé de la manière suivante : où sont les extraterrestres ? Les discussions autour de ce paradoxe sont absolument passionnantes, et de très nombreux éléments de réponse ont déjà été esquissés. A moins que nous ne découvrions la preuve de l’existence d’une vie extraterrestre, ou la preuve que nous sommes au contraire absolument seuls dans l’Univers, le paradoxe restera irrésolu, générant quantités de solutions hypothétiques.

Le titre du roman, La forêt sombre, intriguant de prime abord, est en fait une métaphore de la solution apportée par l’auteur au paradoxe de Fermi. Celle-ci part de deux axiomes auxquels sont soumises les civilisations cosmiques :

  • La survie, nécessité première de toute civilisation
  • Leur croissance et leur expansion progressive, alors que la quantité totale de matière disponible dans l’Univers est constante

Evidemment, l’Univers est grand. Mais l’expansion d’une civilisation est très rapide, et exponentielle. Si d’aventure elle parvient à devenir une civilisation spatiale, elle peut épuiser rapidement l’énergie de son étoile, voire de sa galaxie toute entière.

Dans le roman, le personnage de Luo Ji explique :

Une fois qu’une civilisation a maîtrisé une technologie au-delà d’un certain seuil, l’expansion de la vie dans l’Univers devient terrifiante. Par exemple, prenons la vitesse de navigation humaine actuelle. Dans un million d’années, la civilisation terrestre pourra occuper la totalité de la galaxie. Un million d’années, à l’échelle cosmique, c’est court !

Luo Ji va plus loin. Pour toute civilisation, exposer sa présence dans le cosmos est dangereux. Si d’aventure une civilisation en détecte une autre, elle n’a aucun moyen de savoir si celle-ci est bienveillante ou malveillante. Et s’ajoute l’inévitable suspicion, amplifiée par les difficultés de communication inhérentes aux distances cosmologiques. En clair : dévoiler son existence à cette civilisation ou la laisser survivre est une attitude dangereuse. Il ne reste donc qu’une seule option : la détruire.

Quelles intrigues cosmiques se trament dans notre galaxie ?

Quarantaine cosmique

Le cosmos est donc cette forêt sombre, où rôdent des civilisations qui, fusil à la main, tâchent de rester silencieux et de se glisser entre les arbres, prêt à dégainer dès qu’une cible passe à sa portée…

Dans son livre Where is everybody ?, le physicien Stephen Webb explore cinquante solutions au paradoxe. La plus étonnante est celle de la quarantaine cosmique, similaire à l’idée de la forêt sombre du roman de Cixin. Elle explique que le voyage interstellaire est si complexe que la plupart des civilisations s’éteignent de toute façon avant d’avoir les ressources nécessaires pour pouvoir ne serait-ce que l’envisager. Et si d’aventure une civilisation y parvient malgré tout ? Elle serait éradiquée par la potentielle civilisation leader de la galaxie, qui aurait rapidement noté ses velléités de colonisation spatiale. Une sorte de mesure hygiénique, destinée à prévenir l’expansion trop vaste d’un pathogène appelé à rapidement devenir trop gourmand en ressources…

Voilà qui rappelle en tout cas les craintes de Stephen Hawking, qui déconseillait de tenter d’entrer en communication avec d’éventuelles civilisations extraterrestres :

Nous n’avons qu’à nous regarder en face pour voir combien la vie intelligente peut évoluer vers quelque chose que nous n’aurions pas envie de rencontrer. Je les imagine vivre dans d’énormes vaisseaux, ayant consommé l’intégralité des ressources de leur planète-mère. De tels extraterrestres pourraient peut-être devenir nomades, cherchant à conquérir et coloniser les planètes qu’ils pourraient atteindre.

Alors, ne vaudrait-il mieux pas rester muet dans la forêt, comme tous les autres chasseurs qui rôdent autour de nous ?

5 Commentaires

  1. Une excellente trilogie dont J’ai dévoré les 2 premiers tomes et j’attends évidemment le 3ème avec impatience. C’est de la SF comme je l’aime où on retrouve de la science (physique, cosmologie, mathématiques…) ainsi que des technologies récentes (IA, cryogénié…), tout cela mis en scène dans une super intrigue. Franchement, je ne peux que la conseiller aux amateurs de SF.
    Par contre, si vous parlez de cette trilogie, vous avez maintenant l’obligation (^-^) faire un article sur la série de romans « The Expanse »

  2. Bonjour et merci pour cette chronique ! Je viens juste d’achever La forêt sombre et je suis enthousiasmé à la fois par l’ambition, le souffle et la complexité de cette œuvre. Je plonge maintenant avec délectation dans La mort immortelle. A mon sens, cet auteur mérite tout à fait d’intégrer le panthéon des grands auteurs de science-fiction, juste à côté de Frank Herbert (dont je viens de voir au cinéma, avec plaisir, le Dune de Denis Villeneuve) ou Isaac Asimov (auquel Liu Cixin se réfère d’ailleurs dans Le problème à trois corps). Alors pas d’hésitation, laissez-vous tenter par le voyage !

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