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Vivons-nous dans une simulation informatique ?

Cette hypothèse semble tirée d’un récit de science-fiction, et ses conséquences donnent le vertige. Elle est pourtant envisagée par certains chercheurs. Et si notre Univers n’était qu’une simulation informatique ?

La cuillère n’existe pas

Que de chemin parcouru depuis le dépouillement de la représentation d’un match de tennis dans Pong jusqu’aux rues ultra-détaillées de Gran Theft Auto V ou des sublimes planètes de la simulation spatiale Elite : Dangerous ! Les qualités des mondes virtuels dépeints par les jeux-vidéos, qu’elles soient graphiques, scénaristiques ou narratives, réussissent durant un temps à nous faire oublier le monde réel, physique, tangible, et à nous accrocher devant une suite ininterrompue de 0 et de 1.

A gauche, Pong (1972). A droite, le jeu de tennis de GTA V (2013).
A gauche, Pong (1972). A droite, le jeu de tennis de GTA V (2013).

Les progrès de l’informatique en générale sont de toute façon ahurissants, et ce dans tous les domaines d’application. Deux exemples parmi tant d’autres :

  • Les ordinateurs sont aujourd’hui capables de cartographier avec une précision extraordinaire les milliards de galaxies voisines de la Voie Lactée.
  • Le projet Blue Brain d’IBM tente de reconstituer de manière informatique un cerveau humain.

Et tout cela en quelques décennies seulement. De quoi sera capable l’informatique dans seulement un siècle ? Et dans mille ans ?

Cosmographie de l'Univers observable : vous êtes ici !
Cosmographie de l’Univers observable : vous êtes ici !

La science-fiction s’est évidemment emparée du thème depuis longtemps : l’ordinateur, nous raconte-t-elle parfois, sera capable de simuler un monde virtuel avec tant de précisions qu’il sera en tout point conforme au nôtre.

Matrix (1999).
Matrix (1999).

En s’inspirant de ces œuvres, la trilogie Matrix, des frères Wachowski, porta ce thème jusqu’au grand public. A la fin de Matrix, tout spectateur se pose la question : et si ? Et si nous vivions, nous aussi, dans une simulation informatique ?

Ce qui peut sembler de prime abord farfelu est pourtant sérieusement envisagé par les partisans de ce qui est appelé « l’hypothèse de simulation ». Bien sûr, ces théories demeurent hautement controversées, complètement hypothétiques ; mais aussi tout à fait fascinantes…

Nick Bostrom. Son nom est cité de manière récurrente dans les papiers consacrés à cette hypothèse. Nick Bostrom est l’auteur d’un article précurseur, paru en 2003 dans la revue Philosophical Quarterly, et intitulé Are You Living In a Computer Simulation? (Vivez-vous dans une simulation informatique ?).

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, Bostrom n’est pas un partisan absolu de l’hypothèse de simulation (the simulation argument). Le point d’interrogation à la fin du titre de son article n’est d’ailleurs pas là par hasard. En fait, Bostrom écrit que l’un au moins des trois postulats suivants est avéré :

  • L’humanité s’éteindra probablement avant d’atteindre un stade post-humain (ou transhumaniste)
  • Il est peu probable qu’une civilisation post-humaine puisse créer des simulations informatiques de la réalité
  • Nous vivons certainement dans une simulation informatique

En résumé, l’idée est la suivante : la probabilité que nous devenions un jour post-humains et développions des simulations informatiques de notre passé est faible, si cela arrive néanmoins alors nous vivions sans doute déjà dans une simulation.

D’accord, mais post-humain, ça veut dire quoi ?

Transhumanisme : de l’Homme qui valait trois milliards à Matrix

Le post-humanisme fait référence au transhumanisme, un courant intellectuel en vogue, dont le pape est américain et s’appelle Ray Kurzweil. Il est l’auteur de la Bible des transhumanistes, Singularity is Near : When humans transcend Biology. Tout est déjà dans le titre, résumé des 600 pages du livre.

Par le truchement des révolutions dans le domaine de la génétique, de l’intelligence artificielle et des nanotechnologies, les transhumanistes croient que l’humanité parviendra à un stade particulier de son évolution technologique, suite à un événement fondateur appelé la Singularité.

Ray Kurzweil
Voici Ray Kurzweil. Bonjour, Ray. Ray veut devenir le premier homme immortel, il a donc tout intérêt à ce que la Singularité survienne rapidement, puisqu’il est né en 1948. En attendant, Ray survit en gobant 150 pilules de vitamines et d’antioxydants par jour.

Kurzweil écrit :

La Singularité représentera le point culminant de l’osmose entre notre mode de pensée biologique et l’existence avec notre technologie. Le résultat sera un monde toujours humain mais qui transcendera nos racines biologiques. Il n’y aura plus de distinction entre les humains et la machine ou entre la réalité physique ou virtuelle.

Pour les transhumanistes, la singularité est un changement radical, inéluctable, et les prédictions s’accordent à dire qu’elle est prévue entre les années 2030 et 2050.

Comment un tel changement de paradigme peut-il arriver si vite ? C’est que les transhumanistes pensent que la croissance du développement technologique n’est pas linéaire mais exponentielle.

Dans une tendance linéaire, le progrès se développe par un facteur additionnel : 1, 2, 3, 4, 5, etc.
Dans une tendance exponentielle, le progrès se de développe par un multiplicateur : 1, 2, 4, 8, 16, 32, etc. A un moment, le progrès accélère puis explose soudainement, pour atteindre un rythme de croissance phénoménal.

Cette croissance exponentielle se fonde sur la célèbre loi de Moore, du nom d’un ingénieur d’Intel : le nombre de transistors des microprocesseurs double tous les dix-huit mois. En somme, la puissance augmente, tandis que le prix diminue.

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Partant de ce principe, Kurzweil, dont l’approche englobe toute l’histoire de l’univers depuis le Big-Bang jusqu’au moment où arrive la Singularité, distingue six époques de l’évolution :

  • Epoque 1 : la physique et la chimie, quelques centaines de milliers d’années après le Big-Bang, la formation des atomes, la création des molécules.
  • Epoque 2 : la biologie et l’ADN, et le début de la vie, il y a plusieurs milliards d’années.
  • Epoque 3 : la capacité de certains animaux à analyser et stocker de l’information grâce à leur cerveau.
  • Epoque 4 : l’apparition de la technologie et son évolution.
  • Epoque 5 : la fusion de la technologie humaine avec l’intelligence humaine, ou la Singularité.
  • Epoque 6 : le réveil de l’univers, la redéfinition des notions d’espace et de temps, la réorganisation de la matière et de l’énergie, la multiplication de l’intelligence par des milliards et des milliards de fois. Concepts nébuleux extrêmement difficiles à prévoir et trop complexes pour nos cerveaux uniquement biologiques très imparfaits !

Le post-humanisme fait référence à l’époque 5, le moment où l’homme transcende sa condition d’humain.

Pour Nick Bostrom, une telle débauche de technologie, si tant est qu’elle soit possible, amènerait sans doute nos descendants post-humains à créer des simulations de leur passé sur leurs ordinateurs, des simulations de la vie de leurs ancêtres (vous et moi). A supposer que ces simulations de leurs ancêtres disposent d’une conscience (certes, cela fait beaucoup de suppositions), alors il est rationnel de penser que nous sommes nous-mêmes issus d’une telle simulation. Au contraire, si nous ne sommes pas issus d’une de ces simulations informatiques, alors il y a fort à parier que nos descendants ne seront jamais en mesure de les générer.

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Si nous parvenons au stade post-humain,et que nous créons des simulations, alors nous sommes très certainement issus d’une telle simulation. CQFD !

Les détracteurs

Depuis 2003 et la publication de l’article original de Bostrom, l’hypothèse de simulation enflamme Internet.

Pour le physicien américain Max Tegmark, auteur du livre Notre Univers Mathématique, longue quête d’un chercheur sur la nature ultime de la réalité, l’argument de la simulation est invalide, pour principalement deux raisons :

  • Si le post-humanisme permet la création de simulation, et si nous sommes une simulation, alors nous pourrons nous aussi créer des simulations une fois parvenus à la Singularité. Nous sommes alors sans doute une simulation, dans une simulation, dans une simulation, et ainsi de suite jusqu’à l’infini, en une espèce de mise en abîme aussi vertigineuse qu’absurde.
  • Tegmark souligne ensuite que tenter de définir les ressources en calcul de notre univers simulé est inutile : il faudrait définir celles de l’univers dans lequel a lieu la simulation ; et de celui-là nous ne savons absolument rien.

Un autre argument est celui de la complexité nécessaire pour faire tourner une telle simulation. Premièrement, la Loi de Moore est régulièrement remise en cause (à cause de la limite physique de la taille des composants informatiques : on ne pourra pas toujours les miniaturiser !), éloignant notre civilisation de la possibilité d’atteindre la Singularité. Deuxièmement, nos descendants pourront-ils vraiment simuler un Univers sur un ordinateur contenu lui-même à l’intérieur de cet Univers ? La puissance de calcul de l’Univers est estimée à environ 10120 bits. Un ordinateur capable de simuler notre Univers à la perfection doit donc disposer d’une puissance de calcul encore plus importante : comment est-ce possible alors qu’il est contenu à l’intérieur de ce même Univers ?  Ne serons-nous capables que de réaliser des simulations approximatives, compressées, grossières, de la même manière que compte tenu de ses capacités techniques un DVD est loin de fournir la même qualité d’image qu’un Blu-Ray ?

La simulation d'Univers, comme la restauration de tableaux, est un art complexe !
La simulation d’Univers, comme la restauration de tableaux, est un art complexe !

Les partisans de l’hypothèse de réalité répliquent en affirmant que la complexité de l’Univers est surestimée : une structure sous-jacente relativement simple régit l’univers, de laquelle découlent ensuite tous les phénomènes physiques. Simuler un Univers serait plus simple, ou en tout cas pas forcément plus compliqué, que simuler un cerveau.

Le débat se concentre surtout sur une question récurrente : s’agit-il bien encore là de physique, de science dure, ne sommes-nous pas déjà en train de pérorer sur des questions métaphysiques ?  N’est-ce pas simplement de la pure science-fiction ? Pour le savoir, une seule solution : place à l’expérience.

Vers l’expérience : confirmer ou infirmer l’hypothèse de simulation

Une méthodologie particulière du physicien Martin Savage et de ses collègues des Universités de Washington (Etats-Unis) et de Bonn (Allemagne) propose d’étudier les éventuelles signatures, ou traces, qu’une simulation pourrait laisser sur notre Univers, en partant du postulat que les méthodes de simulation et les algorithmes utilisés aujourd’hui seront utilisés dans le futur, même de manière parcellaire. Il faut bien disposer d’éléments de comparaison.

Car oui, nos supercalculateurs modernes sont bien en train d’essayer de simuler notre Univers. Ce champ de recherche fascinant n’en est encore qu’à ses balbutiements, et les résultats sont pour le moins primitifs… Nous sommes capable de simuler une minuscule partie de notre Univers, pour le moment, d’une taille de quelques femtomètres, sachant qu’un femtomètre est égal à 10-15 mètres (soit 0,000 000 000 000 001 mètre) !

Dans ces univers informatiques primitifs, mathématiciens et physiciens tentent notamment de récréer l’une des quatre interactions fondamentales qui régissent tous les phénomènes physiques observés dans l’Univers :

  • L’interaction nucléaire forte
  • L’Interaction électromagnétique
  • L’interaction faible
  • Et bien sûr la gravitation

Inutile de rentrer dans les détails, notez toutefois que la simulation informatique de l’interaction nucléaire forte est extrêmement complexe, et nécessite la création d’un maillage particulier, appelé QCD sur réseau. QCD, ici, est l’acronyme de chromodynamique quantique : la théorie qui décrit physiquement l’interaction forte.

Ce maillage, cet outil particulier mis en place pour pallier à la complexité de la simulation de l’interaction forte, pourrait être la signature indiquant que notre Univers lui-même est une simulation, si tant est qu’il ait été utilisé par nos descendants (ou bien une autre civilisation dont les ordinateurs font tourner notre Univers). Comment ? Par l’observation des rayons cosmiques, qui ne réagiraient pas de la même manière en présence d’une QCD sur réseau…

Trouverons-nous un jour l'indice en faveur de l'hypothèse de simulation ? (The Truman Show, 1998)
Trouverons-nous un jour l’indice en faveur de l’hypothèse de simulation ? (The Truman Show, 1998)

Bien, mais cette expérience ne donnera pas de résultats tangibles avant plusieurs décennies, au mieux. Que reste-t-il faveur de l’hypothèse de simulation ? Peut-être le  principe anthropique : l’Univers est réglé de manière extrêmement précise, depuis le Big Bang, par une série de paramètres primordiaux. Déréglez un et un seul de ces paramètres, et jamais la vie et l’homme ne seraient apparus ! Ce qui fait dire à certains spécialistes que l’Univers a été « conçu » pour que l’homme y fasse son apparition et se questionne sur l’Univers… Dominique Lecourt, dans son Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences, parle :

d’une succession vertigineuse de hasards minutieux…

De hasards minutieux, vraiment ? Et si ces hasards étaient provoqués ? Non pas par un créateur chimérique mais plutôt par… Enfin, voyons… L’ordinateur suprême !

5 Commentaires

  1. […] Le développement peut-être poussé encore plus loin, bien plus loin… Ainsi des hypothèses du planétarium ou des cerveaux matriochka : le Système Solaire tout entier ne serait qu’une réalité virtuelle… Idée similaire à l’hypothèse de simulation qui a déjà eu les faveurs d’un article ici-même. […]

  2. Ce n’est pas un nouveau concept. En 1999, on pouvait lire ceci :

     » As-tu déjà regardé des enfants utiliser un CD-ROM pour s’amuser avec un jeu vidéo sur l’ordinateur ?

    Oui.

    T’es-tu déjà demandé de quelle manière l’ordinateur sait comment réagir à chaque coup que joue l’enfant avec le joystick ?

    Oui.

    Tout est sur le disque. L’ordinateur sait comment réagir à chaque mouvement que fait l’enfant parce que chaque mouvement possible a déjà été inscrit sur le disque, avec sa réponse appropriée.

    C’est effrayant. Presque surréaliste.

    Il n’y a rien d’effrayant là-dedans. Ce n’est que de la technologie. Et si la technologie des jeux vidéo t’impressionne, attends de voir la technologie de l’univers !

    Imagine la Roue cosmique sous la forme de ce CD-ROM. Tous les dénouements existent déjà. L’univers attend seulement de voir lequel tu choisiras cette fois-ci. Et lorsque la partie est terminée, que tu gagnes, perdes ou fasse match nul, l’univers te demande :  » Veux-tu encore jouer ? »

    Tous les dénouements existent déjà, et tu feras l’expérience de l’un ou de l’autre, selon les choix que tu feras.

    … Comme pour le dénouement d’un CD-ROM, plus d’une version existe. »

    source : Conversations avec Dieu : tome 3, p. 110-111, c1998 anglais, 1999 français.

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