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Oumuamua, l’hypothèse extraterrestre

Depuis quelques semaines, le visiteur interstellaire Oumuamua fait à nouveau parler de lui, après la publication d’un livre revenant sur une hypothèse controversée, expliquant que l’objet mystérieux serait de nature artificielle. Aurions-nous manqué en 2017 un rendez-vous avec la sonde d’une civilisation extraterrestre ?

Revue de presque

Dans son habituelle revue de presse matinale sur France Inter, le journaliste Claude Askolovitch rapporte la publication d’un article de Télérama, au sujet du livre Le Premier Signe d’une vie intelligente extraterrestre, d’Avi Loeb. Paru le jeudi 28 janvier en sortie mondiale, ce qui est plutôt inhabituel pour un essai scientifique, ce livre traite d’Oumuamua. Si ce nom ne vous dit rien, rappelons qu’il s’agit du premier objet interstellaire détecté dans notre Système solaire, fin 2017. Sa forme plutôt inhabituelle, sa trajectoire et sa vitesse font débat dans la communauté scientifique, et plusieurs hypothèses sont actuellement discutées pour tenter de définir l’origine et la nature de cet objet. Astéroïde ? Comète ? Ou autre chose ?

Claude Askolovitch explique :

Un homme nous dit que cet éclaireur prouve que nous ne sommes pas seuls. Oumuamua aurait été une balise d’observation envoyée il y a des millions d’années par une civilisation disparue.

Avi Loeb (crédits : Herlinde Koebl / Focus / Cosmos)

Conscient d’aborder un sujet délicat qui aux oreilles de bien des auditeurs de France Inter pourrait sembler farfelu ou se rapprocher de la science-fiction plus que de la science, il précise qu’Avi Loeb est un « grand astrophysicien » et emploie plusieurs fois le terme de « sérieux », au sujet de l’université dans laquelle il travaille (Harvard), de la maison d’édition qui publie la version française dudit livre (le Seuil), ou des articles déjà publiés à son sujet dans la presse américaine.

Racontant ensuite comment Loeb se souvient que Galilée dut faire face à l’opposition de ses pairs qui refusaient même de regarder à travers sa lunette lorsqu’il expliquait que la Terre tournait autour du Soleil, il pose une question audacieuse :

Avi Loeb ne dit pas qu’il est Galilée, mais nous, pensons-nous qu’il l’est ?

S’il est toujours agréable d’entendre parler de questions cosmologiques fondamentales dès le matin en lieu et place des éternelles angoisses liées à la crise sanitaire et économique, en revanche la chronique de Claude Askolovitch est imprécise, voire incorrecte, laissant croire que l’hypothèse de Loeb est finalement la plus crédible, qu’il est une sorte de génie précurseur, à qui l’histoire donnera finalement raison. Après tout, pourquoi pas ? En grands rêveurs, c’est tout ce qu’on lui souhaite. Et, comme le précise le bandeau rouge apposé sur la couverture du livre, s’il a raison, alors il s’agira de la plus grande découverte de l’histoire de l’humanité.

La chronique d’Askolovitch rappelle que rares sont les journalistes à disposer d’une véritable culture scientifique. Askolovitch voit sans doute Loeb comme une sorte de lanceur d’alerte, ou comme un génie injustement incompris. Mais ces génies universels incontestés qui viennent bouleverser seuls le domaine qu’ils étudient, le faisant progresser subitement et incontestablement, n’existent pas. Einstein ou Newton eux-mêmes, tout génies qu’ils soient, s’appuyaient sur les travaux de leurs prédécesseurs et de leurs pairs pour affiner leurs théories. Il faut plutôt voir les scientifiques, comme l’explique la formule consacrée du philosophe Bernard de Chartres, comme des nains qui se haussent sur les épaules des géants qui les ont précédés, leur permettant ainsi de voir plus loin. Bernard de Chartres, en parlant de géants, faisaient références aux savants de l’Antiquité, dont le savoir était jugé immense, on pourrait aujourd’hui parler de nains qui se haussent sur les épaules d’autres nains…

Oumuamua (vue d’artiste).

Par ailleurs, la science se base sur des faits, et non des opinions. La science n’est pas non plus démocratique : personne, et surtout pas le peuple, ne vote pour déterminer quelle hypothèse est la plus raisonnable et fera office de vérité. Une proposition scientifique sérieuse a été validée par les pairs du chercheur qui l’a formulée, a été publiée dans une revue scientifique à comité de lecture rigoureuse et dont l’impact est mesurable, est réutilisée et confirmée par d’autres pairs et, dans la mesure du possible, a été vérifiée par l’expérience.

Alors, Avi Loeb est tout à fait libre d’émettre une telle hypothèse, qui permet à cette affaire de percer dans les médias généralistes, et sans doute aussi de faire parler de son livre à peu de frais. Mais il faut rappeler qu’il est à peu près le seul à émettre cette hypothèse, pour la simple et bonne raison qu’elle est très peu crédible, au regard de ce que nous savons sur Oumuamua.

Très vite, quand un phénomène cosmique inédit est détecté, l’hypothèse E.T. fait son apparition. C’était déjà le cas en 1967, après la découverte du tout premier pulsar, baptisé LGM-1, pour Little Green Men (soit « Les petits hommes verts »)… Idem en ce qui concerne KIC 8462852, étoile dont les inhabituelles fluctuations de luminosité ont amené certains chercheurs à évoquer la présence d’une superstructure extraterrestre chargée de collecter son énergie… Rappelons-nous aussi de l’annonce controversée de la détection de phosphine dans l’atmosphère de Vénus ou de méthane sur Mars… Et j’en oublie certainement.

Quels secrets cachent les nuages de Vénus ?

La vie extraterrestre est un sujet fascinant, presque inévitable sur un site consacré à la cosmologie, et Dans la Lune n’hésite d’ailleurs pas à évoquer ces hypothèses à la frontière entre la science et la science-fiction, parce qu’il n’est pas interdit de rêver… Mais un rêver un temps n’empêche pas d’être sérieux et rigoureux, ce qui devrait être la qualité première des journalistes, à commencer par ceux du service public.

 Bon, pourquoi c’est pas E.T. alors ?

Quels éléments concrets amènent Avi Loeb à pencher pour cette hypothèse ? Certaines des caractéristiques certes particulières d’Oumuamua :

  • Sa forme plate et allongée, comme un cigare
  • La façon dont il s’est mis à accélérer en quittant notre voisinage cosmique

Ce comportement particulier pourrait s’expliquer si Oumuamua était une comète qui avait libéré du gaz en s’éloignant, mais aucun phénomène de dégazage n’a été observé, pas plus que n’ont été identifiés les autres attributs traditionnels des comètes, à commencer par leur queue. Oumuamua, clairement, est inhabituel.

Ce sont ces éléments qui ont mené Avi Loeb à la conclusion qu’Oumuamua serait un objet de nature artificielle, comme il l’écrit dans l’introduction de son livre :

Je soutiens que l’explication la plus simple de ces particularités est que l’objet a été créé par une civilisation intelligente qui n’est pas de cette Terre.

Ce qui amuse aussi, c’est que cet étrange visiteur interstellaire rappelle un peu le fameux roman Rendez-vous avec Rama, d’Arthur C. Clarke, paru en 1973, dans lequel un vaisseau interstellaire cylindrique pénètre dans le Système solaire. Ne dites pas à Loeb que son hypothèse a été inspirée par ce roman, puisqu’il ne porte pas la science-fiction dans son cœur, comme il l’explique dans un entretien paru sur le site Observer :

Je n’aime pas la science-fiction car elle enfreint souvent les lois de la physique et me paraît ridicule.

Rama est une sorte de cylindre O’Neill, ces superstructures imaginées dans les années 70.

Dès fin 2018, il publie un article suggérant qu’Oumuamua pourrait être un vaisseau doté d’une voile solaire, envoyé intentionnellement à proximité de la Terre. Il précise à l’époque que ce scénario est « exotique ».

Dans son livre, Loeb explique adopter cette hypothèse car il craint que nous puissions passer à côté de cette possibilité d’avoir découvert la vie extraterrestre. Au vu de l’engouement sur le sujet, au vu des annonces récurrentes évoquées plus haute et de tant d’autre, et puisque la réponse à la question de savoir si nous sommes seuls dans l’Univers est l’une des plus grandes quêtes de l’humanité, si un scientifique découvrait le moindre indice en faveur de l’existence d’une civilisation extraterrestre, il le ferait immédiatement savoir. Les annonces récurrentes évoquées plus haut, et tant d’autres (le signal Wow!, la météorite ALH 84001, etc.) le montrent aisément.

En sciences, le rasoir d’Ockham, ce principe qui veut que les hypothèses les plus simples doivent être privilégiées, est souvent invoqué. Pour Loeb, les hypothèses naturelles ne sont pas suffisantes, et l’hypothèse artificielle doit donc être privilégiée. Il explique que la communauté scientifique est si effrayée à l’idée de se tromper, qu’elle n’ose plus se confronter à l’inconnu.

Pourtant, l’hypothèse extraterrestre est bien sur la table. Elle a été évoquée, testée, dans la mesure du possible : l’institut SETI a ainsi écouté Oumuamua durant un mois, cherchant en vain d’éventuels signaux radio. Elle est parfois évoquée par d’autres scientifiques, mais une comme une hypothèse extrême, qui nécessite pour être prise au sérieux de se débarrasser d’abord de toutes les hypothèses naturelles qui, contrairement à ce qu’affirme Loeb, restent pour l’instant plus crédibles.

Dès juillet 2019, un article revenait sur la controverse, et expliquait pourquoi Oumuamua était très vraisemblablement un objet d’origine naturelle.

Il se concluait ainsi :

Même si Oumuamua soulève un certain nombre de questions fascinantes, nous avons montré que chacune peut être répondue en supposant qu’il soit un objet naturel. Affirmer que Oumuamua puisse être artificiel n’est pas justifié lorsque l’on considère le vaste corpus de connaissances actuelles sur les corps mineurs du système solaire et la formation planétaire.

Depuis, de nombreux papiers ont été publiés sur le sujet. Selon les dernières études en date, Oumuamua serait le fragment d’un corps cométaire.

Avi Loeb est un peu seul, c’est vrai. Et plus la communauté scientifique semble vouloir lui donner tort, plus il s’acharne. Libre à lui, évidemment, d’aller à rebours du consensus, mais ce n’est peut-être pas la chose la plus raisonnable à faire, à l’heure ou les fake news pullulent, où l’idéologie prime trop souvent sur la recherche scientifique, et où la vérité semble être finalement une opinion comme un autre.

Oumuamua, observé ici par le télescope William Herschel, est ce petit point au centre de l’image. (crédits : A Fitzsimmons, Queen’s University Belfast/Isaac Newton Group, La Palma)

Un article de Libération résume finalement assez bien toute cette affaire :

Deux cent soixante pages plus tard, le sujet n’est plus de savoir si notre système solaire a été visité ou non par un objet artificiel conçu par des créatures pensantes orbitant autour d’une autre étoile, mais de comprendre comment certains esprits brillants sont capables de rationaliser à outrance une lubie très personnelle.

Là où Loeb rejoint la communauté scientifique, c’est lorsqu’il explique que les prochains visiteurs interstellaires seront mieux identifiés, mieux étudiés, parce que nous disposerons de technologies plus avancées, comme par exemple le télescope LSST (Large Synoptic Survey Telescope) ou  l’observatoire Vera-C.-Rubin, qui selon Loeb serait capable de détecter un Oumuamua par mois. Nous découvrirons alors peut-être que ce tout premier visiteur venu d’ailleurs n’était pas si singulier que ça, tout compte fait.

Quoi de mieux pour terminer un article que de citer le grand Carl Sagan ? Allez Carl, c’est parti :

Des affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires.

Et des preuves extraordinaires en faveur de l’existence de la vie extraterrestre, il n’y en a pas. Pas encore ?

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