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Un été en Grèce Antique – Homère, ce fantôme

L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges.

Aujourd’hui, un génie : Homère.

Sur les épaules des géants

Qui pourra le nier ? Homère est le plus grand. C’est un soleil, dont les rayons nous éclairent depuis des siècles. « C’est le patron. Il est le maître de tout » selon Charles Péguy. Un colosse qui confine au divin et dont pourtant nous ne savons presque rien, n’ayant que ces vers devant lesquels nous prosterner. Telles les sages paroles d’un père dont nous ne pourrions voir le visage.

Il est déjà évident de noter qu’Homère n’a sans doute jamais écrit une seule ligne. Puisqu’il n’est pas auteur, mais aède. Aveugle, dit-on, il se déplace de cité en cité, accompagné d’un instrument de musique, pour y chanter ses épopées, y glorifier ses héros et y pleurer ses morts.

Aveugle, il vagabonda de ville en ville, mendiant sa vie, chantant de vieilles histoires. Il fut le plus sage, le plus savant des hommes : il n’ignorait qu’une chose, son origine.[i]

D’autre part, les récits qu’il prononce ne sont absolument pas contemporains de son époque. Les faits narrés, la Guerre de Troie et les pérégrinations du divin Ulysse pour retrouver sa terre d’Ithaque, se déroulent probablement aux alentours du XIIème siècle avant Jésus-Christ, sous la civilisation mycénienne. Homère, si tant est qu’il existe, a vécu à la fin du VIIIème. Les textes qui lui sont attribués ont eux été fixés au VIème, sous le règne du tyran Pisistrate.

Les poèmes d’Homère, livrés à l’enthousiasme et à l’ignorance de ceux qui les chantaient ou les interprétaient publiquement, s’altéraient tous les jours dans leur bouche […]. Pisistrate et Hipparque son fils entreprirent de rétablir le texte dans sa pureté.[ii]

Homère et son guide, par Bouguereau (1874)

Dès l’antiquité, la question de savoir qui est Homère s’est posée. Plusieurs villes revendiquent sa paternité. Et les quelques biographies dont nous disposons (attribuées peut-être à tort à Hérodote et Plutarque) ne parviennent pas à convaincre. Deux ou trois siècles après sa mort, Homère était déjà une figure mythique, divinisée, mais fantomatique. Alors qu’en est-il aujourd’hui ? Hé bien, à chaque lecteur de faire sa propre interprétation, et de choisir le Homère qui lui convient le mieux. Difficile, de toute façon, de s’y retrouver dans la jungle de la question homérique.

Il y a ceux qui pensent qu’Homère n’existe pas. C’est le cas de Frédéric-Auguste Wolf, dans ses Prolégomènes. Il considère l’Iliade et l’Odyssée comme une compilation de chants divers, résultant de la production de plusieurs générations de poètes. En somme, il n’y a pas un Homère, mais une infinité d’Homère, résultat de l’expression d’un patrimoine collectif de souvenirs du peuple grec. Cette affirmation était déjà soutenue par François Hédelin, qui écrivait que Pisistrate a unifié des chants et récits venant de divers époques et horizons. Le philologue Milman Parr, fondateur de la théorie de l’oralité au dix-neuvième siècle, démontre que la composition d’Homère est le fruit des vers de plusieurs générations d’aèdes.

D’autres affirment, en mettant en évidence le manque de continuité voire de cohérence de l’œuvre de l’auteur, qu’Homère a bien existé, mais que ses chants ont ensuite été drastiquement modifiés.

Certains prétendent qu’Homère est un personnage historique qui a composé l’Iliade et l’Odyssée à partir des multiples sources existant à l’époque.

Aristote contemplant le buste d’Homère, par Rembrandt (1653)

Quelques-uns pensent qu’Homère est une femme. Cette vision pouvant paraître farfelue est pourtant partagée par quelques grands auteurs. Le poète anglais Robert Graves, spécialiste de la mythologie grecque, en a même tiré un roman. Avant de supposer qu’Homère fut une femme, encore faut-il supposer qu’il ait existé.

De même que certains religieux ne peuvent se résoudre à ce que la création d’un Univers comme le nôtre ne soit que le fruit du hasard, certains érudits n’acceptent pas l’idée que les sublimes vers de l’Iliade et de l’Odyssée ne soient pas issus de l’esprit d’un géant.

Vingt fois j’ai lu l’Iliade avec un vif intérêt, je n’ai pu en quitter la lecture lorsqu’une fois je l’ai eu commencé : je l’ai lue en grec, en latin, en français, en italien, en anglais ; j’ai reconnu et partagé l’admiration que tous les peuples ont ressentie pour ce chef-d’œuvre de la poésie héroïque. L’auteur m’a toujours paru honorer l’humanité : me dire qu’il n’a jamais existé, c’est m’affliger, c’est vouloir me persuader que je ne dois pas voir ce que je vois, que je ne dois pas sentir ce que je sens.[iii]

Les hommes ont besoin de génies. De modèles tel qu’Homère, pour les éclairer, les rassurer sur leur humanité, sur le grandiose du genre humain. Avoir un nom ne nous suffit pas : il faut savoir qui se cache derrière. Dès lors, affirmer qu’Homère est un songe, c’est nier l’existence d’Un génie universel. Mais c’est glorifier Le génie universel, celui des hommes, de leur mémoire. Peut-être dans mille ans gloserons-nous sur l’existence de Victor Hugo ou d’Albert Einstein ?

 

[i] Philippe Brunet, La Plus Haute Preuve, Préface à l’Odyssée
[ii] Barthélémy, Voyage du jeune Anacharsis en Grèce dans le milieu du quatrième siècle avant l’ère vulgaire
[iii] M. Le Marquis de Fortia d’Urban, Homère et ses écrits

1 commentaire

  1. Bonjour,
    Hemœra est une Déesse dont le nom et l’histoire remplissaient l’Europe, qui joua un grand rôle en Grèce et particulièrement dans l’ancienne Achaïe.
    Hemœra signifie la lumière, et il semble bien que Diane, dont le nom signifie aussi le jour, soit la même Déesse dont le nom serait exprimé dans une autre langue (Diane vient de Dia, qui signifie jour, lumière, et ana, ancien).
    Mais ces surnoms sont ajoutés à un nom réel qui devait être Europe, lequel nous a été conservé dans les Mystères de la Grèce et dans la mythologie des Prêtres. On confond Eôs, l’aurore, avec Hemœra, Déesse du jour ; elle a des ailes aux épaules, elle plane dans l’espace et verse la rosée sur la terre.
    De ce nom Hemœra, on fit, par la suite, un nom collectif : les Hemœrides, désignant les prêtresses de la grande Déesse. Dans de nombreuses inscriptions trouvées sur les bords de la Méditerranée, les Prêtresses sont appelées Mœres, d’où le mot Mère. Hemœra c’est la mère spirituelle. Les Muses sont surnommées Mœmonides (1).
    Par toute la Gaule, on trouve des inscriptions portant Deabus Mœrabus (Déesses Mères) ou bien Deœ Mœrœ (Encycl. méthod.).
    Les prêtresses d’Hemœra sont « celles qui regardent » (les astronomes). Du temps de Strabon, on voyait à Dianeum, en face des Baléares, le célèbre observatoire appelé Hemeroscope, tour pyramidale servant, selon la science de ces anciens peuples, à déterminer l’instant précis de l’arrivée du soleil aux tropiques (Odyssée). Hemoera est certainement celle qui est désignée par le surnom Uranie.
    C’est la Déesse Hemœra qui écrivit les poèmes dits homériques, qui sont considérés comme les livres saints de la Grèce. On les faisait remonter à la Divinité, donc à la Femme Divine, comme les livres sacrés de toutes les autres nations.
    Les vers de ces poèmes étaient portés de ville en ville, par des chanteurs appelés « Aèdes », qui excitaient le plus vif enthousiasme. Ces Aèdes, appelés aussi « Hémœrides », faisaient la plus active propagande des vers de l’Iliade, ce qui prouve qu’ils prenaient une grande part dans la lutte, qu’ils avaient un grand intérêt dans le triomphe des idées qui y étaient exposées. On les voyait dans les festins, chanter ou réciter les vers de l’Iliade qui passaient de bouche en bouche et qui devinrent l’ornement des plus brillantes fêtes.
    Le nom d’Hemœra masculinisé est devenu Homère. Fabre d’Olivet nous apprend ceci :
    « Le nom d’Homère n’est pas grec d’origine et n’a point signifié, comme on l’a dit, aveugle. La lettre initiale O n’est point une négation, mais un article (ho) ajouté au mot phénicien mœra, qui signifie au propre un foyer de lumière et au figuré un Maître, un Docteur » (Vers dorés, p. 73).
    Mais le mot mœra est féminin, et c’est l’article féminin he (la) qui le précédait. Ce nom alors était Hemœra.
    Il est facile de comprendre comment le nom fut altéré : en voulant le masculiniser, on remplaça l’article féminin He par l’article masculin Ho, et Hemœra devint alors Homeros. Ce fut tout simplement un changement de genre pour consacrer un changement de sexe. Donc, c’est par antithèse que de mœra, lumière, voyance, on fait d’Homère un aveugle.
    (1) Dans la langue celtique, le mot Mère se dit Ma. (Ce mot répété a fait Mama.) Il a servi de racine au mot Mère dans toutes les langues (Matri, Mater, etc.). On s’est étonné que le mot français Mère n’ait pas la même racine ; c’est qu’il a une autre origine : il signifie Mère spirituelle. Il y a donc en français deux mots pour désigner la même personne : Maman et Mère.
    Cordialement.

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