Réflexions – Dans la Lune http://dans-la-lune.fr Vers l'infini, et au-delà ! Sat, 07 May 2016 18:19:35 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.4.3 Les canaux martiens http://dans-la-lune.fr/2016/05/07/les-canaux-martiens/ http://dans-la-lune.fr/2016/05/07/les-canaux-martiens/#respond Sat, 07 May 2016 18:19:35 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=380 Nous avons beau être désormais absolument certains que Mars n’est pas habitée – tout du moins pas par des formes de vie complexes – la figure traditionnelle du Martien reste ancrée dans notre imaginaire culturel. Notre plus proche voisine a en effet longtemps été l’une des principales sources d’inspiration des récits d’invasions extraterrestres de la […]

Cet article Les canaux martiens est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
Nous avons beau être désormais absolument certains que Mars n’est pas habitée – tout du moins pas par des formes de vie complexes – la figure traditionnelle du Martien reste ancrée dans notre imaginaire culturel. Notre plus proche voisine a en effet longtemps été l’une des principales sources d’inspiration des récits d’invasions extraterrestres de la science-fiction. Mais avant que la littérature et le cinéma ne s’emparent du sujet, la science supposa déjà la présence d’une civilisation sur la planète rouge. Cette hypothèse connut même un épisode d’une ferveur toute particulière, lorsque certains chercheurs affirmèrent avoir découvert de mystérieux canaux sur la planète rouge…

Le rouge et le noir

Avant que l’homme ne commence à explorer l’espace, rien ne pouvait indiquer que la vie n’était présente que sur la Terre. Pourquoi n’aurait-elle pas essaimé partout ailleurs ? Quelle déception : plus nous nous envolons loin, plus il faut repousser l’espoir de trouver de la vie. Nos ancêtres, qui n’avaient pour observer le ciel que leurs yeux, lunettes et télescopes, étaient plus optimistes. Au XIXème siècle, notre plus proche voisine, Mars, était souvent supposée abriter de la vie, notamment en raison de la découverte de similitudes qu’elle partage avec la Terre :

  • La présence de deux pôles glacés dont la taille varie selon la saison
  • La durée d’une journée, plus ou moins similaire
  • L’inclinaison de son axe, également semblable à celui de la Terre
  • La présence non pas d’un mais de deux satellites naturels, qui seront baptisés Phobos et Déimos

Pour le scientifique anglais William Whewell, Mars contiendrait même des océans verts et des sols rouges. Il se demande si une vie extraterrestre y est possible, et il n’est pas le seul. Dans son ouvrage La vita sul pianeta Marte (La vie sur la planète Mars), paru en 1893, le directeur de l’observatoire de Milan, Giovanni Virginio Schiaparelli, suppose notamment la présence d’une végétation. Schiaparelli, grand observateur, réalise dès 1878 une carte très détaillée de la planète rouge, profitant de son passage au plus près de la Terre. Il repère d’étonnants alignements sombres qu’il baptise canaux. Il ne va pas jusqu’à s’avancer sur une origine artificielle : pour lui, ils se forment de la même manière que des mers comme la Manche sur Terre. En été, avec la fonte des glaces des pôles martiens, les mers de Mars doivent certainement envahir ces alignements naturels. Rien de moins, donc, que de l’eau qui envahit des paysages creusés par l’évolution naturelle de la planète. Schiaparelli n’est pas le premier à réaliser une carte de Mars, mais la précision de sa représentation et surtout la présence de ces fameux canaux marque la communauté scientifique de l’époque. Tous les vingt-six mois, lorsque Mars est au plus proche de la Terre,  Schiaparelli poursuit son ouvrage, et détaille de plus en plus ses cartes. Il est pour le moment le seul à distinguer ces canaux, ce qui ne manque pas d’étonner ses pairs, qui se justifient ou bien en mettant la faute sur la faiblesse de leurs instruments, ou bien en niant les travaux du chercheur italien.

Une carte de Schiaparelli. Certains noms indiqués sur cette carte sont toujours utilisés aujourd'hui !

Une carte de Schiaparelli. Certains noms indiqués sur cette carte sont toujours utilisés aujourd’hui !

En 1886, après plusieurs années de débats, les observations de Schiaparelli sont confirmées par d’autres astronomes. La frénésie des canaux de Mars est lancée.

Catégorie : amateur

Percival Lowell. Peut-on avoir tort avec une telle classe ? Il semblerait que oui.

Percival Lowell. Peut-on avoir tort avec une telle classe ? Il semblerait que oui.

En 1894, un astronome amateur, Percival Lowell, commence à cartographier Mars. Lowell dispose d’un excellent télescope, idéalement situé dans l’Arizona : il confirme non seulement la présence de tous les canaux identifiés par Schiaparelli, mais en découvre plus de quatre cent autres, qu’il consigne soigneusement sur ses cartes. Bien que non issu d’une formation académique traditionnelle, le travail de Lowell est rapidement reconnu par la communauté scientifique. Pour Lowell les canaux ne se sont pas formés naturellement, ils sont l’œuvre d’une civilisation extraterrestre. Afin d’échapper à la lente mais inéluctable aridification de leur planète, les martiens sont contraints de construire d’immenses canaux chargés d’emmener l’eau des pôles vers les régions équatoriales. Pour éviter leur disparition, ils ont convenu d’une paix universelle, et un gouvernement unique est chargé de mener à bien cette mission écologique d’importance primordiale. Cette explication sensationnaliste séduit les magazines de vulgarisation de l’époque, comme Scientific American ou Century Magazine. Les certitudes de Lowell agacent : il réplique en demandant à ce qu’on lui explique comment de telles structures peuvent être d’origine naturelle.

"Il y a de la vie sur la planète Mars." Ben voyons !

« Il y a de la vie sur la planète Mars. »
Ben voyons !

Lowell est un personnage particulier. Fasciné par l’hypothèse de la vie extraterrestre (après avoir lu l’ouvrage La pluralité des mondes habités de Camille Flammarion), cet ancien homme d’affaires est absolument déterminé à prouver à ses détracteurs la véracité de ses observations.

La diffusion massive des cartes de Lowell dans la presse généraliste les rendent très vite populaires : elles renforcent auprès du grand public l’image d’une planète habitée. La culture s’empare également de ce sujet porteur : H.G. Wells publie La Guerre des Mondes en 1898, le récit d’une invasion de la Terre par les martiens.

Deux ans plus tôt, Maupassant, dans sa nouvelle L’homme de Mars, évoque les canaux et les créatures les ayant creusés :

Le diamètre est presque moitié plus petit que le nôtre; sa surface n’a que les vingt-six centièmes de celle du globe; son volume est six fois et demi plus petit que celui de la Terre et la vitesse de ses deux satellites prouve qu’il pèse dix fois moins que nous. Or, monsieur, l’intensité de la pesanteur dépendant de la masse et du volume, c’est-à-dire du poids et de la distance de la surface au centre, il en résulte indubitablement sur cette planète un état de légèreté qui y rend la vie toute différente, règle d’une façon inconnue pour nous les actions mécaniques et doit y faire prédominer les espèces ailées. Oui, monsieur, l’Etre Roi sur Mars a des ailes. Il vole, passe d’un continent à l’autre, se promène, comme un esprit, autour de son univers auquel le lie cependant l’atmosphère qu’il ne peut franchir, bien que…

La foi aveugle regarde de travers

En vérité, observer la surface de Mars depuis la Terre est très compliqué, même dans d’excellentes conditions. Et il est encore plus compliqué de parvenir à conserver une vue correcte à travers un télescope. Cartographier Mars, c’est donc attendre ce fugace moment où enfin des détails parviennent à l’œil de l’observateur, puis faire fonctionner sa mémoire et se hâter de consigner cette courte observation sur le papier. Autrement dit, la probabilité d’erreur est forte.

Et cela d’autant plus que les fameuses cartes de Schiaparelli ou Lowell n’ont jamais été réalisées en une seule nuit, ou par une seule personne. Il s’agit de compilations de différentes observations étalées dans le temps et l’espace. Certaines cartes de Lowell ont ainsi été dessinées en assemblant plusieurs centaines de dessins issus de ses propres travaux ou ceux de ses collègues. Certes, elles sont impressionnantes, mais n’ont donc jamais été observées telles quelles dans le ciel. D’ailleurs, l’une des critiques émises à l’encontre de la théorie des canaux se fondait justement là-dessus : des astronomes ne parvenaient pas à confirmer ces cartes avec leur télescope pointé vers Mars.

Une carte de Lowell.

Une carte de Lowell.

William Pickering, associé de Lowell, l’avait d’ailleurs bien compris, comme il l’écrit en 1906 dans le Technical World Magazine :

Les cartes de Mars semblent artificielles, mais il faut se rappeler qu’elles sont composées de nombreux dessins. Tous les canaux présents sur une carte ne s’observent pas en même temps, au contraire, très peu d’entre eux sont visibles lors d’une même nuit.

Le barrage du savoir

Si la popularité de Mars n’a jamais décrue dans le grand public, en revanche l’intérêt pour sa cartographie a largement diminué au début du XXème siècle. Lowell poursuit pourtant inlassablement ses travaux avec la même vigueur, et publie même trois livres en 1909. Il parcourt les Etats-Unis et l’Europe pour y diffuser des découvertes, et se fait de plus en plus virulent envers ses détracteurs.

Une polémique lancée par Edward Maunder, un astronome anglais, explique que les cartes ne sont rien de moins qu’une série d’illusions d’optique. Le doute est semé dans l’esprit de la communauté scientifique, qui a toujours été sceptique envers la théorie des canaux. Lowell, peu ouvert à la discussion, en est peu à peu écarté. Mais il ne s’avoue pas vaincu, et publie en 1905 des photographies de la planète rouge, réalisées par son assistant Carl O. Lampland. On y distingue effectivement des marques sombres. Des canaux ? Oui, pour la British Astronomical Association, qui voit dans ces photos la confirmation des théories de Lowell.

Jeu : sauras-tu distinguer les fameux canaux sur les photos de

Jeu : sauras-tu distinguer les fameux canaux sur les photos de Lampland ?

En 1907, de nouvelles photos paraissent. Elles sont minuscules, trop sombres, ne montrent pas grand  chose, tant et si bien que Lowell cherchera à les retoucher pour faire apparaître ses canaux, et les accompagnera même d’une mention à destination des lecteurs des magazines, les avertissant que leur impression sur le papier n’a fait que dégrader la qualité des détails qui y sont représentés ! Encore plus fort : il va jusqu’à sous-entendre que ceux qui ne distinguent pas les canaux ont probablement une acuité visuelle trop faible !

Evidemment, l’essor de la photographie spatiale ne joue pas en faveur des cartes de Lowell. De plus en plus, les éditeurs de livres et magazines de science préfèrent l’objectivité d’une photographie, même floue, aux cartes trop subjectives de Lowell.

L’adversaire le plus coriace de Lowell, celui qui lui portera le coup de grâce, est un astronome français, Eugène Antoniadi, ancien défenseur de la théorie des canaux dont il dessina d’ailleurs plusieurs cartes. En 1909, il observe Mars depuis le télescope de Meudon, le plus grand d’Europe à l’époque. Il confirme que les canaux ne sont qu’une illusion, formée de la myriade de détails qui forment le paysage martien. Il couche ses observations sur le papier et les envoie à Lowell, qui, une fois n’est pas coutume, les rejette. Antonioadi publie une douzaine d’articles en 1909 et 1910, qui pour la plupart réfutent les travaux de Lowell.

Voici le genre de photos obtenues aujourd'hui par des sondes comme Mars Reconnaissance Orbiter, en orbite autour de Mars.

Voici le genre de photos obtenues aujourd’hui par des sondes comme Mars Reconnaissance Orbiter, en orbite autour de Mars.

Antonioadi, celui qui avait salué les premières photographies de Lowell, y décelant dix-sept canaux, chausse de meilleures lunettes, voit enfin clair. L’aveugle retrouve la vue, et rend du même coup muet son ancien maître. Antonioadi et Lowell, c’est presque Brutus et César.

La première photo de Mars par la sonde Mariner 4.

La première photo de Mars par la sonde Mariner 4.

Discréditée dans le milieu scientifique, la théorie des canaux aura encore un temps les faveurs du public. Certains scientifiques continuèrent à évoquer les tâches sombres de Mars, y voyant ou bien des mers, ou bien de la végétation. A vrai dire, il faudra attendre l’envoi de la toute première sonde spatiale vers Mars, Mariner 4 en 1965, pour réfuter définitivement la théorie des canaux.

 

Is there life on Mars ?

Jusqu’à sa mort en 1916, Lowell s’est battu pour défendre ses théories. Y a-t-il vraiment cru jusqu’au bout, malgré l’évidence ? Peut-on rejeter une décennie de travaux ? Difficile à dire, mais il faut savoir que Lowell était si obsédé par la question de la vie extraterrestre qu’il décela aussi des canaux sur Mercure et Vénus… En 2003, une hypothèse suggérée par William Sheehan fait sourire : Lowell observait peut-être tout simplement les vaisseaux sanguins de son œil… Celui qui disait à ceux qui ne voyaient pas les canaux que leur vision était trop faible, affligé lui-même d’une pathologie ? Cruelle ironie…

Cette affaire des canaux est en tout cas le symbole de la fin d’une époque, et de l’éternel lutte entre l’arrivée d’une technologie naissante face au savoir-faire humain. Ici, la photographie spatiale balbutiante qui s’impose inéluctablement face au dessin.

Le discrédit  de la théorie des canaux, puis sa réfutation totale ne mirent pas fin à la croyance en une vie extraterrestre sur Mars. Ah, Mars ! Elle a tellement essaimé nos récits de science-fiction qu’elle se doit d’abriter de la vie, coûte que coûte.  Les premières photos prises par les sondes ne renvoient que l’image d’un monde parcouru de cratères, mais on espère encore la présence de végétaux. Les rovers ne parcourent qu’un sol stérile, mais on croit encore à la présence de micro-organismes. Et quand bien même il n’y aurait rien, absolument rien, cela n’empêche de croire qu’il y ait eu quelque chose. Découvrir des formes de vie passées sur Mars, c’est l’objectif de la future mission ExoMars, de l’agence spatiale européenne, en identifiant d’éventuels marqueurs biochimiques. Tu vois, Lowell, tu auras eu le mérite de faire rêver tes contemporains, et ton optimisme cachait peut-être même une part de vérité…

Cet article Les canaux martiens est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
http://dans-la-lune.fr/2016/05/07/les-canaux-martiens/feed/ 0
Un peu plus près des étoiles http://dans-la-lune.fr/2016/04/15/un-peu-plus-pres-des-etoiles/ http://dans-la-lune.fr/2016/04/15/un-peu-plus-pres-des-etoiles/#comments Fri, 15 Apr 2016 07:21:02 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=359 L’épopée spatiale est grisante : elle permet à l’homme de repousser les limites de ses technologies, de découvrir des mondes fabuleux et de révéler peu à peu les secrets de son origine. Elle est aussi frustrante : l’Univers, c’est avant tout du vide. 4 années-lumière séparent en effet le Soleil de sa plus proche voisine, Proxima du […]

Cet article Un peu plus près des étoiles est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
L’épopée spatiale est grisante : elle permet à l’homme de repousser les limites de ses technologies, de découvrir des mondes fabuleux et de révéler peu à peu les secrets de son origine. Elle est aussi frustrante : l’Univers, c’est avant tout du vide. 4 années-lumière séparent en effet le Soleil de sa plus proche voisine, Proxima du Centaure. Un photon émis depuis le Soleil et qui parcourt l’espace à 300.000 kilomètres par seconde mettra 4 ans pour y parvenir. Une sonde spatiale terrienne traditionnelle, à peu près 30 000 ans. Voilà qui complique les ardeurs de l’humanité… Alors, passé Pluton, point de salut ? Devrons-nous nous contenter éternellement de notre entourage proche, et compter sur nos télescopes pour observer les alentours ? Peut-être pas.

Du rêve à la réalité

Jusqu’à présent, le voyage interstellaire était cantonné à la science-fiction. Trous de ver, vitesses supraluminique, hyper-espace… Les auteurs ne manquent pas d’idées pour pallier à la faiblesse de nos fusées propulsées avec de simples moteurs à combustion. Pourtant, dans les années 70, la science s’est emparée du sujet suite à la ferveur générée par les premiers pas de l’homme sur la Lune et plusieurs projets, évidemment jamais concrétisés, ont été couchés sur le papier, tels que le cylindre O’Neill ou le projet Orion… Plus récemment, le web s’est enflammé autour d’un soi-disant projet de vaisseau supraluminique de la NASA. Pure spéculation, a rappelé l’agence spatiale américaine. Nouvelle déception : le voyage vers une autre étoile reste donc une chimère.

Le prétendu projet de la NASA. Faut avouer que ça tue, niveau design.

Le prétendu projet de la NASA. Faut avouer que ça tue, niveau design.

La fondation Breakthrough Initiatives, créée par le milliardaire russe Yuri Milner, a justement pour objectif de dépasser cette frontière et d’élargir les horizons de l’humanité. Elle a déjà fait parler d’elle en juillet 2015 avec son programme Listen, destiné à trouver les traces d’une civilisation extraterrestre. Projet soutenu par le physicien britannique Stephen Hawking, Listen prévoit de surveiller un million d’étoiles pendant dix ans, pour un budget de 100 millions de dollars.

Ecouter, c’est bien. Mais bouger, c’est mieux. Le mardi 12 avril 2016, soit cinquante-cinq ans jour pour jour après le premier vol de l’homme dans l’espace, Milner annonce son nouveau projet, Starshot. L’objectif est ambitieux : rejoindre Proxima du Centaure en 20 ans seulement (au lieu de 30 000 ans, donc)… Il pourrait sembler absurde, irréaliste, farfelu – qu’importe, il fait déjà rêver. Et Yuri Milner est bien entouré :

  • Stephen Hawking est une fois de plus partisan du projet
  • De même que Mark Zuckerberg, président de Facebook et membre du Conseil de Starshot avec Hawking et Milner
  • Freeman Dyson, éminent physicien américano-anglais, créateur entre autres de la sphère de Dyson (dont quelques esprits créatifs en soupçonnent la présence autour d’une étrange étoile, KIC 8462852) et surtout collaborateur du projet Orion, un vaisseau à propulsion nucléaire pour lequel Dyson envisagea la possibilité de missions interstellaires, déjà vers Alpha du Centaure, en à peu près 133 ans…

En somme, que du beau monde. Milner investit à hauteur de 100 millions de dollars dans la conceptualisation du projet, ce qui en fait le plus ambitieux à ce jour dans la recherche interstellaire. Une discipline jusque-là cantonnée, il est vrai, à la spéculation.

La feuille portée par le vent

Mais comment atteindre Proxima du Centaure en seulement vingt ans ? Il s’agit d’une voile photonique, d’environ 4 mètres d’envergure, pour un poids de quelques grammes et une épaisseur d’environ cent atomes, propulsée par des antennes situées sur la Terre. Ces antennes émettront ensemble un énorme rayon laser en direction de cette voile. La force délivrée par les collisions de photons (générées par la réflexion de la lumière sur la voile) devrait accélérer la voile jusqu’à 20% de la vitesse de la lumière.

Le vaisseau fixé à cette voile, appelé StarChip, sera évidemment loin des poncifs des grandes épopées cinématographiques. Son poids devra être le plus réduit possible, tout juste un petit gramme, et sa taille guère plus grande que celle d’un timbre-poste. Plus il sera léger, plus il ira vite.

Milner tient dans sa main son super vaisseau spatial. En-dessous, Hawking fait le clown, comme d'habitude.

Milner tient dans sa main son super vaisseau spatial. En-dessous, Hawking fait le clown, comme d’habitude.

En se fondant sur la célèbre loi de Moore qui induit une miniaturisation des composants, Milner explique :

Un instrument qui pesait autrefois 300 grammes en pèse aujourd’hui 3. Ce qui pesait autrefois 100 grammes en pèse aujourd’hui 0,5. C’est la tendance sur laquelle nous surfons.

La charge utile d’un vaisseau aussi réduit doit être minimale, elle comprendra le strict nécessaire :

  • Des caméras et des capteurs chimiques élémentaires
  • Du matériel de communication
  • Des instruments de navigation

Tout est donc dans la miniaturisation. Plus la voile est petite, plus le vaisseau est petit, et plus la vitesse atteinte sera grande. C’est en fait une nuée de vaisseaux qui s’envoleront ; dans une optique de réduction des coûts de production, mais aussi pour éviter l’échec d’un vaisseau unique, et parvenir à plusieurs destinations en même temps. Un vaisseau mère sera chargé de larguer ces nanovaisseaux dans la haute atmosphère terrestre. L’idée rappelle celle des nanorobots auto-réplicants capables de coloniser la galaxie toute entière, parfois évoquée par les transhumanistes.

Demain c’est loin

Pour autant, soyons réalistes, le projet est loin d’être concrétisé, tant du point de vue financier que technologique. Milner précise d’ailleurs lui-même que les 100 millions de dollars seront investis dans la vérification du concept même de cette mission qui nécessiterait à terme plusieurs milliards de dollars. Parmi les points d’interrogation figurent notamment :

  • La puissance des lasers et leur concentration sur un vaisseau aussi minuscule, notamment en passant à travers l’atmosphère terrestre
  • Leur impact sur ce vaisseau
  • Les conséquences d’une accélération aussi soudaine, équivalente à une force de 60 000 G
  • La présence de poussière interstellaire qui, à une telle vitesse, réduirait le vaisseau à néant
  • Les manœuvres du vaisseau à destination, puisqu’il n’existe aucun moyen pour le faire décélérer…
  • Le retour des données qui nécessiterait, au regard des technologies actuelles, une antenne immense
Une colonie de vaisseaux timbre-postes se lance à l'assaut de l'Univers.

Une colonie de vaisseaux timbres-poste se lance à l’assaut de l’Univers.

Alors seulement, peut-être, l’un de ces vaisseaux pourra approcher une exo-planète, permettant à l’humanité de contempler, comme indiqué sur le site officiel de la mission :

[…] une image d’une qualité suffisante pour apercevoir les caractéristiques de sa surface, comme des continents ou des océans.

Un exploit qui nécessiterait sur Terre un télescope de 300 kilomètres de diamètre, située comme Hubble sur son orbite !

Mark Alpert dans ses œuvres.

Mark Alpert dans ses œuvres.

Mais avant, il faudra être patient : si la technologie pourrait être disponible d’ici une vingtaine d’années, il faudra aussi compter les vingt ans du voyage, et les quatre années nécessaires pour que les données nous parviennent à la vitesse de la lumière… Ce qui nous emmène déjà dans le dernier quart du XXIème siècle… La brièveté de la vie humaine n’est guère adaptée à la longueur des voyages interstellaires, c’est une évidence, ce qui fait dire à l’écrivain Mark Alpert, dans le blog des invités du site Scientific American, qu’il va falloir adapter notre stratégie à ces vastes distances. Les sondes envoyées vers d’autres systèmes solaires ne seront pas capables de communiquer rapidement avec la Terre, elles devront agir et prendre des décisions de manière autonome.

Alpert écrit :

Dans le futur, les émissaires de la Terre dans les étoiles ne seront pas humain. Nos explorateurs galactiques seront nos machines et nos intelligences artificielles.

Plus concrètement, les recherches nécessaires à ce projet devraient de toute façon bénéficier à la recherche spatiale en général : atteindre Alpha du Centaure en vingt ans, c’est atteindre Mars en quelques heures et Pluton en quelques jours…

On ne peut que féliciter ces hommes, Hawking et Dyson, qui ne verront jamais l’aboutissement de ce projet qu’ils lancent, peut-être pour écrire leur histoire, certainement pour écrire celle de l’humanité. A l’aube du prochain siècle, le voyage interstellaire sera peut-être une réalité. Et une banalité dans les siècles à venir… Finalement, comme dans le cas du programme Apollo au début des années 60, ce qu’il faut à l’homme pour élargir son horizon, c’est une vision. Une vision claire, portée par un homme orgueilleux, une nation ambitieuse, une entreprise arrogante, une poignée de chercheurs passionnés, qui portent l’humanité avec eux, dans leurs projets tout aussi fous que géniaux. L’homme a grandi sur Terre, mais il est peut-être né dans les étoiles. Peut-on lui reprocher l’envie d’y retourner ?

Cet article Un peu plus près des étoiles est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
http://dans-la-lune.fr/2016/04/15/un-peu-plus-pres-des-etoiles/feed/ 2
L’hypothèse du zoo http://dans-la-lune.fr/2016/02/20/lhypothese-du-zoo/ http://dans-la-lune.fr/2016/02/20/lhypothese-du-zoo/#respond Sat, 20 Feb 2016 18:09:22 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=298 Si nous semblons si isolés, si nous n’avons pas eu l’honneur de recevoir la visite d’une éminente civilisation extraterrestre, c’est peut-être parce que nous ne sommes que des singes derrière des barreaux, dans l’immense zoo de notre Système Solaire, isolés de nos gardiens à jamais invisibles… E.T. Téléphone maison Où se cachent donc les extraterrestres […]

Cet article L’hypothèse du zoo est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
Si nous semblons si isolés, si nous n’avons pas eu l’honneur de recevoir la visite d’une éminente civilisation extraterrestre, c’est peut-être parce que nous ne sommes que des singes derrière des barreaux, dans l’immense zoo de notre Système Solaire, isolés de nos gardiens à jamais invisibles…

E.T. Téléphone maison

Où se cachent donc les extraterrestres ? Les dimensions de l’Univers étant ce qu’elles sont, il n’est pas déraisonnable de penser que la vie existe ailleurs, ne serait-ce que dans notre galaxie, composée de 400 milliards d’étoiles et au moins autant de planètes. L’âge de l’Univers étant en plus ce qu’il est, soit 13,7 milliards d’années, la vie existe sans doute ailleurs depuis bien plus longtemps que sur la Terre, faisant apparaître des civilisations à la technologie autrement plus avancée que la nôtre. Le genre homo est apparu voici presque 3 millions d’années, l’espèce Homo Sapiens il y a 200 000 ans, et l’âge de notre civilisation est estimée à 10 000 ans environ. Quelles prodiges technologiques serait capable d’accomplir une civilisation avec plusieurs milliers ou millions d’années d’évolution ?

Selon le paradoxe de Fermi, il ne suffirait que de quelques millions d’années à une civilisation pour coloniser entièrement la Voie Lactée. C’est une période de temps qui peut sembler longue, elle est pourtant courte face à l’âge de notre galaxie, environ 10 milliards d’années. Si la vie a émergé et évolué sur ne serait-ce qu’un pourcent des 400 milliards de planètes de la Voie Lactée, cela représente 4 milliards de civilisations potentiellement colonisatrices.

Pourtant, le ciel demeure silencieux. La Terre est à ce jour le seul exemple de vie dans l’Univers.

Face à ces doutes, plusieurs réponses peuvent être envisagées, en voici quelques-unes :

  • La vie est un accident, nous sommes effectivement seuls dans l’Univers
  • Les civilisations extraterrestres s’éteignent avant de pouvoir parvenir au voyage interstellaire
  • Nous recevons la visite discrète d’extraterrestres (observations d’ovnis, phénomènes d’abductions, etc.)
  • Corollaire de l’idée précédente : les extraterrestres connaissent notre position dans la galaxie, mais ne souhaitent pas nous rendre visite

C’est à travers de larges grilles…

C’est John A. Ball qui sera en mars 1973 le premier à émettre cette hypothèse, dans un article paru dans la revue Icarus, intitulé The Zoo Hypothesis. Ball part de trois prémisses absolument cruciales pour valider son hypothèse. Autrement dit, si l’une de ces trois prémisses est incorrecte, alors l’hypothèse du zoo est infirmée.

Premièrement, la vie apparaîtra si les conditions sont réunies pour que cela soit le cas.

Kepker-186f, explanète similaire à la Terre (vue d'artiste).

Kepker-186f, explanète similaire à la Terre (vue d’artiste).

Deuxièmement, il existe beaucoup d’endroits dans le cosmos sur lesquels la vie est en mesure d’apparaître. Lorsque Ball publia son article, l’existence des exoplanètes n’avait pas encore été confirmée par l’observation. C’est le cas depuis 1995, et régulièrement la NASA communique (parfois avec un peu trop d’entrain !) sur la découverte de planètes dites « habitables », ce critère étant mesuré par un indice de similarité avec la Terre. La découverte sur notre planète d’organises extrêmophiles est également encourageante sur la capacité de la vie à apparaître et se développer dans des conditions jugées auparavant extrêmement défavorables (températures très chaudes ou très froides, milieux radioactifs, etc.).

Troisièmement, nous n’avons pas connaissance d’une civilisation extraterrestre. C’était le cas en 1973, c’est toujours le cas en 2016.

Si ces trois prémisses sont vérifiées, alors l’hypothèse du zoo peut être envisagée.

Selon Ball, trois grandes catégories définissent l’évolution d’une civilisation :

  • la destruction (de l’intérieur ou de l’extérieur)
  • la stagnation technologique
  • le progrès technologique quasi-continu
Notre civilisation continuera-t-elle son développement technologique ? Est-elle vouée à la stagnation ou, pire, à la destruction ?

Notre civilisation continuera-t-elle son développement technologique ? Est-elle vouée à la stagnation ou, pire, à la destruction ?

Cette dernière catégorie est entendue comme la capacité croissante d’une civilisation à contrôler son environnement. Comme Ball le rappelle, notre action en tant qu’êtres humains sur Terre influe la quasi-totalité de notre environnement, des  virus jusqu’aux éléphants. Corollaire de cette action colonisatrice parfois négative, notre éthique nous pousse à vouloir parfois isoler certaines espèces ou mêmes civilisations pour leur permettre de se développer naturellement, c’est-à-dire en interagissant peu ou pas avec l’homme. Ainsi des réserves naturelles, des zoos ou des zones entières laissées à l’état sauvage.

Certaines tribus amazoniennes demeurent isolées du reste du monde depuis plusieurs millénaires.

Certaines tribus amazoniennes demeurent isolées du reste du monde depuis plusieurs millénaires.

Ball explique :

Le zoo parfait […] serait celui dans lequel la faune qui y vit n’interagit pas avec ses gardiens, et n’est même pas au courant de leur existence.

Derrière les barreaux, le vide de l’éternité

Dans cette optique, la dernière prémisse est déterminante. Selon l’hypothèse du zoo, Nous n’aurons jamais de contact avec une civilisation extraterrestre, car nous sommes mis à l’écart. Toute interaction est empêchée, au moyen d’une technologie supérieure que nous ne serons jamais en mesure de détecter.

Les critiques à l’encontre de cette hypothèse étonnante n’ont pas manquées :

  • En fin d’article, Ball lui-même la juge pessimiste et déplaisante, en précisant toutefois que l’histoire des sciences contient de nombreux exemples d’hypothèses pessimistes qui se sont avérées par la suite.
  • Peut-on tout simplement croire que toutes les civilisations extraterrestres, de concert, décident de notre isolement ? Cette règle serait-elle unanime, inviolable, sans possibilité d’être transgressée ?
  • Et puis, quel crédit accorder à une hypothèse par essence invérifiable ? Peut-on la qualifier de scientifique ?

Ces critiques n’ont pas empêché scientifiques et philosophes de revenir sur l’idée de Ball, tantôt en la développant, tantôt en en fournissant une version alternative.

Le roman La Guerre des Mondes de H.G. Wells, paru en 1898, supposait déjà une observation à notre insu par des extraterrestres, pour des raisons belliqueuses par contre...

Le roman La Guerre des Mondes de H.G. Wells, paru en 1898, supposait déjà une observation à notre insu par des extraterrestres, pour des raisons belliqueuses par contre…

Du zoo à Matrix

Commençons par évoquer l’hypothèse du laboratoire, antérieure à celle du zoo, et d’ailleurs considérée par Ball comme grotesque et morbide. Elle stipule que la vie sur Terre ne serait qu’une expérience de laboratoire menée par des chercheurs extraterrestres, qui n’auraient donc aucun intérêt à la parasiter. Une idée quasiment créationniste !

Poussant plus loin l’idée de Ball et sortant du cadre du zoo stricto sensu, l’hypothèse de la quarantaine cosmique : cet isolement est peut-être une sorte de test de la population terrestre, mise en quarantaine le temps qu’elle parvienne à un stade technologique suffisant, évite sa propre autodestruction ou résolve les problèmes de l’humanité. Là encore, toutefois, il faut partir du principe que la ou les civilisations extraterrestres exercent un pouvoir hégémonique.

Idée similaire : l’hypothèse de l’interdit. Sous-entendu, l’interdiction pour les civilisations extraterrestres d’accéder à la Terre. Voilà qui résout la principale objection émise au sujet de l’article original : pourquoi demeurent-ils malgré tout silencieux, pourquoi aucune civilisation ne brise-t-elle la règle, pourquoi aucune faction extraterrestre dissidente ne cherche-t-elle pas à passer sa tête entre les barreaux ? Martyn J. Fogg, dans un article paru en 1986, explique : il s’agirait d’un pacte galactique conclu entre civilisations. Reprenant ainsi l’idée de Carl Sagan (grand scientifique et vulgarisateur américain) et Newman (physicien et mathématicien américain) dans un article commun en 1981 :

La mise en place d’un Codex Galactica inviolable, qui impose des injonctions strictes contre la colonisation ou la prise de contact avec des planètes déjà peuplés,  n’est en aucun cas exclus.

En somme, tout contact avec la Terre serait interdit tant que nous n’aurions pas atteint un certain stade technologique. En fait, la colonisation deviendrait même totalement inutile : Sagan et Newman proposent en effet que les civilisations très anciennes auraient résolu depuis longtemps les questionnements tels que le contrôle des territoires, l’accroissement de la population, le vieillissement ou même la mort, propres à nos sociétés terrestres immatures. La ressource principale d’une telle civilisation deviendrait alors tout simplement… le savoir, la connaissance. Dès lors, quel besoin de venir coloniser la Terre pour sa technologie et ses ressources si primaires ?

Autre développement intéressant, et très stimulant pour la science-fiction : l’hypothèse de l’apartheid cosmique. Les civilisations extraterrestres nous observent et nous accompagnent dans notre évolution sans toutefois se manifester ouvertement, tels des tuteurs venus d’ailleurs, exerçant leur influence au travers des religions, par exemple.

La Sentinelle, nouvelle d'Isaac Asimov qui a inspiré le scénario de 2001 : L'Odyssée de l'Espace de Stanley Kubrick, propose une idée similaire : c'est un étrange monolithe noir qui a fait avancer l'humanité à plusieurs moments charnières dans son histoire.

La Sentinelle, nouvelle d’Isaac Asimov qui a inspiré le scénario de 2001 : L’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick, propose une idée similaire : c’est un étrange monolithe qui a fait avancer l’humanité à plusieurs moments charnières dans son histoire.

Le développement peut-être poussé encore plus loin, bien plus loin… Comme par exemple avec les hypothèses du planétarium ou des cerveaux matriochka : le Système Solaire tout entier ne serait qu’une réalité virtuelle… Idée similaire à l’hypothèse de simulation qui a déjà eu les faveurs d’un article ici-même.

Et si nous découvrions bientôt une forme de vie, même bactérienne, et pourquoi pas dans le Système Solaire, sur un satellite de Jupiter ou de Saturne ? A l’inverse, et si nous étions la toute première civilisation technologique de la galaxie, chargée d’accomplir une mission panspermique et de la diffuser partout dans la Voie Lactée ? Croisons les doigts pour que l’exobiologie, domaine fascinant de l’étude de l’apparition et de la diffusion de la vie dans l’Univers, puisse nous fournir quelques réponses avant la fin du siècle…

Cet article L’hypothèse du zoo est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
http://dans-la-lune.fr/2016/02/20/lhypothese-du-zoo/feed/ 0
Vivons-nous dans une simulation informatique ? http://dans-la-lune.fr/2016/01/26/hypothese-de-simulation-vivons-nous-dans-une-simulation-informatique/ http://dans-la-lune.fr/2016/01/26/hypothese-de-simulation-vivons-nous-dans-une-simulation-informatique/#comments Tue, 26 Jan 2016 12:03:39 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=264 Cette hypothèse semble tirée d’un récit de science-fiction, et ses conséquences donnent le vertige. Elle est pourtant envisagée par certains chercheurs. Et si notre Univers n’était qu’une simulation informatique ? La cuillère n’existe pas Que de chemin parcouru depuis le dépouillement de la représentation d’un match de tennis dans Pong jusqu’aux rues ultra-détaillées de Gran Theft Auto V ou […]

Cet article Vivons-nous dans une simulation informatique ? est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
Cette hypothèse semble tirée d’un récit de science-fiction, et ses conséquences donnent le vertige. Elle est pourtant envisagée par certains chercheurs. Et si notre Univers n’était qu’une simulation informatique ?

La cuillère n’existe pas

Que de chemin parcouru depuis le dépouillement de la représentation d’un match de tennis dans Pong jusqu’aux rues ultra-détaillées de Gran Theft Auto V ou des sublimes planètes de la simulation spatiale Elite : Dangerous ! Les qualités des mondes virtuels dépeints par les jeux-vidéos, qu’elles soient graphiques, scénaristiques ou narratives, réussissent durant un temps à nous faire oublier le monde réel, physique, tangible, et à nous accrocher devant une suite ininterrompue de 0 et de 1.

A gauche, Pong (1972). A droite, le jeu de tennis de GTA V (2013).

A gauche, Pong (1972). A droite, le jeu de tennis de GTA V (2013).

Les progrès de l’informatique en générale sont de toute façon ahurissants, et ce dans tous les domaines d’application. Deux exemples parmi tant d’autres :

  • Les ordinateurs sont aujourd’hui capables de cartographier avec une précision extraordinaire les milliards de galaxies voisines de la Voie Lactée.
  • Le projet Blue Brain d’IBM tente de reconstituer de manière informatique un cerveau humain.

Et tout cela en quelques décennies seulement. De quoi sera capable l’informatique dans seulement un siècle ? Et dans mille ans ?

Cosmographie de l'Univers observable : vous êtes ici !

Cosmographie de l’Univers observable : vous êtes ici !

La science-fiction s’est évidemment emparée du thème depuis longtemps : l’ordinateur, nous raconte-t-elle parfois, sera capable de simuler un monde virtuel avec tant de précisions qu’il sera en tout point conforme au nôtre.

Matrix (1999).

Matrix (1999).

En s’inspirant de ces œuvres, la trilogie Matrix, des frères Wachowski, porta ce thème jusqu’au grand public. A la fin de Matrix, tout spectateur se pose la question : et si ? Et si nous vivions, nous aussi, dans une simulation informatique ?

Ce qui peut sembler de prime abord farfelu est pourtant sérieusement envisagé par les partisans de ce qui est appelé « l’hypothèse de simulation ». Bien sûr, ces théories demeurent hautement controversées, complètement hypothétiques ; mais aussi tout à fait fascinantes…

Nick Bostrom. Son nom est cité de manière récurrente dans les papiers consacrés à cette hypothèse. Nick Bostrom est l’auteur d’un article précurseur, paru en 2003 dans la revue Philosophical Quarterly, et intitulé Are You Living In a Computer Simulation? (Vivez-vous dans une simulation informatique ?).

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, Bostrom n’est pas un partisan absolu de l’hypothèse de simulation (the simulation argument). Le point d’interrogation à la fin du titre de son article n’est d’ailleurs pas là par hasard. En fait, Bostrom écrit que l’un au moins des trois postulats suivants est avéré :

  • L’humanité s’éteindra probablement avant d’atteindre un stade post-humain (ou transhumaniste)
  • Il est peu probable qu’une civilisation post-humaine puisse créer des simulations informatiques de la réalité
  • Nous vivons certainement dans une simulation informatique

En résumé, l’idée est la suivante : la probabilité que nous devenions un jour post-humains et développions des simulations informatiques de notre passé est faible, si cela arrive néanmoins alors nous vivions sans doute déjà dans une simulation.

D’accord, mais post-humain, ça veut dire quoi ?

Transhumanisme : de l’Homme qui valait trois milliards à Matrix

Le post-humanisme fait référence au transhumanisme, un courant intellectuel en vogue, dont le pape est américain et s’appelle Ray Kurzweil. Il est l’auteur de la Bible des transhumanistes, Singularity is Near : When humans transcend Biology. Tout est déjà dans le titre, résumé des 600 pages du livre.

Par le truchement des révolutions dans le domaine de la génétique, de l’intelligence artificielle et des nanotechnologies, les transhumanistes croient que l’humanité parviendra à un stade particulier de son évolution technologique, suite à un événement fondateur appelé la Singularité.

Ray Kurzweil

Voici Ray Kurzweil. Bonjour, Ray. Ray veut devenir le premier homme immortel, il a donc tout intérêt à ce que la Singularité survienne rapidement, puisqu’il est né en 1948. En attendant, Ray survit en gobant 150 pilules de vitamines et d’antioxydants par jour.

Kurzweil écrit :

La Singularité représentera le point culminant de l’osmose entre notre mode de pensée biologique et l’existence avec notre technologie. Le résultat sera un monde toujours humain mais qui transcendera nos racines biologiques. Il n’y aura plus de distinction entre les humains et la machine ou entre la réalité physique ou virtuelle.

Pour les transhumanistes, la singularité est un changement radical, inéluctable, et les prédictions s’accordent à dire qu’elle est prévue entre les années 2030 et 2050.

Comment un tel changement de paradigme peut-il arriver si vite ? C’est que les transhumanistes pensent que la croissance du développement technologique n’est pas linéaire mais exponentielle.

Dans une tendance linéaire, le progrès se développe par un facteur additionnel : 1, 2, 3, 4, 5, etc.
Dans une tendance exponentielle, le progrès se de développe par un multiplicateur : 1, 2, 4, 8, 16, 32, etc. A un moment, le progrès accélère puis explose soudainement, pour atteindre un rythme de croissance phénoménal.

Cette croissance exponentielle se fonde sur la célèbre loi de Moore, du nom d’un ingénieur d’Intel : le nombre de transistors des microprocesseurs double tous les dix-huit mois. En somme, la puissance augmente, tandis que le prix diminue.

94b9289c8f_1moore

Partant de ce principe, Kurzweil, dont l’approche englobe toute l’histoire de l’univers depuis le Big-Bang jusqu’au moment où arrive la Singularité, distingue six époques de l’évolution :

  • Epoque 1 : la physique et la chimie, quelques centaines de milliers d’années après le Big-Bang, la formation des atomes, la création des molécules.
  • Epoque 2 : la biologie et l’ADN, et le début de la vie, il y a plusieurs milliards d’années.
  • Epoque 3 : la capacité de certains animaux à analyser et stocker de l’information grâce à leur cerveau.
  • Epoque 4 : l’apparition de la technologie et son évolution.
  • Epoque 5 : la fusion de la technologie humaine avec l’intelligence humaine, ou la Singularité.
  • Epoque 6 : le réveil de l’univers, la redéfinition des notions d’espace et de temps, la réorganisation de la matière et de l’énergie, la multiplication de l’intelligence par des milliards et des milliards de fois. Concepts nébuleux extrêmement difficiles à prévoir et trop complexes pour nos cerveaux uniquement biologiques très imparfaits !

Le post-humanisme fait référence à l’époque 5, le moment où l’homme transcende sa condition d’humain.

Pour Nick Bostrom, une telle débauche de technologie, si tant est qu’elle soit possible, amènerait sans doute nos descendants post-humains à créer des simulations de leur passé sur leurs ordinateurs, des simulations de la vie de leurs ancêtres (vous et moi). A supposer que ces simulations de leurs ancêtres disposent d’une conscience (certes, cela fait beaucoup de suppositions), alors il est rationnel de penser que nous sommes nous-mêmes issus d’une telle simulation. Au contraire, si nous ne sommes pas issus d’une de ces simulations informatiques, alors il y a fort à parier que nos descendants ne seront jamais en mesure de les générer.

schema

Si nous parvenons au stade post-humain,et que nous créons des simulations, alors nous sommes très certainement issus d’une telle simulation. CQFD !

Les détracteurs

Depuis 2003 et la publication de l’article original de Bostrom, l’hypothèse de simulation enflamme Internet.

Pour le physicien américain Max Tegmark, auteur du livre Notre Univers Mathématique, longue quête d’un chercheur sur la nature ultime de la réalité, l’argument de la simulation est invalide, pour principalement deux raisons :

  • Si le post-humanisme permet la création de simulation, et si nous sommes une simulation, alors nous pourrons nous aussi créer des simulations une fois parvenus à la Singularité. Nous sommes alors sans doute une simulation, dans une simulation, dans une simulation, et ainsi de suite jusqu’à l’infini, en une espèce de mise en abîme aussi vertigineuse qu’absurde.
  • Tegmark souligne ensuite que tenter de définir les ressources en calcul de notre univers simulé est inutile : il faudrait définir celles de l’univers dans lequel a lieu la simulation ; et de celui-là nous ne savons absolument rien.

Un autre argument est celui de la complexité nécessaire pour faire tourner une telle simulation. Premièrement, la Loi de Moore est régulièrement remise en cause (à cause de la limite physique de la taille des composants informatiques : on ne pourra pas toujours les miniaturiser !), éloignant notre civilisation de la possibilité d’atteindre la Singularité. Deuxièmement, nos descendants pourront-ils vraiment simuler un Univers sur un ordinateur contenu lui-même à l’intérieur de cet Univers ? La puissance de calcul de l’Univers est estimée à environ 10120 bits. Un ordinateur capable de simuler notre Univers à la perfection doit donc disposer d’une puissance de calcul encore plus importante : comment est-ce possible alors qu’il est contenu à l’intérieur de ce même Univers ?  Ne serons-nous capables que de réaliser des simulations approximatives, compressées, grossières, de la même manière que compte tenu de ses capacités techniques un DVD est loin de fournir la même qualité d’image qu’un Blu-Ray ?

La simulation d'Univers, comme la restauration de tableaux, est un art complexe !

La simulation d’Univers, comme la restauration de tableaux, est un art complexe !

Les partisans de l’hypothèse de réalité répliquent en affirmant que la complexité de l’Univers est surestimée : une structure sous-jacente relativement simple régit l’univers, de laquelle découlent ensuite tous les phénomènes physiques. Simuler un Univers serait plus simple, ou en tout cas pas forcément plus compliqué, que simuler un cerveau.

Le débat se concentre surtout sur une question récurrente : s’agit-il bien encore là de physique, de science dure, ne sommes-nous pas déjà en train de pérorer sur des questions métaphysiques ?  N’est-ce pas simplement de la pure science-fiction ? Pour le savoir, une seule solution : place à l’expérience.

Vers l’expérience : confirmer ou infirmer l’hypothèse de simulation

Une méthodologie particulière du physicien Martin Savage et de ses collègues des Universités de Washington (Etats-Unis) et de Bonn (Allemagne) propose d’étudier les éventuelles signatures, ou traces, qu’une simulation pourrait laisser sur notre Univers, en partant du postulat que les méthodes de simulation et les algorithmes utilisés aujourd’hui seront utilisés dans le futur, même de manière parcellaire. Il faut bien disposer d’éléments de comparaison.

Car oui, nos supercalculateurs modernes sont bien en train d’essayer de simuler notre Univers. Ce champ de recherche fascinant n’en est encore qu’à ses balbutiements, et les résultats sont pour le moins primitifs… Nous sommes capable de simuler une minuscule partie de notre Univers, pour le moment, d’une taille de quelques femtomètres, sachant qu’un femtomètre est égal à 10-15 mètres (soit 0,000 000 000 000 001 mètre) !

Dans ces univers informatiques primitifs, mathématiciens et physiciens tentent notamment de récréer l’une des quatre interactions fondamentales qui régissent tous les phénomènes physiques observés dans l’Univers :

  • L’interaction nucléaire forte
  • L’Interaction électromagnétique
  • L’interaction faible
  • Et bien sûr la gravitation

Inutile de rentrer dans les détails, notez toutefois que la simulation informatique de l’interaction nucléaire forte est extrêmement complexe, et nécessite la création d’un maillage particulier, appelé QCD sur réseau. QCD, ici, est l’acronyme de chromodynamique quantique : la théorie qui décrit physiquement l’interaction forte.

Ce maillage, cet outil particulier mis en place pour pallier à la complexité de la simulation de l’interaction forte, pourrait être la signature indiquant que notre Univers lui-même est une simulation, si tant est qu’il ait été utilisé par nos descendants (ou bien une autre civilisation dont les ordinateurs font tourner notre Univers). Comment ? Par l’observation des rayons cosmiques, qui ne réagiraient pas de la même manière en présence d’une QCD sur réseau…

Trouverons-nous un jour l'indice en faveur de l'hypothèse de simulation ? (The Truman Show, 1998)

Trouverons-nous un jour l’indice en faveur de l’hypothèse de simulation ? (The Truman Show, 1998)

Bien, mais cette expérience ne donnera pas de résultats tangibles avant plusieurs décennies, au mieux. Que reste-t-il faveur de l’hypothèse de simulation ? Peut-être le  principe anthropique : l’Univers est réglé de manière extrêmement précise, depuis le Big Bang, par une série de paramètres primordiaux. Déréglez un et un seul de ces paramètres, et jamais la vie et l’homme ne seraient apparus ! Ce qui fait dire à certains spécialistes que l’Univers a été « conçu » pour que l’homme y fasse son apparition et se questionne sur l’Univers… Dominique Lecourt, dans son Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences, parle :

d’une succession vertigineuse de hasards minutieux…

De hasards minutieux, vraiment ? Et si ces hasards étaient provoqués ? Non pas par un créateur chimérique mais plutôt par… Enfin, voyons… L’ordinateur suprême !

Cet article Vivons-nous dans une simulation informatique ? est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
http://dans-la-lune.fr/2016/01/26/hypothese-de-simulation-vivons-nous-dans-une-simulation-informatique/feed/ 1
Représentation du cosmos dans le jeu-vidéo : réalisme ou fantaisie ? http://dans-la-lune.fr/2015/12/24/representation-du-cosmos-dans-le-jeu-video-realisme-ou-fantaisie/ http://dans-la-lune.fr/2015/12/24/representation-du-cosmos-dans-le-jeu-video-realisme-ou-fantaisie/#respond Thu, 24 Dec 2015 10:41:19 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=196 Plusieurs films de science-fiction, ces derniers mois, ont voulu asseoir leur prétendue crédibilité grâce à une caution scientifique. L’astrophysicien américain Kip Thorne a conseillé Christopher Nolan pour Interstellar qui fut salué par la presse généraliste, notamment pour le réalisme de la représentation du trou noir. Lors de la sortie de Gravity d’Alfonso Cuarón, de nombreux […]

Cet article Représentation du cosmos dans le jeu-vidéo : réalisme ou fantaisie ? est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
Plusieurs films de science-fiction, ces derniers mois, ont voulu asseoir leur prétendue crédibilité grâce à une caution scientifique. L’astrophysicien américain Kip Thorne a conseillé Christopher Nolan pour Interstellar qui fut salué par la presse généraliste, notamment pour le réalisme de la représentation du trou noir. Lors de la sortie de Gravity d’Alfonso Cuarón, de nombreux cosmonautes se sont enthousiasmés de retrouver au cinéma les sensations qu’ils avaient ressentis là-haut. Le plus discret et pourtant réussi Europa Report de Sebastián Cordero s’est servi des conseils d’un exobiologiste pour imaginer la surface d’Europe, le satellite de Jupiter. En vérité, tout un pan de la littérature SF s’appuie sur la plausibilité scientifique des futurs qu’elle décrit :  la hard-SF, genre dont la lecture est considérée comme particulièrement ardue, parfois à tort. L’astrophysique a cela de particulier que derrière ses atours de science difficile, elle constitue pour les arts un terreau idéal au dépaysement, parce que certaines de ses théories spéculatives dépassent l’imagination des auteurs les plus fertiles. C’est vrai au cinéma, c’est vrai en littérature : c’est aussi vrai dans le jeu-vidéo. Un genre longtemps laissé de côté, la simulation spatiale, revient sur le devant de la scène grâce à deux mastodontes, Elite : Dangerous et Star Citizen. Tous deux se réclament réalistes, ce qui ne manque pas de déclencher d’âpres batailles sur les forums entre les partisans de chaque titre. Mais représenter le cosmos de manière réaliste dans le jeu-vidéo, est-ce possible et surtout est-ce utile ?

My god, it’s full of stars !

Comment nos machines vidéoludiques aux capacités techniques forcément limitées peuvent-elles rendre compte correctement de l’immensité du vide qui nous surplombe ? Genre historiquement réservé au PC, les simulations spatiales se sont depuis maintenant trente ans penchées sur la question. Il s’agit de faire ressentir au joueur le frisson de l’infini du cosmos, et d’asseoir cette sensation avec un réalisme minimum.

Elite, 1984.

Elite, 1984.

Il y a vingt ou trente ans, faire tenir plusieurs galaxies et plusieurs milliers de planètes sur quelques kilo-octets de mémoire représentait un tour de force technique. La solution ? Non pas l’optimisation ou la compression à outrance, mais plutôt une utilisation astucieuse des mathématiques. C’est notamment le cas du père fondateur du genre, le vénérable Elite, paru en 1984. Pour son créateur David Braben, représenter l’espace n’était pas une volonté mais une nécessite : rien d’autre que le seul moyen de créer un monde ouvert avec les technologies de l’époque. L’espace,

une grande aire de jeu ouverte avec des points à l’intérieur, ainsi que quelques vaisseaux [i]

comme le définit Braben qui raconte d’ailleurs souvent que le jeu qui se rapproche le plus d’Elite est selon lui GTA. Le vide de l’espace, habile subterfuge pour éviter des modélisations trop compliquées. Braben pense concevoir au départ un univers contenant 282 mille milliards de galaxies, mais il doit bientôt revoir ses prévisions à la baisse. La raison ? Moins technique que ludique : l’Univers doit être suffisamment grand pour créer chez le joueur cette impression d’immensité, mais suffisamment petit pour que chaque système solaire soit unique. Suivant un principe proche de la séquence de Fibonacci, Braben et son acolyte Ian Bell utilisent une séquence hexadécimale de six nombres pour générer chaque planète. Ces six nombres en déterminent toutes les caractéristiques (sa position, sa taille, son avancée technologique, son type de gouvernement, son modèle économique, etc). Huit galaxies contenant chacune 256 étoiles, le tout généré de façon procédurale. Un exploit qui marquera profondément l’industrie et les joueurs. Elite détient d’ailleurs un record officialisé par le Guiness : celui du premier jeu utilisant la génération procédurale. Sauts dans l’hyperespace, voyages interstellaires, stations spatiales en orbite, arrimages sur fond de Danube Bleu de Strauss : les sensations sont bien là. Un genre est né.

Ce sont aussi les mathématiques qui seront utilisées pour l’Arche du Captain Blood, en 1988. Didier Bouchon met au point un système d’équations fractales qui calculent en temps réel la représentation des planètes. Ces graphismes en fil de fer, proches de ceux de la Vectrex, ont une allure forcément rudimentaire, mais la surface de chaque planète est unique.

L'Arche du Captain Blood, 1988.

L’Arche du Captain Blood, 1988.

Genre élitiste par excellente, les simulateurs spatiaux ont connu leurs heures de gloire dans les années 90, jusqu’à la sortie de Freespace 2 en 1999 qui représente la quintessence du genre. Ils connaissent à nouveau les faveurs des joueurs depuis les financements participatifs de deux mastodontes : Elite Dangerous, quatrième opus de la franchise mythique (à hauteur d’environ 2 millions d’euros) et surtout Star Citizen de Chris Roberts, créateur des Wing Commander (qui a récolté près de 74 millions d’euros à ce jour). Laissant peu de place à la fantaisie, les deux titres recherchent le réalisme, évidemment dans les règles que se fixent leurs univers de science-fiction.

La carte d'Elite Dangerous : notre galaxie.

La carte d’Elite Dangerous : notre galaxie.

La démarche d’Elite, à ce titre, est extrêmement ambitieuse : représenter notre galaxie, la Voie Lactée, dans son intégralité. Réalisme optimal : la galaxie est représentée à l’échelle, avec environ 400 milliards d’étoiles autour desquelles orbitent des planètes de manière dynamique. Chacune des 160 000 étoiles connues à ce jour est représentée fidèlement, les autres sont générées aléatoirement. Les vaisseaux, les astéroïdes et autres débris stellaires se déplacent conformément aux lois newtoniennes. Une première. Les objets stellaires les plus fascinants ne sont pas oubliés. Ainsi du trou noir, très en vogue depuis le succès d’Interstellar. Il est représenté sans disque d’accrétion (la matière qui orbite autour du trou noir), mais avec un effet de lentille gravitationnelle (les rayons lumineux sont déviés et l’image renvoyée au spectateur est déformée). Dans Elite : Dangerous, dépasser l’horizon des événements du trou noir, point au-delà duquel rien ne s’en échappe, pas même la lumière, est possible, en revenir également… Tentative d’explication : le vaisseau pouvant se déplacer plus rapidement que la lumière, il n’est pas soumis aux lois classiques de la physique. La cohérence avec l’univers du titre est respectée. Elite : Dangerous fourmille de particularités témoignant d’un souci du détail proche de l’autisme, et surtout d’une passion absolue de l’équipe de développement pour l’astronomie. Ainsi, la sonde Voyager, lancée en 1977 par la NASA, continue à flotter dans l’espace, au lieu où elle devrait se trouver en l’an 3300, année où prend place le jeu !

L’approche de Star Citizen est différente, et peut sembler à première vue moins réaliste. Sur le site officiel du jeu, Star Citizen est décrit comme un « First Person Universe » sur lequel Chris Roberts est éloquent :

je ne veux pas créer un jeu. Je veux créer un Univers. [ii]

Tout un programme. Si la Voie Lactée sert aussi de décor cosmique, en revanche l’échelle n’est pas respectée : les distances entre les étoiles sont beaucoup plus réduites. Conséquence immédiate sur le jeu en ligne : il est moins rare de rencontrer d’autres joueurs. Chris Roberts en convient : un jeu de combat spatial réaliste serait tout sauf fun.

Le modèle est celui du dogfighting de la seconde guerre mondiale dans l’espace. Même si nous faisons beaucoup de choses justes d’un point de vue physique, nous nous permettons également d’autres choses, comme limiter les vitesses, parce que c’est le seul moyen d’avoir des combats funs. [iii]

Dont acte. Rappelons que Chris Roberts est le créateur de la saga Wing Commander, souvent comparé à Elite et pourtant tellement différent… Wing Commander s’est toujours affranchi du réalisme, préférant raconter l’histoire d’un pilote mené à vivre une grande épopée spatiale. Star Wars, en somme.

La postérité retiendra que Mark Hamill alias Luke Skywalker a joué dans les séquences vidéo de Wing Commander II et IV.

La postérité retiendra que Mark Hamill alias Luke Skywalker a joué dans les séquences vidéo de Wing Commander II et IV.

Pour Hugues Chabot, Maître de conférences en Histoire des Sciences à l’Université Lyon 1 et par ailleurs spécialiste en science-fiction,

les œuvres de SF qui s’affranchissent le plus délibérément de la vraisemblance scientifique, comme La Guerre des étoiles, sont à rapprocher d’un autre courant de l’imaginaire contemporain : la fantasy. Planètes et machines constituent les simples décors et accessoires d’aventures qui n’ont rien à envier aux histoires de chevalerie.

Star Citizen garde l’idée de la grande épopée opposant deux camps et conserve les dogfights nerveux de son illustre ancêtre, mais se targue lui aussi d’être conforme à la physique newtonienne.

Règle primordiale, donc : le réalisme ne doit jamais entraver le fun, et tout ce qui est scientifiquement douteux s’explique par une volonté de ne pas nuire au plaisir du joueur, et par une technologie future hypothétique que nous ne pouvons que théoriser. Dans Elite comme dans SC, le son se déplace dans l’espace, et les lasers sont visibles dans le vide.

Star Citizen. C'est beau.

Star Citizen. C’est beau.

Autre entorse à la science : le voyage en hyperespace, absolument nécessaire pour éviter de devoir voyager des dizaines de milliers d’années entre chaque étoile. Les distances de l’univers étant ce qu’elles sont, cette convention pratique n’enlève rien au côté dépaysant des deux jeux, et à la prise de conscience du joueur de l’immensité du cosmos, particulièrement bien rendue.

Dans Elite : Dangerous, l’espace est compressé autour du joueur. Cette technologie appelée Frame Shift Drive contracte l’espace devant le joueur et le dilate derrière lui, suivant la métrique développée par la physicien mexicain Alcubierre. Concrètement, les lois d’Einstein ne sont pas bafouées, le vaisseau ne se déplace pas plus vite que la lumière : il déforme l’espace-temps. L’an dernier, la présentation par un physicien travaillant pour la NASA, Harold G. White, d’un vaisseau de ce type, nommé IXS Enterprise en référence à Star Trek, a fait grand bruit dans la presse.

Ce réalisme vidéoludique peut revêtir d’autres atours : ainsi, dans un autre genre, de Kerbal Space Program, qui a reçu les honneurs de la NASA et de l’ESA. Le jeu est loué pour son extrême réalisme, ce qui détonne au premier abord tant son look cartoon et ses petits personnages verts (semblables aux Minions) contrastent avec le reste de la production de jeux dits spatiaux. Et pourtant ! Comme son nom l’indique, KSP propose au joueur de gérer un programme spatial. Il s’agira de construire un engin spatial – fusée, station – puis de l’envoyer dans l’espace. Une mince affaire ? Du tout. Le jeu est très fidèles aux bases de la mécanique orbitale. Et décoller d’une planète pour se mettre en orbite peut devenir un enfer pour qui ne s’est pas sérieusement intéressé au sujet. Les autres pourront installer des mods rendant le jeu encore plus réaliste. Un cauchemar.

Sans doute au fait de l’intérêt grandissant du public pour ce genre de titres, la NASA collabore elle-même sur un jeu-vidéo spatial. L’armée américaine a son FPS, America’s Army, la NASA aura son MMO, sobrement appelé Astronaut et financé sur Kickstarter (à hauteur d’environ 44 000 euros). Dans Astronaut, chaque joueur à son rôle (qu’il soit ingénieur, physicien ou bien pilote) dans la colonisation du système solaire, à commencer par Mars. Construire un vaisseau ou un rover, mettre en place une colonie, explorer les environs, apprendre à vivre sur une autre planète : tout le challenge est là.

Meilleur vous êtes en science et ingénierie, combinant physiques et mathématiques, et le plus de mécaniques vous pouvez développer [iv]

explique Shariff. La visée est ici moins celle du fun que celle d’un serious game : faire naître des vocations.

Si nous pouvons attirer les gens lorsqu’ils sont jeunes, en utilisant le jeu-vidéo et les réseaux sociaux, nous pourrons accroître leur attraction pour ce domaine, tout comme Buck Rogers, Star Trek et Carl Sagan l’ont fait pour les générations précédentes [v]

conclut Shariff.

Alors pourquoi cette quête de réalisme dans un genre, la science-fiction, qui peut pourtant s’en affranchir ? D’une part parce que le cosmos a le vent en poupe. Les dernières missions spatiales en date de l’ESA – Rosetta en tête – et de la NASA ont été activement couvertes par les medias généralistes et suivies sur les réseaux sociaux. Les documentaires de vulgarisation de physique (en premier lieu Cosmos : Une odyssée à travers l’univers) cartonnent. Et un biopic est consacré à l’astrophysicien Stephen Hawking (à ses amourettes plus qu’à ses théories, certes)…

Poésie des vertiges de l’infini

En dehors du réalisme, point de salut ?

Un espace de Calabi-Yau. Ça ne ressemble à rien, effectivement.

Un espace de Calabi-Yau. Ça ne ressemble à rien, effectivement.

Loin de ces espaces vertigineux s’appuyant sur les dernières découvertes astronomiques pour justifier leur réalisme jusqu’au-boutiste, une école plus traditionnelle préfère l’évocation et le recours à l’imaginaire pour faire rêver le joueur. Science dure par excellence, l’astrophysique n’a pour autant jamais été hermétique à la poésie. Propices à l’émerveillement, les mystères qui nous surplombent ont donné lieu à des œuvres à l’évocation poétique puissante. Et même les plus terribles des objets mathématiques ou physiques peuvent inspirer le poète : ainsi de Jacques Réda qui composa des vers sur les trous noirs et les espaces de Calabi-Yau, ou Jean-Pierre Luminet, astrophysicien et auteur de plusieurs recueils de poésie, qui s’amuse du rapport ténu qu’entretiennent la création artistique et scientifique et rappelle qu’il existe plusieurs courant dans la science-fiction :

celui de la « hard SF » qui tente d’être la plus réaliste possible sur le plan de la science et de la technologie [et] un autre courant – dominant et souvent plus intéressant car s’intéressant davantage à des problèmes de société, d’altérité, etc.

Cette conception différente du genre invite à plus de fantaisie dans la représentation du cosmos. Déjà en termes de couleurs. Du noir pour le vide, du blanc pour les étoiles, des astéroïdes pour agrémenter le tout : depuis Elite en 1984, rien n’a foncièrement changé dans le domaine des simulations spatiales. S’affranchir du carcan parfois obtus du réalisme, c’est repousser les limites de l’imaginaire. Un titre encore en développement promet déjà beaucoup visuellement parlant : No Man’s Sky. Pour Grant Duncan, art director chez Hello Games, l’objectif avoué, dès le départ, était de s’éloigner des tons noirs traditionnellement utilisés. Pari gagné : les milliards de mondes générés de façon procédurale (et qui laissent dubitatifs une partie de la communauté sur l’intérêt final du titre) regorgent de couleurs claires et vives. Palmiers gigantesques aux feuilles oranges qui se détachent sur un ciel vert et auprès desquels se repose une étrange créature violette… L’espace lui-même n’est jamais noir : tantôt marron, tantôt violet, il fait directement référence à la science-fiction des années 70, celle notamment de Jean Giraud (Moebius), Chris Foss ou de Ralph MacQuarrie. Des références assumées : pour Duncan,

ma vision [de la science-fiction] est celle avec laquelle j’ai grandi, c’est-à-dire les couvertures des livres. […] Une vision souvent très colorée, vibrante, et excitante à regarder. [vi]

Une sorte de Diplodocus dans No Man's Sky.

Une sorte de Diplodocus dans No Man’s Sky.

Cette prédominance de couleurs très vives se retrouve aussi dans le jeu français Out There (disponible depuis peu dans une édition augmentée appelée Oméga). Michael Peiffert, graphiste du jeu, explique :

mon style est inspiré des pulp comics pour le trait au pinceau un peu naïf et des animes pour la mise en couleur kitsch. [vii]

A l’heure du pixel art à outrance de la production indépendante et des tons gris-ternes des grosses productions, ce retour aux sources se la SF se révèle salvateur.

Dans un style toutefois plus épuré, le STR space opera Homeworld (paru en 1999, et réédité récemment dans une version remise au goût du jour) utilisait déjà un visuel similaire, notamment pour ses vaisseaux spatiaux. Parmi les inspirations, là encore Chris Foss. Couleurs chatoyantes, surfaces incurvées et surtout fin tracé de couleur laissé derrière lui par chaque vaisseau en déplacement qui donne aux combats des allures de ballet. Le tout sublimé par une musique orchestrale : presque un rituel depuis 2001.

Ces fantaisies visuelles ne sont absolument pas incompatibles avec un minimum de réalisme. Fibre Tigre, game designer d’Out There, aime ainsi à rappeler que

les mécaniques du jeu tentent de coller au plus près d’éléments scientifiques […] Nous partons du principe que la réalité est plus étonnante et fascinante que toute production de l’imagination.

Alors, Out There, de la hard-SF ? Fibre Tigre est éloquent :

Oui. La science fiction est avant tout le territoire des « grandes idées » : l’immortalité, la frontière entre la vie et la simulation de la vie, la singularité, la place de l’homme dans l’univers.

Out There.

Out There.

Décrit comme une aventure spatiale mélancolique, Out There accorde en effet une grande place à la réflexion et à la narration : similaire en apparence à Faster Than Light, le jeu est dénué de tout combat, et s’inspire volontiers d’un Livre dont vous êtes le héros.

Alors donc la science-fiction, même dite hard, pourrait à la fois réaliste et emprunter au merveilleux ? C’est en tout cas l’avis d’Hugues Chabot :

La hard SF constitue bien le noyau dur d’un imaginaire basé sur le strict respect des savoirs scientifiques et techniques, mais c’est souvent pour en tirer des conséquences qui les dépassent largement. Dans cette forme de SF très intellectuelle, l’émotion est aussi au rendez-vous : elle a pour nom sense of wonder, littéralement « sens du merveilleux », mais qu’il faudrait plutôt traduire par « vertige métaphysique et esthétique », celui éprouvé par la contemplation, dans sa tête ou à l’écran, du spectacle de l’univers révélé par la science et amplifié par la technique.

Réaliste, métaphysique, les deux à la fois : aucun doute, le cosmos n’a pas fini de faire rêver les joueurs…

Bonus Track : l’avis d’Hugues Chabot , Maître de conférences en Histoire des Sciences à l’Université Lyon 1.

Dans La Lune : La SF est un genre qui n’a pas besoin de réalisme pour fonctionner : elle peut s’en affranchir. Pourquoi, selon vous, tout un courant de la SF cherche au contraire la crédibilité scientifique presque absolue, voire recherche la caution de la science elle-même (on a lu dans les médias généralistes qu’Interstellar avait fait avancer la science en ce qui concerne la représentation du trou noir, Gravity a été salué par des cosmonautes comme fidèle aux sensations ressenties dans l’espace) ? Quel intérêt et dans quel dessein ?

Hugues Chabot.

Hugues Chabot.

Hugues Chabot : La SF a toujours entretenu des liens ambivalents avec les sciences et les techniques. Dès ses origines, que certains font remonter au Songe de Kepler (1634), au Frankenstein de Mary Shelley (1818), aux Voyages Extraordinaires de Jules Verne (à partir de 1864), ou seulement aux Scientific Romances de H.G. Wells (à partir de 1895), elle s’assume comme un commentaire philosophique, éthique et même politique sur les conséquences sociales et culturelles des découvertes scientifiques et des inventions techniques. Mais c’est aussi une rêverie sur les possibles, une littérature désirante qui exprime des fantasmes de dépassement et de transgression des frontières au moyen de super pouvoirs ou d’innovations technologiques qui n’ont rien à envier à la magie pure et simple. Peut-être est-ce l’expression de « merveilleux-scientifique », mobilisée par Maurice Renard (1909), qui exprime le mieux cette ambivalence constitutive d’un genre qu’il définit comme « l’aventure d’une science poussée jusqu’à la merveille ou d’une merveille envisagée scientifiquement ». Pour Renard le genre a aussi et surtout une « action sur l’intelligence du progrès » : il prépare les esprits aux changements, par nature imprévisibles et inattendus, peut-être désagréables, qu’apporteront les futures découvertes et inventions. Le postulat sous-jacent est que notre vision du monde et nos modes de vie sont durablement et irréversiblement modifiés par les sciences et les techniques, et c’est ce à quoi la SF propose de nous habituer.

On peut alors interpréter l’obsession du réalisme scientifique de certaines œuvres comme une application du cahier des charges précédent. Si on prend au sérieux l’idée selon laquelle les sciences et les techniques sont les véritables moteurs de l’histoire, alors la SF, en tant qu’expression culturelle de cette croyance, a tout intérêt à crédibiliser son propos en montrant au plus juste et au plus près les merveilles surprenantes de la science présente (les effets relativistes d’Interstellar, les situations d’apesanteur de Gravity) qui annoncent des nouveautés à venir encore plus étonnantes, dépassant les limites de la recherche scientifique actuelle et postulées par des œuvres de SF plus audacieuses (comme l’intelligence artificielle dans le récent Chappie).

Dans La Lune : Peut-on séparer la SF en deux grands genres : la hard-SF réaliste (exemple typique : Greg Eggan) et la SF « poétique » (Chroniques Martiennes de Bradbury), deux genres qui seraient difficilement conciliables ?

Hugues Chabot : Les frontières ne sont pas aussi nettes. Au regard de l’histoire du genre, la hard SF strictement réaliste reste assez atypique. D’ailleurs son écrivain prototype, Jules Verne, a poussé si loin ce réalisme scientifique et technique, qui ne dépasse jamais les connaissances prouvées à son époque, que certains, comme le philosophe des sciences Michel Serres, refusent de l’étiqueter comme un véritable auteur de SF (un débat semblable a eu lieu à propos de Gravity). Tous les grands thèmes de la SF (voyage dans le temps, vie extraterrestre, créatures artificielles…) se sont au contraire développés en prenant beaucoup de liberté avec l’état des connaissances scientifiques et techniques, voire en créant de toutes pièces de nouvelles disciplines et de nouvelles technologies. C’est par exemple le cas d’Isaac Asimov, avec la « psychohistoire » ou avec les robots « positroniques ». C’est que le réalisme visé par une bonne part de la SF est en fait d’ordre sociologique : comment l’humanité pourrait-elle réagir face à des situations radicalement nouvelles engendrées par une révolution scientifique ou une rupture technologique ? Le réalisme scientifique n’est pas forcément absent de ce type d’extrapolation (parfois dénommée speculative fiction), mais il n’est pas central ni exclusif. 2001, Odyssée de l’espace réussit par exemple l’exploit de superposer l’exactitude scientifique la plus scrupuleuse (quant au voyage spatial) avec les spéculations les plus hasardeuses (sur l’origine de l’humanité).

"Chewie, we're home !"

« Chewie, we’re home ! »

Les œuvres de SF qui s’affranchissent le plus délibérément de la vraisemblance scientifique, comme La Guerre des étoiles, sont à rapprocher d’un autre courant de l’imaginaire contemporain : la fantasy. Planètes et machines consituent les simples décors et accessoires d’aventures qui n’ont rien à envier aux histoires de chevalerie. À l’opposé, la hard SF constitue bien le noyau dur d’un imaginaire basé sur le strict respect des savoirs scientifiques et techniques, mais c’est souvent pour en tirer des conséquences qui les dépassent largement. Tout en respectant la rigueur scientifique, Greg Egan a ainsi entrepris de jouer avec les interprétations les plus spéculatives et les plus controversées de la mécanique quantique ou de la cosmologie. Dans cette forme de SF très intellectuelle, l’émotion est aussi au rendez-vous : elle a pour nom sense of wonder, littéralement « sens du merveilleux » (on rejoint la définition de Renard), mais qu’il faudrait plutôt traduire par « vertige métaphysique et esthétique », celui éprouvé par la contemplation, dans sa tête ou à l’écran, du spectacle de l’univers révélé par la science et amplifié par la technique. Nous ne sommes peut-être pas si loin de la SF poétique des Chroniques martiennes de Bradbury, méditation sur la finitude des civilisations.

L’avis de Fibre Tigre, game designer d’Out There (Mi-Clos Studio)

Dans La Lune : La SF est un genre qui n’a pas besoin de réalisme pour fonctionner (faire rêver le lecteur, le faire voyager au-delà de l’espace et du temps, etc.). Dès lors, pourquoi avoir voulu faire d’Out There un jeu « réaliste » ou tout du moins crédible scientifiquement parlant ?  Dans quel objectif ? Peut-on parler de hard-SF pour Out There ?

Fibre Tigre. Oui c'est bien lui.

Fibre Tigre. Oui c’est bien lui.

Fibre Tigre : Dans Out There comme dans le prochain jeu que je réalise chez Mi Clos (La Théorie Sigma), nous partons du principe que la réalité est plus étonnante et fascinante que toute production de l’imagination. La conquête spatiale est avant tout la science du bricolage et de la solution trouvée de sang froid de dernière minute. C’est dans ces situations extrêmes que les vrais héros se révèlent, pas en tuant des aliens au pistolaser. La science fiction est avant tout le territoire des « grandes idées » : l’immortalité, la frontière entre la vie et la simulation de la vie, la singularité, la place de l’homme dans l’univers. Il est important de les traiter et le space opera, qui place les personnages aux motivations très humaines avant ces grandes idées diluent la substance du genre.

Je dois vous avouer que j’aime beaucoup les Etats-Unis mais je regrette le nivellement par le standard américain de la culture : le jeu vidéo, qu’il soit russe français ou même japonais est pétri des deux aspects fondamentaux de l’Amérique : le caractère belliciste (voir vengeur), interventionniste, moral de l’action et l’omniprésence de l’argent. L’adoption de ces valeurs est naturelle dans la mesure où pour la majorité des jeux, les USA demeurent le plus grand marché.

On tue des gens pour les looter et avoir de l’argent même dans une île aussi reculée que celle où se place l’action de Far Cry 3 pour pouvoir les dépenser dans un magasin. On en revient à avoir des mécaniques mentales du type « si je veux m’acheter tel objet, j’ai qu’à tuer 3 personnes de plus ». Out There est pacifique, neutre, amoral et l’argent ou le commerce sont des choses incompréhensibles pour les aliens. Une des ressources les plus précieuses du jeu est la compréhension des mots aliens et Pocketactics a même écrit à ce sujet « Out There est un jeu, qui, au final, parle d’amour. »

Et ce résultat – l’amour – est bizarrement du au fait d’avoir suivi la construction humaine d’un héros et de son environnement de façon réaliste.

Oui, Out There est de la hard SF, un peu comme l’était SimEarth dans son coté proche de la théorie scientifique et plus que des jeux comme Deuteros qui était hardcore orienté SF.

Sim Earth, 1992.

SimEarth, 1992.

Dans La Lune : Pourquoi avoir choisi une forme qui soit aussi colorée, enfantine, presque kitsch ? Tu décris le jeu comme étant « plus proche de 2001 que de Star Wars » pourtant le design justement s’éloigne totalement du réalisme des mécaniques du jeu. Out There est-il juste « le fond réaliste par Fibre Tigre » et « la forme comic pulp de Michael » ou bien ce paradoxe apparent a-t-il une autre fonction ?

Fibre Tigre : Cette formule (sur Michael et moi) résume bien la production car j’ai très peu d’ingérence dans les domaines qui ne me sont pas confiés (c’est déjà difficile de produire de la qualité sur son propre créneau). J’ai mis parfois des veto sur des idées artistiquement audacieuses mais trop éloignées de la réalité, comme quand Michael a voulu faire les étoiles à neutron avec un rayonnement vert.

Les étoiles à neutron dans le jeu sont présentées comme blanches brillantes et petites (c’est le constat de notre observation actuelle de ces corps célestes) et avec des taches sombres pour lui donner une pesanteur (une cuillère à soupe d’étoile à neutron pèse 1000 tonnes).

A présent c’est stupide de ma part. Il est impossible de prévoir la couleur des objets dans les autres systèmes : de loin, tous les humains ou les cailloux se ressemblent, mais de près, aucun visage n’est identique. Il est fort possible que le rayonnement des étoiles, les particules dans le vide, les effets Doppler liés aux vitesses provoquent combinés des résultats insoupçonnables,allant de la monotonie graphique de l’univers d’Elite Dangerous jusqu’aux passages psychédéliques de 2001. Vous verrez que les étoiles à neutrons seront vertes.


 

[i] http://www.filfre.net/2013/12/elite/
[ii] https://robertsspaceindustries.com/about-the-game
[iii] http://www.ign.com/articles/2012/11/02/star-citizen-the-ign-interview
[iv] http://mashable.com/2011/08/30/nasa-mmo-game/
[v] https://spinoff.nasa.gov/Spinoff2011/cg_4.html
[vi] http://www.eurogamer.net/articles/2015-03-20-the-art-of-no-mans-sky
[vii] http://www.timextended.com/interview-de-michael-peiffert-et-fibretigre-out-there/

Cet article Représentation du cosmos dans le jeu-vidéo : réalisme ou fantaisie ? est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
http://dans-la-lune.fr/2015/12/24/representation-du-cosmos-dans-le-jeu-video-realisme-ou-fantaisie/feed/ 0
Poussières dans l’Univers http://dans-la-lune.fr/2015/11/11/poussieres-dans-lunivers-2/ http://dans-la-lune.fr/2015/11/11/poussieres-dans-lunivers-2/#comments Wed, 11 Nov 2015 21:02:17 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=90 Nous ne sommes que poussières dans l’Univers. Il suffira à celui qui voudra s’en convaincre de lever les yeux au Ciel, lors d’une nuit claire et dégagée, et de contempler ces milliers de points blancs qui nous surplombent. Ceux-ci sont appelés étoiles. La plus proche des yeux d’un observateur terrien se nomme Proxima. Elle est […]

Cet article Poussières dans l’Univers est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
Nous ne sommes que poussières dans l’Univers.

Il suffira à celui qui voudra s’en convaincre de lever les yeux au Ciel, lors d’une nuit claire et dégagée, et de contempler ces milliers de points blancs qui nous surplombent. Ceux-ci sont appelés étoiles.

etoiles

La plus proche des yeux d’un observateur terrien se nomme Proxima. Elle est située dans la constellation du Centaure, visible dans le ciel Austral. Elle est située à 4,22 années-lumière de nos yeux. L’Univers étant ce qu’il est, c’est-à-dire aux dimensions tellement immenses qu’elles dépassent le champ de nos conceptions bassement humaines, parler en termes de kilomètres pour évaluer une distance n’est pas raisonnable. L’unité généralement utilisée est donc l’année-lumière, soit la distance que parcourt la lumière en une année. Une année-lumière équivaut ainsi à environ 10 000 milliards de kilomètres.

L’étoile Proxima se situe donc à 39 734 milliards de kilomètres des yeux d’un terrien, et elle est, rappelons-le, l’étoile la plus proche. Si d’aventure cet observateur décide de rejoindre la dite étoile, au moyen des technologies spatiales actuelles, il lui faudrait environ 420 000 ans avant d’arriver à destination.

Pour information, l’objet fabriqué de la main de l’homme qui se situe aujourd’hui à la distance la plus éloignée de la Terre est la sonde Voyager 1, lancée dans l’espace en 1977. Elle se situe à environ 18 milliards de kilomètres de la Terre, soit 4% de la distance qui sépare la Terre de Proxima du Centaure. Les scientifiques estiment qu’en 2025, cette sonde ne sera plus capable de communiquer avec la Terre, elle ne sera plus alors qu’un déchet cosmique parmi tant d’autres. Dans 40 000 ans, Voyager 1 s’approchera pour la première fois d’une étoile : Gliese 445.

Si la sonde ne sera plus active, les disques qu'elle contient devraient eux encore être là. Ils contiennent une série de sons, d'images et d'informations sur la Terre.

Si la sonde ne sera plus active, les disques qu’elle contient devraient eux encore être là.
Ils contiennent une série de sons, d’images et d’informations sur la Terre.

Aussi démesurées que semblent être ces distances, il faut bien considérer que nous restons là dans la proximité immédiate, dans le voisinage même, de notre chère petite planète bleue.

La Terre est située au sein du Système solaire, le nom donné à notre système planétaire. Un système planétaire est un ensemble d’objets gravitant autour d’une étoile. Dans le cas du Système Solaire, 8 planètes, dont la terre, gravitent autour de notre étoile, le Soleil. 150 millions de kilomètres séparent la Terre du Soleil, soit 8 minutes lumière, la distance parcourue par la lumière en 8 minutes, rappelons-le.

Le Système Solaire est situé sur le bras d’Orion, en périphérie de la Voie Lactée.

Notre galaxie, la Voie Lactée, a une taille d’environ 100 000 années-lumière, soit 10 000 milliards de kilomètres multiplié par 100 000 ; et elle comporte environ 300 milliards d’étoiles similaires au Soleil. Autour  de ces étoiles gravitent un ensemble de planètes. Ces planètes, extérieures à notre Système Solaire, sont appelées des exoplanètes. La première exoplanète a été découverte en octobre 1995 par deux suisses. Depuis, on en découvre chaque année un peu plus. Chiffre dérisoire : en 2014, l’homme a découvert au total moins de 2000 exoplanètes sur un chiffre estimé au minimum à 50 milliards dans notre galaxie, la Voie Lactée.

Eloignons-nous encore un peu plus dans le vertigineux cosmos. La Voie Lactée est voisine d’une autre grande galaxie, appelée Andromède, et d’un cortège une cinquantaine de galaxies à la taille plus réduite. Cet ensemble est appelé un groupe de galaxies. Entre ces galaxies, le vide intersidéral, omniprésent, rendant impossible tout espoir de rejoindre ces mondes dans un futur proche. Le vide, qui représente 90 pour cent du volume de l’Univers, chose que les magnifiques images astronomique ont tendance à nous faire oublier. Dans un futur lointain, dans 4 milliards d’années, la Voie Lactée entrera certainement en collision avec sa voisine Andromède, toutes deux victimes de leur déplacement inéluctable et invisible à nos yeux, et de ce chaos naîtra peut-être une nouvelle galaxie, encore plus immense, et dont les scientifiques ont déjà trouvé le nom : Milkomeda.

Andromeda_Collides_Milky_Way

Panorama de cette future collision depuis la Terre.

Quittons encore un peu plus l’enveloppe désormais ridicule que constitue cette minuscule boule appelée la Terre. Ce groupe de galaxies est lui-même aggloméré auprès d’un millier d’autres galaxies, aux formes, tailles et couleurs variables, séparées les unes des autres par le vide intersidéral. Cet ensemble est appelé un amas de galaxies.

Ô quel désir pousse l’homme à cartographier ainsi l’infiniment grand autour de lui, ne faisant que lui confirmer l’inutilité de son existence éphémère à l’échelle de l’Univers ? Serait-ce pour ressentir cet agréable frisson devant les choses qui nous dépassent, autrefois de l’ordre du divin, aujourd’hui de l’ordre de la Science ?  Serait-ce pour retrouver le sentiment d’accomplissement des grands explorateurs d’autrefois face à la découverte de l’inconnu ? Serait-ce pour relativiser les tracas du quotidien ? Pour se dire que finalement, face à ces échelles si immenses que le pauvre cerveau humain ne peut même pas les concevoir, toutes nos pathétiques existences ne sont que poussières, et que, définitivement, se chagriner pour cet emploi perdu, pour cette femme partie, pour ce parent disparu n’en vaut point la peine. Un meurtre ou un suicide n’aurait aucune espèce de conséquence, dans un espace-temps aussi éphémère, pas plus que la mort d’une fourmi sous le pied d’un randonneur.

Allons, il est temps de nous éloigner à nouveau. Les amas de galaxies sont eux-mêmes contenues dans des ensembles appelés des superamas, qui peuvent agglomérer des milliers de galaxies.

Parmi ces superamas, celui qui englobe la Voie Lactée, immense structure cosmique à la taille étourdissante : un demi-milliard d’années-lumière de diamètre. Son nom est Laniakea, ce qui signifie en polynésien horizon céleste immense. Découvert en 2014 par quatre scientifiques, R. Brent Tully, Hélène Courtois, Yehuda Hoffman et Daniel Pomarède, Laniakea redéfinit la géographie assourdissante de l’Univers.  Une chevelure englobant des milliards et des milliards de mondes, un continent du cosmos, au beau milieu duquel nous vivons et respirons, tâchant de ne point trop y penser, pour éviter de ressentir un immense vertige… Laniakea et ses galaxies qui, inlassablement, se déplacent à plusieurs centaines de kilomètres par seconde vers un point précis mais encore bien mystérieux appelé le Grand Attracteur.

laniakea

Laniakea. Parfaitement, c’est bien la Voie Lactée à droite.

Laniakea est actuellement le plus grand superamas découvert, la plus grande structure classifiée dans l’Univers. Il reste maintenant à découvrir les continents voisins de Laniakea.

Z8-GND-5296 dans toute sa beauté primitive.

Z8-GND-5296 dans toute sa beauté primitive.

Nous arrivons maintenant aux confins du cosmos. Notre voyage est sur le point de s’achever. Non pas parce que nous atteignons une frontière ou un mur infranchissable, mais parce que les lois de la physique nous empêchent d’aller plus loin. C’est le concept dit de l’univers observable, c’est-à-dire de l’Univers que nous pouvons observer depuis la Terre. Lorsque nous observons le Soleil, nous le voyons tel qu’il était il y a 8 minutes, le temps que la lumière parvienne jusqu’à nos yeux.  De la même manière, nous voyons Jupiter avec 43 minutes de retard. La galaxie d’Andromède avec 2,5 millions d’années de retard. Plus nous regardons loin, plus nous voyageons dans le temps. Seulement, nous ne pouvons pas voir au-delà d’un certain point de l’Univers, puisqu’alors nous arriverions jusqu’à la création de l’Univers suite au Big-Bang il y a environ 13,8 milliards d’années. Autrement dit, la lumière issue du point le plus lointain observable depuis la Terre aura mis 13,8 milliards d’années pour nous parvenir. Mais l’univers étant en continuelle expansion, ce point s’est depuis éloigné de notre Terre. La taille de l’univers observable est ainsi estimée à 40 milliards d’années-lumière. La galaxie la plus lointaine jamais observée est ainsi z8_GND_5296, située à 30 milliards d’années de la Terre et que nous observons telle qu’elle était il y a 13,1 milliards d’années. Au-delà de cet horizon cosmologique, que trouve-t-on ? Nous n’en savons rien, et à jamais nous n’en saurons rien, à moins de s’y déplacer, ce qui est impossible pour le moment, et le restera longtemps. S’y trouvent certainement d’autres superamas de galaxies, d’autres milliards de galaxies, de milliards de milliards d’étoiles et de planètes. Quand bien même notre Univers contient déjà 200 milliards de galaxies, et que ces galaxies peuvent contenir plus de 200 milliards d’étoiles comme notre Soleil, quelle frustration de savoir ces mondes au-delà de l’univers observable demeurer à jamais hors de notre portée visuelle ! De même, quelle frustration de savoir la sonde Voyager 1 atteindre à peine l’espace intersidéral, à la fois si loin de nous et pourtant si proche, n’ayant pas fait encore un pas sur la longue route qui mène à Gliese 445, à 1,7 année-lumière de la Terre, distance ridiculement grande ou petite selon le point de vue employé.

Quelle horreur de constater combien nous sommes perdus, seuls à tout jamais au milieu de nulle part, n’ayant que les timides avancées de la science et ses images de galaxies et de phénomènes cosmiques inaccessibles, pour seule consolation…

Cet article Poussières dans l’Univers est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
http://dans-la-lune.fr/2015/11/11/poussieres-dans-lunivers-2/feed/ 2
La poésie du Cosmos http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-poesie-du-cosmos/ http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-poesie-du-cosmos/#comments Sun, 08 Nov 2015 20:32:32 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=73 Mon amour, ce vaisseau je l’ai construit pour toi On le dit supraluminique, sais-tu pourquoi ? [i] C’est qu’il voyage à une vitesse insoupçonnée Même la lumière n’ose le dépasser Nous sommes partis par un beau matin de printemps Après des adieux qui furent bien sûr déchirants Au revoir, vous me manquerez mes chers amis Bonjour […]

Cet article La poésie du Cosmos est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
Mon amour, ce vaisseau je l’ai construit pour toi
On le dit supraluminique, sais-tu pourquoi ? [i]
C’est qu’il voyage à une vitesse insoupçonnée
Même la lumière n’ose le dépasser

Nous sommes partis par un beau matin de printemps
Après des adieux qui furent bien sûr déchirants
Au revoir, vous me manquerez mes chers amis
Bonjour à la beauté des espaces infinis

La Lune, issue du ventre de notre planète
Vestige d’un ancien cataclysme céleste. [ii]
Elle fut la première à recevoir nos faveurs
Au travers d’une contemplation de plusieurs heures

Mars, Dieu de la guerre, planète rouge de sang[iii]
Que d’aucuns pensaient habitée voilà cent ans[iv]
Plaines vides, autrefois recouvertes d’eau[v]
Désormais foulées par nos modestes robots[vi]

Tu t’es mise à pleurer devant les deux géantes
Jupiter, ornée d’une immense plaie béante[vii]
Saturne et ses anneaux d’apparence si purs[viii]
Larmes d’amour face aux beautés de la nature

C’est à ce moment que je me suis retourné
Tu as compris et laissé un cri s’échapper
Pâle point bleu, noyé dans un océan noir
La Terre, que nous n’allions plus jamais revoir

Oui, nous en convînmes tous les deux
A l’aune de ce spectacle fort délicieux
Que l’homme est décidément bien peu de chose
Près de ces monstres gravitant en osmose

Il en est un qui avait tout compris
Sagan et sa physique aux airs de poésie
Condensée sur un point, toute l’humanité
Livre bataille pour des morceaux de contrée[ix]

Cette vaste scène cosmique eut une autre allure
Lorsque nous frôlâmes Neptune, d’un bleu pur[x]
En fonçant vers Uranus, d’un froid sépulcral, [xi]
Pour enfin approcher Pluton la marginale. [xii]

Apprécie, t’ai-je dit, le chemin accompli,
Qui n’est rien, rien pourtant aux yeux de l’infini.
Deux cent milliards d’étoiles dans la Voie Lactée,
Leurs planètes dansant grâce à la gravité

Mais si pouvoir contempler de telles merveilles
Eut sur toi un effet sans nul autre pareil
Un autre sentiment s’empara de toi
La peur de commencer à douter de ta foi.

Comment, disais-tu, concevoir l’idée de Dieu
Et se délecter de l’immensité des cieux ?
Quand tout semble régi par les lois du hasard,
De l’apparition de la vie jusqu’aux quasars.

Le hasard n’entre aucunement là-dedans
Du Big-Bang jusqu’à l’apparition du vivant
Garde toujours, répondis-je, ton sens critique,
Le monde est régi par les mathématiques.

Et l’Univers a été réglé de façon
A ce que l’homme y fasse son apparition
Change l’un de ces paramètres primordiaux
Et alors nous ne deviserions pas là-haut[xiii]

Dieu ou multivers, je ne pourrais pas trancher[xiv]
En ton âme et conscience, à toi de décider
Mais je te prie, oublie ces réflexions pour l’heure
Regarde, nous venons de dépasser Voyager[xv]

Je vais maintenant courber l’espace un peu plus
Pour voyager encore plus vite, voilà l’astuce
Regarde défiler toutes ces galaxies
La vie, oui, j’en suis sûr, s’est partout épanouie

Eloignons-nous de cette drôle de sphère
Dont rien ne s’échappe, pas même la lumière
Voilà donc le terrible destin du trou noir
Invisible, seuls ses effets se laissent voir[xvi]

Le temps a de bien étranges propriétés
L’humanité le croyait pour toujours figé
La relativité nous prouva le contraire, [xvii]
Depuis notre départ, combien de siècles sur Terre ?

Nous voilà parvenus aux confins de l’espace
Et me revient en tête un souvenir fugace
Gagarine, et son retour sur Terre, plein d’espoir[xviii]
Combien cela semble maintenant dérisoire !

Je dis confins, mais cet espace a-t-il une fin ?
Et demain, se rétractera-t-il en un point[xix]
Ou bien alors s’étendra-t-il à tout jamais
Nous laissant dans la nuit, le froid : c’est mon souhait[xx]

Oui, ton plus grand rêve est désormais accompli
Voyager dans l’espace, même depuis un lit
Je ne sais pas si mes vers te sont parvenus
Dans ce sommeil dont tu ne prends pas le dessus

Nous partageons la même généalogie
Avec ce qui compose l’Univers ; c’est ainsi
Car nos atomes sont nés dans cette vaste toile
Au cœur du brasier formidable des étoiles[xxi]

Lorsque tu seras partie, non, je ne peux dire,
Où tes milliards d’atomes iront frémir
Mais je me plais, oui, à penser qu’un peu de toi
Vivra à tout jamais, partout autour de moi.[xxii]


[i] Un vaisseau est dit supraluminique lorsqu’il est capable de voyager à une vitesse supérieure à celle de la lumière, ce qui est strictement interdit par les lois de la relativité. Autrement dit, il faut trouver des subterfuges, comme par exemple « courber » l’espace tel que le propose par exemple le physicien Miguel Alcubierre.

[ii] Une hypothèse crédible suppose que la Lune est issue de la collision entre la Terre en cours de formation et un objet céleste de la taille de Mars. La matière éjectée dans l’espace et orbitant autour de la Terre aurait créée la Lune.

[iii] Mars est rouge tout simplement parce que son sol est riche en oxyde de fer (c’est-à-dire en rouille).

[iv] Les canaux martiens étaient pris pour un système d’irrigation de Mars : ils n’étaient en fait qu’un phénomène géologique.

[v] Mars était voilà autrefois recouverte de plusieurs océans.

[vi] Quatre rovers ont parcouru le sol de Mars.

[vii] Ce qu’on appelle la tâche rouge de Jupiter est en réalité un gigantesque cyclone d’un diamètre d’environ 15000 kilomètres, soit plus que la Terre !

[viii] D’apparence : ces anneaux sont composés de blocs de glace dont la taille peut aller de celle d’un grain de poussière à plusieurs dizaines de mètres.

[ix] La photo de la Terre prise par Voyager en 1990 à 6,4 milliards de kilomètres inspira un livre à Sagan, Pale Blue Dot, dont un extrait est resté célèbre.

[x] L’origine de ce bleu si intense est encore méconnue à ce jour.

[xi] La planète la plus froide du Système Solaire, jusqu’à -224°C !

[xii] Pluton a été relégué en tant que planète naine en 2006.

[xiii] C’est le principe anthropique fort, qui veut que l’Univers a été réglé dès les premiers instants après le Big Bang pour favoriser l’émergence de la vie sur la Terre.

[xiv] Partant du postulat de la note précédente, soit ce réglage est issu d’un principe créateur (appelé ici Dieu), soit il existe une infinité d’univers parallèles aux nôtres, chacun avec des propriétés physiques différentes, et parmi cette infinité de multivers aléatoires (10500, soit un 1 suivi de 500 zéros), seule le nôtre aurait tiré la « combinaison gagnante » des conditions favorables à la vie.

[xv] Les sondes américaines Voyager 1 et Voyager 2 ont été lancées en 1977. Voyager 1 se trouve aujourd’hui à plus de 18 milliards de kilomètres du Soleil, dans l’espace interstellaire. Elle continue d’émettre, petite bouteille lancée vers l’infini.

[xvi] Lire l’article consacré au trou noir Gargantua du film Interstellar.

[xvii] Considérée souvent comme la plus belle théorie jamais inventée par un homme, la théorie de la relativité générale, élaborée par Albert Einstein entre 1907 et 1915, explique que la matière présente dans l’Univers modifie la géométrie de l’espace mais aussi du temps, qui n’est donc plus figé et linéaire mais devient « relatif. »

[xviii] Le soviétique Youri Gagarine fut le premier homme envoyé dans l’espace, en 1961.

[xix] C’est la théorie du Big Crunch, l’inverse de Big Bang. Elle prévoit que l’Univers se contractera, que toutes les galaxies se rapprocheront, s’entrechoqueront et que l’Univers tout entier finira par être contenu dans un point, une singularité de l’espace-temps similaire au Big Bang. Cette théorie n’a plus le vent en poupe depuis qu’a été prouvé en 1998 que l’expansion de l’Univers s’accélère.

[xx] L’Univers est en expansion : les galaxies s’éloignent les unes des autres, elles nous laisseront dans plusieurs milliards d’années au beau milieu du vide. Nous ne percevrons plus aucune lumière de nos galaxies voisines : leur lumière ne nous parviendra plus, nous serons seul. Puis l’Univers se refroidira, et sa température se rapprochera du zéro absolu : c’est la mort de toute vie, la mort thermique, le Big Chill.

[xxi] C’est vrai : certains de nos atomes sont nés au cœur des étoiles.

[xxii] Quelle différence entre un arbre, un homme, une paire de pantoufles et un astéroïde ? Aucune, ce ne sont que des atomes qui se déplacent d’une manière ou d’une autre.

Cet article La poésie du Cosmos est apparu en premier sur Dans la Lune.

]]>
http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-poesie-du-cosmos/feed/ 1