Aux arts, etc. Archives - Dans la Lune http://dans-la-lune.fr Vers l'infini, et au-delà ! Wed, 15 Apr 2020 10:36:10 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.9.3 https://i0.wp.com/dans-la-lune.fr/wp-content/uploads/2020/11/cropped-Dans-la-lune-favicon-couleur.jpg?fit=32%2C32 Aux arts, etc. Archives - Dans la Lune http://dans-la-lune.fr 32 32 7541914 Les Pléiades : du mythe à la science http://dans-la-lune.fr/2019/06/23/les-pleiades-du-mythe-a-la-science/ http://dans-la-lune.fr/2019/06/23/les-pleiades-du-mythe-a-la-science/#respond Sun, 23 Jun 2019 16:38:36 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=2025 Les Pléiades sont un amas d’étoiles situées dans la constellation du Taureau, à près de 450 années-lumière de distance. Elles sont parmi les étoiles les plus visibles du ciel, et peuvent être observées depuis les deux hémisphères de la Terre. C’est peut-être pour cela qu’elles accompagnent l’homme depuis, semble-t-il, toujours, dans ses mythes et ses […]

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Les Pléiades sont un amas d’étoiles situées dans la constellation du Taureau, à près de 450 années-lumière de distance. Elles sont parmi les étoiles les plus visibles du ciel, et peuvent être observées depuis les deux hémisphères de la Terre. C’est peut-être pour cela qu’elles accompagnent l’homme depuis, semble-t-il, toujours, dans ses mythes et ses poèmes. Et il faut creuser dans l’histoire lointaine pour se faire une idée, mince et fugace mais fascinante, du rôle des Pléiades à travers les âges.

Avant le crépuscule des dieux

Peut-on se figurer ce qu’étaient les cieux étoilés pour nos ancêtres, avant que la science ne vienne déloger le mythe ? Il suffit de lever les yeux, par une belle nuit d’été, loin de la funeste pollution lumineuse des grandes villes, pour être pris de vertige. Et pourtant, ces étoiles, nous les connaissons, les cartographions, les comprenons. Que pouvait alors ressentir nos ancêtres en contemplant la Lune, les constellations ou cette immense traînée blanche que nous appelons aujourd’hui la Voie Lactée ?

Un groupe d’étoiles, dans l’histoire universelle de l’humanité, se fait particulièrement remarquer. Après tout, rien d’étonnant, ces étoiles sont parmi les plus lumineuses. Traditionnellement, on les dit au nombre de sept, quoiqu’une douzaine soient en fait visibles à l’œil nu. Leur nom vient de la mythologie grecque. Les Pléiades ! Ce sont sept sœurs, les filles du titan Atlas et de la nymphe Pléion. Un livre ne suffirait pas pour raconter leurs vies, leurs amours et leurs chagrins. Le récit de leur métamorphose en étoile varie selon les époques et les auteurs, mais la version la plus fameuse raconte qu’elle furent pourchassées pendant cinq ans par Orion, frappé par leur beauté. Zeus, pour les sauver, les changea en colombes et, après leur mort, elles furent placées dans leur ciel. Cruel destin : après sa mort, Orion fut également représenté dans le ciel (la fameuse constellation éponyme), pourchassant les Pléiades à tout jamais, nuit après nuit.

Nicolas Poussin – Paysage avec Orion aveugle cherchant le Soleil (1658)

Les Pléiades, symbole de cette l’époque où l’homme n’avait pas encore délogé les dieux de leur place dans le cosmos, se retrouvent un peu partout. L’Ancien Testament les mentionne trois fois, et toujours en citant Orion en même temps. Le prophète Mahomet les aurait observés, comptant plus d’étoiles que ce pouvait voir un observateur à l’œil nu. Dans la mythologie nordique, elles étaient considérées comme les poules de la déesse Freyja. A noter : les coccinelles étaient autrefois surnommées Freyjuhoena, soit justement les poules de Freyja (un peu comme nous les surnommons parfois les bêtes à bon Dieu), et les sept étoiles des Pléiades correspondraient aux sept points de la coccinelle… En fait, cette comparaison d’une poule suivie de ses poussins se retrouve en Europe, en Afrique de l’Ouest, dans le nord-est de l’Inde et même jusqu’en Asie du sud-est ! Quant aux Celtes, ils associaient les Pléiades au deuil et aux funérailles, car elles montaient dans le ciel lorsque le Soleil se couchait, entre l’automne et l’hiver, au moment où ils célébraient le souvenir de leurs défunts lors des fêtes de Samain.

On retrouve également les Pléiades dans de très nombreux mythes et folklores traditionnels, sur tous les continents et à toutes les époques.

La plus ancienne représentation connue des Pléiades figure sur un disque de bronze daté de 3 600 ans : le disque de Nébra. Découvert par des pilleurs en 1999 en Allemagne, puis saisi en 2002 par des policiers s’étant fait passer pour de potentiels acheteurs, ce disque de 2 kilos et 30 centimètres de diamètre est si extraordinaire que son authenticité a été mise en doute. Pensez-y : c’est non seulement la plus ancienne représentation connue des Pléiades, mais aussi et tout simplement la plus ancienne représentation connue de la voûte céleste !

Y apparaissent notamment le Soleil (ou bien une pleine Lune), un croissant de Lune, plusieurs étoiles, et nos fameuses Pléiades, au nombre de six. Vestige unique et fascinant de l’Âge du Bronze, le disque interroge. Est-il une simple représentation artistique, un calendrier, un objet sacré ? Sans doute un peu de tout cela, et bien plus encore.

Les Bretons dont je fais partie apprécieront : l’amas des Pléiades aurait peut-être été représenté auparavant, en témoignerait le positionnement des alignements de Lagatjar, dans le Finistère. C’est en tout cas ce que pensait le journaliste  Georges-Gustave Toudouze :

L’alignement de Camaret répond en orientation à la constellation des Pléiades  et plus particulièrement au groupe dit la Poussinière, situation dont le village voisin aurait tiré ce très vieux nom : Lagat-jar, qui signifie « Oeil de poule ».

Une hypothèse audacieuse va encore plus loin : les grottes préhistoriques du Paléolithique seraient en fait les tous premiers observatoires terrestres, et les peintures rupestres seraient la représentation du décor céleste de l’époque et des événements qui l’animaient alors. Ainsi, la fameuse salle du Taureau de la grotte de Lascaux serait décorée des fameuses Pléiades, juste au-dessus du dit animal… Aussi fascinante soit-elle, cette hypothèse est hautement controversée, et ne s’appuie en fait sur rien de concret. Il est bien sûr possible d’imaginer nos ancêtres les plus lointains comme étant de fins observateurs du ciel, mais rien n’atteste non plus qu’ils aient orné leurs murs de constellations…

Dans la littérature, c’est Hésiode, le grand poète grec qui, le premier, évoque les Pléiades, à quatre reprises, dans son chef-d’œuvre Les Travaux et les jours, au VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Leur position dans le ciel, leur apparition ou leur disparition est à surveiller selon que l’on veuille moissonner, révolter, labourer ou naviguer sur la mer.

Ainsi, il prévient :

Si le désir de la périlleuse navigation s’est emparé de ton âme, redoute l’époque où les Pléiades, fuyant l’impétueux Orion, se plongent dans le sombre Océan ; alors se déchaîne le souffle de tous les vents ; n’expose pas tes navires aux fureurs de la mer ténébreuse.

Homère les mentionne également dans son Odyssée.

Les Pléiades, photographiées par le télescope WIYN. (crédits : NAO)

Le rôle des Pléiades

Mais alors pourquoi les Pléiades disposent de cette place si particulière auprès de l’homme ? D’abord parce qu’elles se repèrent très facilement dans le ciel. Ce fut un long travail pour l’homme, que de réussir à se repérer depuis le sol parmi cette multitude de points lumineux ! Il a du remarquer certaines étoiles plutôt que d’autres, noter leurs mouvements, leur apparition ou leur disparition dans le ciel nocturne, ici et là. C’est ainsi que sont notamment nés les calendriers, et que pouvait se mesurer l’écoulement du temps : par l’observation minutieuse de la danse du ciel. L’alternance du Soleil et de la Lune fixent les jours, les différentes phases de la Lune fixent le mois, les solstices fixent les saisons, et les étoiles les années, par exemple.

L’excellente visibilit�� des Pléiades est à ce titre très utile, et explique pourquoi elles sont si souvent utilisées dans les calendriers naissants, comme le rappelle un article de l’encyclopédie Imago Mundi :

Les anciens Égyptiens donnaient au mois de novembre le nom d’Athar-aye, « mois des Pléiades » ou d’Athor, et il en était de même chez les Mésopotamiens et les Hébreux. On trouve la même division de l’année en Polynésie, une moitié de l’année est appelée Matarii i nia « les Pléiades dessus », et l’autre moitié Matarii i raro « les Pléiades dessous ». Les Aborigènes australiens fêtent de la même façon en novembre les Mormodellick, ou Pléiades.

En plus de permettre de mesurer l’écoulement du temps, la danse des étoiles et des Pléiades annoncent le temps à venir et aident ainsi l’agriculture. Leur apparition à l’est annonce l’arrivée du froid. Et leur lever héliaque (c’est-à-dire le moment où elles sont visibles à l’aube, peu avant le lever du Soleil) annonce la promesse de jours plus favorables, et donc le début des moissons.

Hésiode l’écrivait ainsi, toujours dans Les Travaux et les jours :

Commence la moisson quand les Pléiades, filles d’Atlas, se lèvent dans les cieux, et le labourage quand elles disparaissent ; elles demeurent cachées quarante jours et quarante nuits, et se montrent de nouveau lorsque l’année est révolue, à l’époque où s’aiguise le tranchant du fer.

Il en aura fallu du temps pour que l’homme, en pensée, réussisse à s’extraire de la Terre pour comprendre sa place dans le cosmos et décrypter peu à peu cette grande toile qui se dévoile une fois le Soleil couché.

Les mythes auront permis de passer de génération en génération, des chasseurs cueilleurs du Paléolithique jusqu’aux premiers astronomes de l’antiquité la connaissance pratique de la danse des étoiles, utile à l’agriculture et à la navigation, permettant ainsi finalement de comprendre la terre avant de chercher à comprendre le ciel – et de remplacer les Dieux par les étoiles.

(Image de couverture : Elihu Vedder – Les Pléiades (1885)).

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Un été en Grèce Antique – Les gymnosophistes http://dans-la-lune.fr/2018/08/26/un-ete-en-grece-antique-les-gymnosophistes/ http://dans-la-lune.fr/2018/08/26/un-ete-en-grece-antique-les-gymnosophistes/#respond Sun, 26 Aug 2018 12:20:44 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=1792 L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges. Aujourd’hui, ceux qui philosophent […]

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L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges.

Aujourd’hui, ceux qui philosophent nus : les gymnosophistes.

L’anecdote pour héritage

Une chose acquiert-elle une existence à partir du moment où un nom lui est donné ? Une chose dont il ne reste plus qu’un nom existe-t-elle ? Voilà le problème que posent les gymnosophistes, dont il ne reste plus que quelques mentions ici ou là. L’érudit, plume et papier en main, en quête de savoirs oubliés, en ressortira frustré, car l’Histoire a oublié ces gens-là.

Qui sont-ils ? Diogène Laërce en fait mention au tout début de son œuvre, lorsqu’il énumère les origines possibles de la philosophie. On en apprend peu, malheureusement. Comme toujours, le doxographe ne cherche pas l’exhaustivité.

Ainsi ils disent que les gymnosophistes et les druides s’énonçaient en termes énigmatiques et sentencieux, qu’ils recommandaient d’honorer les dieux, de s’abstenir du mal et de s’exercer au courage. On trouve aussi dans le douzième livre de Clitarque que les gymnosophistes professaient le mépris de la mort[1].

Les peut-être tous premiers sages, ceux qui sortirent la pensée humaine de l’ombre, et qui léguèrent leur esprit aux philosophes présocratiques, n’eurent pas le droit à la postérité. Ils n’ont pas non plus été condamnés à l’oubli, puisque leur nom demeure à travers les siècles.

Pourtant, maigre consolation, menue pitance destinée aux amateurs, il nous reste quelques anecdotes, parsemées ici et là.

On nous dit donc de ces Indiens qu’ils philosophent nus (d’où leur nom). Aristote le péripatéticien philosophait en marchant, les gymnosophistes, eux, le font nus. Cela est peut-être du au climat de leur pays[2]. Comme tant d’autres, ils prônent l’ascétisme : la Souda parle des « ascétiques nus[3]. » De fait, il est possible de rapprocher le mode de vie des gymnosophistes de celui de l’école cynique qui apparut à Athènes avec Antisthène au IVème siècle avant Jésus-Christ.

Certaines ascètes indiens ont conservé la nudité, comme les Naga sādhu.

La mort, naissance de la vie heureuse

Les gymnosophistes vivent en accord avec la nature. Il faut distinguer deux types de philosophes indiens : les Brahmanes et les Garmanes[4]. On dit justement des premiers que la conduite qu’ils mènent est plus en accord avec les principes qu’ils dictent (la philosophie antique est, on le sait, une philosophie en actes), c’est pourquoi ils sont plus honorés que les seconds. Par ailleurs les brahmanes reçoivent leur statut par hérédité[5]. Des deux l’on dit qu’ils vivent dans les bois, se nourrissant de repas frugaux, dormant sur des couches médiocres. Ils s’abstiennent des plaisirs de la chair. Cependant, à l’âge de 37 ans, les Brahmanes peuvent s’affranchir de ces contraintes, tout du moins en partie, pour jouir d’une vie un brin moins austère. Ils peuvent en effet se retirer dans leur propriété, et se trouver autant de concubines qu’ils le désirent. Les Garmanes vivent de l’hospitalité des autres. Ils ont un rôle politique : ils conversent avec les Rois, et les conseillent. Une foule de métiers leur est associé : médecins, sorciers, physiciens…

Leur vision de la mort se fonde sur un refus absolu de la vieillesse et du dépérissement du corps. Plutôt que d’attendre, dans la crainte et l’appréhension, une mort lente et certaine, ne vaut-il mieux pas en terminer immédiatement ? N’est-il pas préférable de finir sa vie au sommet plutôt qu’après une douloureuse descente ? Ils professent de toute manière que la mort est la naissance de la vie heureuse. Une affirmation en contradiction avec ce que dit Diogène Laërce.

Ils souhaitent avec empressement que leurs âmes soient délivrées de leurs corps. Il arrive souvent, que lorsqu’ils paraissent se bien porter et n’avoir aucun sujet de chagrin, ils sortent de la vie : ils en avertissent les autres ; personne ne les en empêche[6].

C’est ainsi que périt Calanus. Ce gymnosophiste est le seul qui accepta de suivre Alexandre le Grand dans sa conquête de l’Inde. Il fut d’ailleurs critiqué par ses compères. Blessé en Perse alors qu’il a déjà dépassé les quatre-vingt ans, plutôt que de supporter l’infirmité il choisit d’être brûlé.

On admire le courage de Calanus qui demeure immobile au milieu des flammes. Néarque rapporte qu’au moment où l’on mit le feu, les trompettes sonnèrent par l’ordre d’Alexandre. Toute l’armée poussa le cri des combats, et les éléphants même firent entendre un frémissement belliqueux qui semblait applaudir à Calanus[7].

Ses derniers mots auraient été destinés à Alexandre, qui chercha en vain à l’empêcher de se donner aux flammes : « Nous nous retrouverons à Babylone », aurait-il dit, prophétisant ainsi le lieu de la mort du grand Roi.

Faut-il donc blâmer l’histoire, pour n’avoir pas gardé trace plus forte des gymnosophistes ? Ou se réjouir en pensant à ces autres philosophies obscures dont il ne reste pas même le nom ? La sagesse inviterait plutôt à penser que le voile de mystère qui entoure ces esprits est digne de la simplicité et la modestie avec laquelle ils paraissaient conduire leurs vies. Et que leur empressement à mourir n’incitait pas leur doctrine à connaître la postérité…

 

[1] Diogène Laërce, Vie et doctrines des philosophes illustres, I, 3
[2] Diderot, Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, VII, p.1022
[3] La Souda, Ἀπολλώνιος, alpha, 3420
[4] Strabon, Géographie, XV, 1, 59
[5] Phorphyre, Traité sur l’abstinence, V, 17
[6] Phorphyre, Traité sur l’abstinence, V, 18
[7] Arrian, Expéditions d’Alexandre, VII, 1

(Image de couverture : Jean-Baptiste de Champaigne – Alexandre recevant l’annonce de la mort du philosophe gymnosophiste indien Calanus immolé par le feu (1673)).

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Un été en Grèce Antique – Hégésias http://dans-la-lune.fr/2018/08/17/un-ete-en-grece-antique-hegesias/ http://dans-la-lune.fr/2018/08/17/un-ete-en-grece-antique-hegesias/#respond Fri, 17 Aug 2018 20:26:31 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=1778 L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges. Aujourd’hui, un philosophe qui […]

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L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges.

Aujourd’hui, un philosophe qui prône la mort : Hégésias.

Suicidal Tendencies

Quel personnage que ce Hégésias de Cyrène ! Pourtant, on ne sait quasiment rien de la vie et de la mort de celui qui rejette la vie et prône la mort ! L’Histoire rejette donc-t-elle les philosophies trop subversives ? C’est indéniable. La société ne peut pas ériger en modèle (comme Aristote ou Platon) un philosophe qui prêche pour sa destruction. Trop dangereux. Diogène Le Chien en sait quelque chose, ce philosophe de l’école Cynique dont la postérité n’a gardé que quelques anecdotes amusantes qui font dire à Hegel qu’il ne mérite aucune attention philosophique.

De toute façon, on estime que seulement 10% de la littérature antique nous a été transmise. Le reste a été perdu dans les ruines et dans le temps…
(Peinture de Pierre Patel)

Qu’est-ce-que la philosophie grecque ? Fondée sur l’éthique, elle permet de vivre sa vie au mieux, tout en oubliant l’obsédante idée de la mort. Hégésias se propose de résoudre autrement le problème : déclarant que le bonheur est impossible, il renonce au remède de la philosophie, et incite au suicide, allant ainsi à l’encontre de toutes les doctrines antiques.

La vérité,  si nous voulons en convenir,  est que la mort nous enlève,  non pas des biens,  mais des maux[i].

Hégésias se veut le continuateur de la philosophie d’Aristippe, fondateur du Cyrénaïsme. Il considère tout comme lui que le plaisir est l’unique but de la vie, mais déclare le bonheur parfait impossible à atteindre. La mort devient alors la seule délivrance possible des maux de la vie, que quelques plaisirs éphémères ne parviennent pas à rendre agréable. En somme, si la vie était une balance, le poids des douleurs serait bien supérieur au poids des plaisirs.

Le bonheur parfait est impossible ; car le corps est sujet à mille maux, l’âme ressent toutes les douleurs du corps, indépendamment de ses propres agitations ; la fortune trompe souvent nos espérances ; autant de causes qui nous empêchent d’arriver au bonheur. La mort n’est pas moins désirable que la vie[ii].

Choisir la mort

Dans un livre disparu, intitulé « L’abstinent, » Hégésias décrit le sort d’un homme qui, fatigué de la vie, décide de se laisser mourir de faim. Et d’argumenter son choix, face à ses amis qui l’en dissuadent[iii]. On ne sait rien de plus sur cette œuvre, sur les peines que décrit cet homme en proie aux pulsions suicidaires. Toujours est-il que le mode opératoire employé surprend. Il ne désire pas se supprimer immédiatement en se perçant le ventre ou en se jetant du haut d’une falaise. Non, il demeure simplement totalement indifférent. C’est donc la résignation face à la mort qui est prôné, l’acceptation de l’impossibilité du bonheur.

Hegesias disoit que comme la condition de la vie, aussi la condition de la mort debvoit despendre de nostre election[iv].

Edouard Manet – Le suicidé (1881)

Où s’arrête la légende, où démarrent les faits ? Où s’efface le mythe, où s’amorce l’Histoire ? Reste que rien ne dit qu’Hégésias a mis fin à ses jours. Peut-on professer une solution aussi extrême aux douleurs de la vie sans s’en affranchir soi-même ? La philosophie antique qui se veut l’amour de la sagesse, prône la vertu et bien, peut-elle exhorter à la fin de l’existence, au vide et à l’absence de tout ? Un tel pessimisme est-il en accord avec les valeurs philosophiques ? Difficile à dire sans connaître les arguments d’Hégésias, qui reprend l’enseignement des Cyrénaïques en le poussant bien plus loin. Toujours est-il que le monsieur était paraît-il convaincant, puisque la légende veut que son école fut interdite par le pharaon Ptolémée II, devant la vague de suicides qu’il provoqua. De nos jours, nous appellerions probablement ça une vague sectaire de suicides. Sophiste, on peut supposer qu’Hégésias était payé pour enseigner. Mais ne pérorons pas trop. De même que Diogène Le Cynique prônait l’inceste et le cannibalisme sans pour autant qu’on l’ait vu gigoter entre les flancs de sa mère ou se régaler avec un la moelle d’un gamin, peut-être Hégésias voyait la mort comme une étape qu’il ne faut pas craindre, car elle délivre des maux du genre humain.

Le roi Ptolémée, dit-on, lui défendit de traiter cette matière, dans ses leçons publiques, à cause que plusieurs de ses auditeurs se donnaient la mort[v].

Cicéron n’est guère prolixe. Il n’affirme rien, et prend des pincettes. Faisons de même, soyons prudents, et attendons sereinement la mort plutôt que de la provoquer. Qui sait, peut-être la balance des plaisirs et des douleurs pourrait très bien, là-bas, s’inverser…

 

[i] Cicéron, Tusculanes, I, XXXIV
[ii] Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, II, 107
[iii] Cicéron, Tusculanes, I, XXXIV
[iv] Montaine, Les Essais, II, III
[v] Cicéron, Tusculanes, I, XXXIV

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Un été en Grèce Antique – Homère, ce fantôme http://dans-la-lune.fr/2018/08/06/un-ete-en-grece-antique-homere-ce-fantome/ http://dans-la-lune.fr/2018/08/06/un-ete-en-grece-antique-homere-ce-fantome/#comments Mon, 06 Aug 2018 13:48:00 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=1768 L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges. Aujourd’hui, un génie : […]

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Aujourd’hui, un génie : Homère.

Sur les épaules des géants

Qui pourra le nier ? Homère est le plus grand. C’est un soleil, dont les rayons nous éclairent depuis des siècles. « C’est le patron. Il est le maître de tout » selon Charles Péguy. Un colosse qui confine au divin et dont pourtant nous ne savons presque rien, n’ayant que ces vers devant lesquels nous prosterner. Telles les sages paroles d’un père dont nous ne pourrions voir le visage.

Il est déjà évident de noter qu’Homère n’a sans doute jamais écrit une seule ligne. Puisqu’il n’est pas auteur, mais aède. Aveugle, dit-on, il se déplace de cité en cité, accompagné d’un instrument de musique, pour y chanter ses épopées, y glorifier ses héros et y pleurer ses morts.

Aveugle, il vagabonda de ville en ville, mendiant sa vie, chantant de vieilles histoires. Il fut le plus sage, le plus savant des hommes : il n’ignorait qu’une chose, son origine.[i]

D’autre part, les récits qu’il prononce ne sont absolument pas contemporains de son époque. Les faits narrés, la Guerre de Troie et les pérégrinations du divin Ulysse pour retrouver sa terre d’Ithaque, se déroulent probablement aux alentours du XIIème siècle avant Jésus-Christ, sous la civilisation mycénienne. Homère, si tant est qu’il existe, a vécu à la fin du VIIIème. Les textes qui lui sont attribués ont eux été fixés au VIème, sous le règne du tyran Pisistrate.

Les poèmes d’Homère, livrés à l’enthousiasme et à l’ignorance de ceux qui les chantaient ou les interprétaient publiquement, s’altéraient tous les jours dans leur bouche […]. Pisistrate et Hipparque son fils entreprirent de rétablir le texte dans sa pureté.[ii]

Homère et son guide, par Bouguereau (1874)

Dès l’antiquité, la question de savoir qui est Homère s’est posée. Plusieurs villes revendiquent sa paternité. Et les quelques biographies dont nous disposons (attribuées peut-être à tort à Hérodote et Plutarque) ne parviennent pas à convaincre. Deux ou trois siècles après sa mort, Homère était déjà une figure mythique, divinisée, mais fantomatique. Alors qu’en est-il aujourd’hui ? Hé bien, à chaque lecteur de faire sa propre interprétation, et de choisir le Homère qui lui convient le mieux. Difficile, de toute façon, de s’y retrouver dans la jungle de la question homérique.

Il y a ceux qui pensent qu’Homère n’existe pas. C’est le cas de Frédéric-Auguste Wolf, dans ses Prolégomènes. Il considère l’Iliade et l’Odyssée comme une compilation de chants divers, résultant de la production de plusieurs générations de poètes. En somme, il n’y a pas un Homère, mais une infinité d’Homère, résultat de l’expression d’un patrimoine collectif de souvenirs du peuple grec. Cette affirmation était déjà soutenue par François Hédelin, qui écrivait que Pisistrate a unifié des chants et récits venant de divers époques et horizons. Le philologue Milman Parr, fondateur de la théorie de l’oralité au dix-neuvième siècle, démontre que la composition d’Homère est le fruit des vers de plusieurs générations d’aèdes.

D’autres affirment, en mettant en évidence le manque de continuité voire de cohérence de l’œuvre de l’auteur, qu’Homère a bien existé, mais que ses chants ont ensuite été drastiquement modifiés.

Certains prétendent qu’Homère est un personnage historique qui a composé l’Iliade et l’Odyssée à partir des multiples sources existant à l’époque.

Aristote contemplant le buste d’Homère, par Rembrandt (1653)

Quelques-uns pensent qu’Homère est une femme. Cette vision pouvant paraître farfelue est pourtant partagée par quelques grands auteurs. Le poète anglais Robert Graves, spécialiste de la mythologie grecque, en a même tiré un roman. Avant de supposer qu’Homère fut une femme, encore faut-il supposer qu’il ait existé.

De même que certains religieux ne peuvent se résoudre à ce que la création d’un Univers comme le nôtre ne soit que le fruit du hasard, certains érudits n’acceptent pas l’idée que les sublimes vers de l’Iliade et de l’Odyssée ne soient pas issus de l’esprit d’un géant.

Vingt fois j’ai lu l’Iliade avec un vif intérêt, je n’ai pu en quitter la lecture lorsqu’une fois je l’ai eu commencé : je l’ai lue en grec, en latin, en français, en italien, en anglais ; j’ai reconnu et partagé l’admiration que tous les peuples ont ressentie pour ce chef-d’œuvre de la poésie héroïque. L’auteur m’a toujours paru honorer l’humanité : me dire qu’il n’a jamais existé, c’est m’affliger, c’est vouloir me persuader que je ne dois pas voir ce que je vois, que je ne dois pas sentir ce que je sens.[iii]

Les hommes ont besoin de génies. De modèles tel qu’Homère, pour les éclairer, les rassurer sur leur humanité, sur le grandiose du genre humain. Avoir un nom ne nous suffit pas : il faut savoir qui se cache derrière. Dès lors, affirmer qu’Homère est un songe, c’est nier l’existence d’Un génie universel. Mais c’est glorifier Le génie universel, celui des hommes, de leur mémoire. Peut-être dans mille ans gloserons-nous sur l’existence de Victor Hugo ou d’Albert Einstein ?

 

[i] Philippe Brunet, La Plus Haute Preuve, Préface à l’Odyssée
[ii] Barthélémy, Voyage du jeune Anacharsis en Grèce dans le milieu du quatrième siècle avant l’ère vulgaire
[iii] M. Le Marquis de Fortia d’Urban, Homère et ses écrits

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Un été en Grèce Antique – Erostrate http://dans-la-lune.fr/2018/07/31/un-ete-en-grece-antique-erostrate/ http://dans-la-lune.fr/2018/07/31/un-ete-en-grece-antique-erostrate/#respond Tue, 31 Jul 2018 18:54:10 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=1760 L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges. Aujourd’hui, pour bien […]

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L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges.

Aujourd’hui, pour bien commencer, un criminel : Érostrate.

Un incendie pour la postérité

Qui est Érostrate ? Personne ne le sait. Qu’à fait Érostrate ? Peu de monde l’ignore. Il a brûlé l’une des sept merveilles du monde, le temple d’Artémis à Ephèse, 356 années avant notre ère. Pourquoi ? Pour laisser une empreinte de pas sur la grande route de l’Histoire. D’aucuns, afin d’être célèbres, poussent la chansonnette. D’autres préfèrent écrire des romans à l’eau de rose. Certains choisissent d’assassiner des célébrités. Des choix que nous ne saurions remettre en cause.

Érostrate, lui, a choisi de brûler un temple vénéré. Le site sur lequel il a été construit, et qui a déjà vu s’ériger un temple plus ancien, est depuis longtemps déjà un lieu sacré. Le temple brûlé est lui bâti au VIème siècle avant Jésus-Christ, et financé par Crésus lui-même. Deux cent vingt ans de travaux, nous dit Pline L’Ancien. Une masse de travail si titanesque que l’architecte songea à se tuer devant l’ampleur de la tâche. Avant de recevoir une aide divine d’Artémis elle-même. 155 mètres de long, 60 de large, 127 colonnes superbement sculptées ; en somme, du bon boulot qui ne manque pas d’attirer de très nombreux visiteurs venus rendre hommage à la déesse de la chasse.

Érostrate est-il fou ? Toujours est-il qu’il prit donc une nuit la décision d’incendier ce temple. La raison invoquée, c’est de devenir immortel. Une préoccupation récurrente chez les Anciens, tant la mort les obsède. Les écoles philosophiques ne sont-elles pas que des remèdes apportés à la terrible question : « Comment bien vivre sachant que l’on meurt un jour ? » ? La punition fut sévère : notre pauvre bougre fut torturé, tué et, châtiment plus terrible encore, on interdit toute prononciation de son nom par quiconque durant 23 ans, sous peine de mort, pour qu’il ne puisse pas accéder à son désir de gloire éternelle. Peine perdue, cet article en est la preuve.

Aurait-it donc atteint son objectif ? Oui et non. Certes, le nom de ce monsieur nous est parvenu. Érostrate a parcouru les siècles. Mentionné ici ou là, il a fait son chemin dans la littérature antique et moderne, d’une page à l’autre.

Un nom pour seule mémoire

Le dialogue suivant, de Sartre, énonce bien de manière comique tout le bizarre de cette affaire :

— Je le connais votre type, me dit-il. Il s’appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n’a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d’Éphèse, une des sept merveilles du monde.
— Et comment s’appelait l’architecte de ce temple ?
— Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu’on ne sait pas son nom.
— Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d’Érostrate ? Vous voyez qu’il n’avait pas fait un si mauvais calcul.[i]

En réalité les noms de ces architectes, puisqu’ils sont trois, sont connus, mais bien moins que celui du pyromane sacrilège. En somme, mieux vaut détruire que construire pour être célèbre. L’Abbé Barthélémy, à ce sujet, dans son Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, écrit fort justement :

Dans ce long intervalle de paix dont jouit l’Attique, elle produisit sans doute des cœurs nobles et généreux […], ils sont oubliés, parce qu’ils n’eurent que des vertus. S’ils avaient fait couler des torrents de larmes et de sang, leurs noms auraient triomphé du temps […]. Faut-il donc écraser les hommes pour mériter des autels ![ii]

D’un autre côté, Érostrate n’est qu’un nom et rien de plus. Fut-il esclave, politicien, prêtre ou philosophe ? N’était-il qu’un badaud éternellement destiné à l’anonymat, et rongé par le désir d’être quelqu’un ? Qui peut le dire ? Il n’est qu’un nom associé à un acte historique, n’a pas d’existence en tant que tel, et ne peut pas être détaché de l’histoire du Temple. Qui sait même s’il a existé ?

J’en veux pour preuve les propos de tous les historiens, poètes et écrivains qui, depuis l’Antiquité, se sont penchés sur le sujet. Le géographe Strabon parle d’un « certain Érostrate[iii], l’écrivain Lucien d’ « un fou[iv]. » Bien plus récemment, Marcel Schwob lui a consacré une de ses Vies Imaginaires[v]. Et Auguste Barbier un poème satirique[vi] qui fait parler le criminel devenu mélancolique, et qui s’achève sur ces mots :

Ah ! quel que soit mon sort, je n’ai plus l’âme en peine !
Comme Ajax, j’ai trouvé dans une autre Ilion
Le linceul glorieux qui doit couvrir mon nom.

Ironie ou coup du sort, simple coïncidence ou mensonge d’un historien imaginatif[vii], cette fameuse nuit où les flammes dévorèrent le Temple est né Alexandre Le Grand. Un autre personnage, lui aussi devenu presque mythique, mais pourtant bien plus réel, et aussi bien plus ancré dans l’Histoire. Alexandre qui, 23 ans plus tard, fit reconstruire le temple, et lui redonna toute sa beauté.

Les ruines du temple

Le temps, malheureusement, a accompli son terrible méfait : de cette merveille il ne reste plus aujourd’hui qu’une seule colonne encore debout, laide et abîmée, tel un vieillard dans ses derniers jours contemplant les rares vestiges de souvenirs qui lui restent.

Alors, Érostrate, monstre ou génie ? Personne n’est en mesure de répondre à cette question. Une chose est sûre, Érostrate est seulement ce que l’on sait de lui, ou plutôt ce que l’on ne sait pas de lui, c’est-à-dire tout.

 

[i] Jean-Paul Sartre, Erostrate, Le Mur
[ii] Barthélémy, Voyage du jeune Anacharsis en Grèce dans le milieu du quatrième siècle avant l’ère vulgaire
[iii] Strabon, Géographie, XIV, 1, 22
[iv] Lucien, Sur La Mort de Pérégrinus, 22
[v] Marcel Schwob, Vies Imaginaires
[vi] Auguste Barbier, Erostrate au Temple d’Ephese, Revue Des Deux Mondes
[vii] Plutarque, Vies Parallèles, Vie d’Alexandre, III, 5

(crédits image de couverture : Fire Temple par x345-art)

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Les cent pulsations de Joy Division http://dans-la-lune.fr/2018/02/12/cent-pulsations-de-joy-division/ http://dans-la-lune.fr/2018/02/12/cent-pulsations-de-joy-division/#respond Mon, 12 Feb 2018 21:57:24 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=1544 Cent lignes blanches sur fond noir dessinent un étrange relief montagneux sur la pochette du premier album du groupe britannique Joy Division, paru en 1979. Elles figurent en fait cent pulsations issues d’un des objets cosmiques les plus mystérieux, le pulsar. Genèse de l’icône Une pochette noire ornée d’une série de lignes horizontales qui oscillent. […]

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Cent lignes blanches sur fond noir dessinent un étrange relief montagneux sur la pochette du premier album du groupe britannique Joy Division, paru en 1979. Elles figurent en fait cent pulsations issues d’un des objets cosmiques les plus mystérieux, le pulsar.

Genèse de l’icône

Une pochette noire ornée d’une série de lignes horizontales qui oscillent. Aucune mention du groupe, du nom de l’album ni des titres qui y figurent. Le procédé n’est pas inédit, mais il a surtout été utilisé par des groupes dont la popularité le permet (exemple typique : le White Album des Beatles). Or il s’agit ici du premier album d’un groupe encore inconnu, Joy Division. Au-delà de ses qualités musicales indéniables, l’esthétique sombre et mystérieuse  de la pochette participera énormément au culte naissant autour de Unknown Pleasures. Depuis, cette image iconique du rock a été reprise partout : sur des vêtements, des tatouages, des posters.

En fait, c’est le guitariste du groupe, Bernard Sumner, qui tombera sur l’image par hasard en feuilletant l’édition de l’année 1977 de l’encyclopédie astronomique de Cambridge. L’artiste Peter Saville la reprendra en inversant les couleurs : les traits noirs sur fond blanc deviennent des traits blancs sur fond noir. Pouvait-il en être autrement ? Unknown Pleasures est un album sombre, crépusculaire, hanté par la voix sépulcrale de Ian Curtis, le chanteur du groupe qui mettra fin à ses jours en 1980 à l’âge de 23 ans.

Un film à voir absolument pour qui s’intéresse à Joy Division : le film Control, de Anton Corbijn (2007), qui raconte les dernières heures de la vie de son leader, Ian Curtis.

Le titre de l’image, indiqué dans l’encyclopédie, est le suivant : « 100 pulsations consécutives  du pulsar CP 1919 » (soit en anglais 100 consecutive pulses from the pulsar CP 1919). Car c’est bien ce qui se dissimule derrière ces cent lignes aux allures d’esquisses de montagne : le tout premier pulsar découvert par l’homme.

Dance, dance, dance, dance, dance, to the radio

En 1967, l’étudiante britannique Jocelyn Bell détecte un étrange signal à l’aide d’un radiotélescope initialement conçu pour étudier des quasars. C’est un signal périodique, qui se répète toutes les 1,33730113 secondes, et qui provient de la constellation du Petit Renard, à près de 212 années-lumière de la Terre. En janvier 1968, d’autres signaux similaires sont découverts. Puisque leur nature est inconnue, ils sont baptisés LGM, pour Little Green Men (petits hommes verts)… Ce qui n’était sans doute qu’une boutade est évidemment pris très au sérieux par la presse généraliste, qui parle bientôt de signaux envoyés par une civilisation extraterrestre !

La plaque embarquée à bord des sondes Pioneer à destination d’une éventuelle civilisation extraterrestre contient notamment les périodes de quatorze pulsars, permettant de déterminer la position de la Terre !
(crédits : NASA)

En réalité, les pulsars sont des signaux émis par le rayonnement électromagnétique des étoiles à neutrons. Lorsqu’une étoile massive agonise, après avoir épuisé son combustible nucléaire, elle s’effondre gravitationnellement. Selon sa masse et selon d’autres caractéristiques encore hypothétiques, la dite-étoile formera une naine blanche, un trou noir ou bien une étoile à neutrons. Dans ce dernier cas l’étoile en question, en se contractant, acquiert une densité extraordinairement élevée, et voit sa vitesse de rotation augmenter progressivement. Une étoile à neutrons porte ce nom tout simplement car protons et électrons se combinent durant ce processus pour former des neutrons. De même, le champ magnétique de ce résidu d’étoile est amplifié. C’est ce champ qui est détecté sur Terre, à la manière d’un phare – je n’invente rien puisque cet effet est appelé…. Effet de phare.

Comme le résume l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet dans son livre Le destin de l’Univers :

A chaque tour, une pulsation est reçue sur Terre au moment où le faisceau balaie la ligne de visée du radiotélescope.

Pour la petite histoire, ce n’est pas Jocelyn Bell qui recevra le prix Nobel de physique en 1979 pour cette découverte, mais son directeur de thèse Antony Hewish, au prétexte que son étudiante n’avait fait que suivre ses instructions !

Comme la légende de l’encyclopédie astronomique de Cambridge l’indique, le graphique représente cent pulsations consécutives de ce pulsar, alors appelé CP 1919 (depuis, la désignation des pulsars a été unifiée, celui-là porte maintenant le nom charmant de PSR B1919+21).

La quête des origines

Tout ceci est formidable. Mais d’où vient l’image originale ? Qui en est l’auteur ? C’était jusqu’à il y a peu un mystère.

En 2011, un blogueur, Adam Cap, mène l’enquête alors qu’il désire réutiliser la pochette pour la parodier et souhaite donc savoir si elle est protégée par le droit. En fait, les cent pulsations ont été publiées pour la première fois dans l’édition de janvier 1971 du magazine Scientific American, créditées de Jerry Ostriker. Elles pulsent sur un fond bleuâtre qui n’est pas du plus bel effet, en toute honnêteté. Seconde publication trois ans plus tard dans le livre Graphis Diagrams, un livre très étrange, rempli comme son nom l’indique de diagrammes que les amateurs de courbes, de lignes et de pourcentages sauront apprécier. Le fond est noir, cette fois-ci, comme sur la pochette d’Unknown Pleasures.

L’article du Scientific American de janvier 1971.

Adam Cap fouille les méandres du net, se perd dans des articles scientifiques de l’époque, entre en contact avec Ostriker qui doute avoir créée l’image devenue culte. Et puis il relit la légende du Scientific American, qui précise qu’elle a été générée sur ordinateur à l’observatoire d’Arecibo (Porto Rico) ! Mais ses recherches n’aboutissent pas…

Il faudra attendre 2015 pour connaître le fin mot de l’histoire, grâce à un article de Jen Christiansen publié dans… le Scientific American (la boucle est bouclée). Christiansen retrouve une thèse publiée par un certain Harold D. Craft Jr en septembre 1970 et intitulée « Observations radio de profils d’impulsion et mesures de dispersion de douze pulsars. » Les cent pulsations y figurent. Craft en est bien l’auteur. Christiansen le rencontre, il lui détaille le processus de création.

L’image originale, tirée de la thèse de Craft.

Est-il au courant que son image est devenue culte ? Oui. Il s’exprime d’ailleurs sur le sujet :

J’ai été au magasin de disques et, en effet, il y était. Donc j’ai acheté un album, et puis il y avait un poster de l’album, alors j’en ai acheté un également, sans raison, simplement parce que c’est mon image, et que je devais en avoir une copie.

Fallait-il révéler le mystère de cette pochette, justement choisir parce qu’elle reflétait parfaitement le côté mystérieux, sombre et chaotique de l’album ? Chacun jugera. Et verra peut-être autre chose, désormais, en posant les yeux sur un t-shirt reprenant l’image : la représentation graphique des pulsations d’un événement cosmique survenu bien au-delà des frontières du Système solaire. Les pulsars dissimulent encore bien des choses qui échappent à notre compréhension actuelle de la physique. Un objet mystérieux, parfait pour illustrer les chansons de Unknown Pleasures et la personnalité de Ian Curtis. Il en va des mystères du cosmos comme des mystères de l’homme…

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Bientôt nous ne verrons plus les étoiles http://dans-la-lune.fr/2017/04/03/bientot-ne-verrons-plus-etoiles/ http://dans-la-lune.fr/2017/04/03/bientot-ne-verrons-plus-etoiles/#comments Mon, 03 Apr 2017 18:00:44 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=661 Ce pourrait être un récit de science-fiction : dans un futur proche, les étoiles n’apparaissent plus dans le ciel. Un gouvernement tyrannique multiplie les sources d’éclairage au sol, pour rendre le ciel nocturne désespérément vide, et couper l’humanité de la contemplation du cosmos, vectrice de réflexions jugées dangereuses. Heureusement, un groupe de résistants s’acharne à retrouver, […]

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Ce pourrait être un récit de science-fiction : dans un futur proche, les étoiles n’apparaissent plus dans le ciel. Un gouvernement tyrannique multiplie les sources d’éclairage au sol, pour rendre le ciel nocturne désespérément vide, et couper l’humanité de la contemplation du cosmos, vectrice de réflexions jugées dangereuses. Heureusement, un groupe de résistants s’acharne à retrouver, au milieu des campagnes les plus isolées, quelques îlots encore vierges de pollution lumineuse, pour pouvoir à nouveau se perdre dans l’infini…

Au revoir les étoiles

C’est l’ANPCEN (association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne) qui l’écrit si justement sur son site officiel :

La nuit, c’et la moitié de la vie

Et dans la terrible bataille qui oppose la lumière à l’obscurité, le jour à la nuit, il semblerait que les ténèbres perdent peu à peu du terrain. En cause, un ennemi tenace : l’éclairage public. Celui-ci progresse d’année en année, et rares sont les endroits, en France, où le ciel est encore pur. Pourquoi ? Par réflexe ataviste, parce que la douce lumière des torches de nos ancêtres qui venaient éclairer les parois de leurs grottes et ainsi éloigner les éventuels rôdeurs les rassuraient ? Mais aussi peut-être parce que notre monde moderne, ultra-technologique, dominé par l’instantanéité des événements et de l’information, refuse  désormais de s’endormir. Le monde doit être éclairé, fut-ce un absurde désastre écologique.

Conséquence: un habitant d’une grande ville française ne perçoit plus qu’une dizaine d’étoiles, contre 500 dans le cas d’une ville moyenne et jusqu’à 2000, spectacle ahurissant, pour l’homme de la campagne qui a aussi la chance de pouvoir contempler le bras de la Voie lactée qui abrite la Terre en son sein. C’est la nuit noire, spectacle qui s’est offert à toute l’humanité. Le vertige de l’infini à portée des yeux, mais devenu de plus en plus rare depuis un demi-siècle.

Au-delà des perturbations sur la faune, la flore, le sommeil des hommes et  l’écosystème en général, cette lumière artificielle omniprésente entraîne un problème d’ordre philosophique : la disparition des étoiles.

Ainsi, l’homme, grâce à des outils merveilleux, est capable de recevoir la lumière qui nous parvient des plus lointains tréfonds de l’univers observable, d’alimenter nos rêves de poésie avec de sublimes photographies de galaxies, et même de recueillir les tous premiers rayons émis après le Big Bang (le fameux fond diffus cosmologique). Nous connaissons de mieux en mieux cette immensité qui nous entoure et c’est heureux ; en revanche lever les yeux par une nuit d’été c’est, en ville et de plus en plus souvent jusque dans les campagnes, se confronter à un ciel désespérément gris, voire légèrement jaunâtre, dénué de la moindre étoile.

Plus qu’éloquent !

Où sont passés les moments de réflexion de l’insomniaque qui se plaît à se perdre dans la contemplation des étoiles, au milieu de la nuit ? Où se sont enfuis les couples en quête de romantisme ? Que deviennent les amateurs des constellations ? Qu’enseignent à leurs enfants tous ces pères qui ont achetés à leur fils leur première lunette astronomique ? Bientôt, va-t-on rechercher les quelques rares lieux en France à l’abri de la pollution lumineuse, comme on recherche les bons coins à champignons ? Devrons-nous nous contenter d’images trouvées sur Internet ?

Le droit aux étoiles

La question de la disparition des étoiles de notre ciel est loin d’être anodine, puisque c’est la toute première fois qu’elle se pose depuis nos origines. L’humanité s’est en effet construite en partie grâce au ciel, qui est à la base la plupart pensées religieuses et philosophiques. Les objets célestes, notre Soleil ou bien les planètes et autres étoiles, sont alors considérés comme des divinités. Pourtant dès le Néolithique leur observation, au-delà des considérations religieuses, s’accompagne d’aspects pratiques. Les premiers calendriers, la découverte des saison et de leur impact sur l’agriculture, la navigation en haute mer, les grandes fêtes religieuses : tout est parti de l’observation de ce curieux ballet qui se dévoile la nuit venue.

Puis les grands savants de la Grèce Antique s’attachent à mettre de côté la religion pour tenter d’expliquer de manière rationnelle la place de la Terre dans l’Univers. Parmi quelques découvertes remarquables :

  • la rotondité de la Terre, par Parménide
  • l’hypothèse que la Voie Lactée est constituée d’étoiles, par Démocrite
  • le catalogue des étoiles de Ptolémée, et tout son Almageste qui décrit le ciel et les mouvement des astres, qui restera une référence durant plus de mille ans
  • l’hypothèse héliocentrique d’Archimède : la Terre tourne autour du Soleil
  • l’évaluation de la distance Rome – Alexandrie par Héron d’Alexandrie suite à l’observation d’une éclipse

Les Grecs ne sont évidemment pas les seuls à avoir levé les yeux ; les Babyloniens, les Assyriens, les Egyptiens, les Indiens et les Chinois ont aussi participé à ce savoir astronomique antique dont il faut savoir apprécier l’héritage.

Le télescope spatial Hubble est en orbite autour de la Terre depuis 1990.

Certes, nos yeux ne suffisent plus depuis longtemps. Des instruments ont palliés aux faiblesses de cet outil biologique. Les images que nous fournit le télescope Hubble (d’ailleurs envoyé dans l’espace pour échapper à l’atmosphère et à la pollution lumineuse) depuis les années 90 ne manquent jamais de nous éblouir.

Mais l’étude ou tout simplement l’observation du ciel ne sera-t-elle bientôt plus réservée qu’à une élite, celle qui a la curiosité de se renseigner sur les dernières actualités du domaine ? Il faut espérer que non : c’est un devoir pour chaque homme, de l’esclave jusqu’au roi, de lever les yeux, pour se rappeler sa condition, son passé et son avenir car, comme l’a justement écrit Carl Sagan :

La Terre est une toute petite scène dans une vaste arène cosmique.

(crédit image en-tête : ESO/Petr Horálek)

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La nuit étoilée http://dans-la-lune.fr/2017/03/06/la-nuit-etoilee/ http://dans-la-lune.fr/2017/03/06/la-nuit-etoilee/#respond Mon, 06 Mar 2017 14:38:51 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=635 Qui, une fois la nuit venue, n’a jamais contemplé le ciel étoilé depuis sa chambre ? Ce spectacle propice à la méditation est pourtant relativement épuré, d’un point de vue purement visuel. Un fond noir, une boule jaune, des points blancs. L’infini, c’est cela. Un vertige à la portée des yeux, chaque nuit, et que […]

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Qui, une fois la nuit venue, n’a jamais contemplé le ciel étoilé depuis sa chambre ? Ce spectacle propice à la méditation est pourtant relativement épuré, d’un point de vue purement visuel. Un fond noir, une boule jaune, des points blancs. L’infini, c’est cela. Un vertige à la portée des yeux, chaque nuit, et que Van Gogh a magnifiquement su représenter sur l’une de ses plus célèbres toiles.

Genèse d’un chef-d’œuvre

Le 8 mai 1889, Vincent Van Gogh décide de se faire interner à l’asile Saint-Paul-de-Mausole, dans la ville de Saint-Rémy de Provence. Il est en effet sujet depuis plusieurs mois à de nombreuses crises de démence. Le 23 décembre 1888, il se coupe l’oreille suite à une dispute consécutive à un désaccord artistique avec Paul Gauguin : un acte de folie devenu acte artistique majeur lorsqu’il en réalisera un autoportrait. Dans les mois qui suivent, il lui sera reproché plusieurs autres crises, si bien que son internement est réclamé.

De jour, par beau temps, par mauvais temps : Van Gogh réalise plusieurs tableaux depuis la fenêtre de sa chambre. Un seul est peint de nuit, il s’agit de La Nuit Etoilée. Ce n’est pas le premier tableau de nuit peint par Van Gogh, cependant : l’année précédente, il en peint même deux : Terrasse du café le soir, où le ciel est discret mais déjà parsemé d’étoiles, et surtout Nuit étoilée sur le Rhône, une étonnante juxtaposition des lumières artificielles dont les reflets hésitants s’étendent sur le fleuve et d’un ciel où brillent une myriade d’étoiles de tailles et de formes diverses. Éphémères lumières de l’homme, face aux éternelles lumières du ciel, qui fascinent le peintre, comme il l’explique dans l’une de ses lettres, adressée à sa sœur :

Souvent, il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour.

Le très fameux Autoportrait à l’oreille bandée, peint en 1889.

La correspondance de Van Gogh, notamment avec son frère Théo, est source de précieuses indications sur son travail. Curieusement, Van Gogh est assez peu prolixe concernant La Nuit Etoilée. C’est qu’il ne semble pas apprécier ce qui est aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre : il ira jusqu’à le qualifier d’échec dans une lettre adressé en 1889 au peintre Emile Bernard !

Après la folie, l’infini

Mais alors que voit-on, sur ce tableau ? Au premier plan, une forme sombre, menaçante, élancée vers le ciel. Elle ressemble presque à un bûcher de flammes noires : c’est en réalité un cyprès. Plus loin, les maisons de Saint-Rémy de Provence. Et, enfin, le ciel, qui occupe toute la partie supérieure du tableau. Des formes rondes, jaunes ou blanches, parsèment un ciel bleu sombre, au milieu duquel tourne un énorme tourbillon. On s’y perdrait.

Ce tableau est-il réaliste et fidèle au ciel, d’un point de vue astronomique ? Déjà, tentons de repérer les divers objets cosmiques qui y figurent. Il y a, bien évidemment, la Lune. Mais aussi Vénus, qui apparaît comme l’astre le plus brillant, un peu au-dessus de l’horizon.

La nébuleuse NGC 2818

Mais alors, ce tourbillon ? Il s’agit d’une galaxie, ou plutôt d’une nébuleuse, comme on les appelait encore à cette époque, où l’on croyait que l’Univers se composait seulement de la Voie Lactée, notre galaxie. Aujourd’hui le terme de nébuleuse fait référence à ces objets composés de gaz et de poussière interstellaire, dont les photographies prises par le télescope spatial Hubble ressemblent à de grandes fresques chaotiques. Les galaxies en tant qu’objets stellaires éloignés de notre galaxie furent découverts dans les années 1920 par Edwin Hubble : on les surnomma d’abord des « Univers-îles » notre Voie Lactée n’était en réalité qu’une galaxie parmi tant et tant d’autres… Van Gogh ignorait combien d’étoiles et de planètes il peignait en réalité…

Cette galaxie évidemment invisible à l’œil nu est la pièce centrale de ce tableau. Van Gogh la réalise probablement en reprenant les illustrations astronomiques populaires de Camille Flammarion, dont les ouvrages de vulgarisation connaissent alors un grand succès.

Le 25 juin 1889, Van Gogh écrit à son frère Théo qu’il a enfin achevé La Nuit étoilée. Supposant qu’un tableau tel que celui-ci doit nécessiter plusieurs semaines de travail, l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, au moyen de logiciels de reconstitution astronomique qui permettent de calculer l’aspect exact du ciel dans le passé, a pu déterminer le moment exact où Van Gogh a commencé son tableau. La science au service de l’art : le 25 mai 1889, à très précisément quatre heures quarante du matin, le ciel au-dessus de Saint-Rémy de Provence présente exactement la même configuration que celle peinte sur le tableau, avec donc, comme l’explique Jean-Pierre Luminet dans une vidéo consacrée au sujet :

Le croissant de Lune, Vénus apparaissant au-dessus de l’horizon, un couple d’étoiles de part et d’autre du grand cyprès.

De gauche à droite : Terrasse du café le soir (1888), Nuit étoilée sur le Rhône (1888) et La Nuit étoilée (1889).

Les interprétations du ciel de La Nuit étoilée sont diverses ; la plupart insistent sur son caractère spirituel, voire religieux. Peut-être. Toujours est-il que son réalisme, masqué derrière une profusion de formes et de couleurs, montre aussi l’intérêt de Van Gogh pour l’astronomie.

En mettant à côté ces trois tableaux de nuits étoilées peints par Van Gogh dans l’ordre de leur réalisation, on remarque l’effacement progressif de l’homme : une terrasse bien bondée sur le premier tableau, un couple qui semble perdu sur le second, et rien sur le troisième. Il en va de même pour les lumières artificielles : l’intense lumière de la ville laisse place à quelques lumières, au loin, que seul le fleuve permet de mettre en avant, et finalement quelques maisons faiblement éclairées. Sur La Nuit étoilée, c’est le ciel qui est éclairé de mille feux, et la terre qui est sombre. Comme si le ciel dévorait peu à peu l’homme. Où peut-être est-ce la pudeur du peintre face à un sujet aussi difficile. Ou alors Van Gogh mesure, au fur et à mesure de ses lectures astronomiques, combien la place de l’homme est dérisoire dans la vaste immensité de l’espace et du temps.

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La bibliothèque de Babel http://dans-la-lune.fr/2016/08/18/bibliotheque-de-babel/ http://dans-la-lune.fr/2016/08/18/bibliotheque-de-babel/#respond Thu, 18 Aug 2016 19:35:52 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=463 L’idée d’une bibliothèque ultime, celle qui contiendrait tous les textes passés et à venir, ainsi que l’intégralité des combinaisons de lettres possibles à l’intérieur de livres de 410 pages, a été rendue célèbre par Jorge Luis Borges. Tenter d’y pénétrer, c’est à coup sûr frissonner devant les vertiges de l’infini… Vertiges de l’infini « Il y […]

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L’idée d’une bibliothèque ultime, celle qui contiendrait tous les textes passés et à venir, ainsi que l’intégralité des combinaisons de lettres possibles à l’intérieur de livres de 410 pages, a été rendue célèbre par Jorge Luis Borges. Tenter d’y pénétrer, c’est à coup sûr frissonner devant les vertiges de l’infini…

Vertiges de l’infini

« Il y a un concept qui corrompt et dérègle les autres. Je ne parle pas du Mal. Je parle de l’infini. » Et, toute sa vie durant, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges (1899 – 1986) s’est appliqué à démontrer la véracité de cette phrase issue de son livre Les avatars de la tortue. Sa production littéraire évoque très souvent l’infini et la difficulté de sa représentation pour les êtres mortels que nous sommes. Le plus étonnant, c’est sa manière d’aborder la notion d’infini : dans des nouvelles très courtes, au sein de recueil très courts. Ces étranges livres, bardés de références, d’une folle érudition, semblent curieusement plus épais à l’intérieur qu’ils ne semblent l’être de l’extérieur.

Borges, amoureux des livres, fut atteint progressivement de cécité.
Borges, amoureux des livres, fut atteint progressivement de cécité. Il n’apprit jamais le braille, préférant se faire lire ses livres et dicter ses textes.

L’œuvre la plus connue de Borges est  La Bibliothèque de Babel, issue du recueil Fictions, paru en Argentine en 1944.

La bibliothèque dont il est question dans ce texte est composée de pièces hexagonales reliées par d’étroits couloirs. Dans chaque pièce sont disposées vingt étagères qui contiennent chacune trente-deux livres. Ces derniers sont absolument tous d’apparence identiques :

  • 410 pages…
  • 40 lignes par page…
  • Et 80 caractères par ligne.

La bibliothèque, qui existe depuis toujours, contient l’intégralité des combinaisons possibles de ces quatre-vingt caractères sur 410 pages. Evidemment, la majorité des livres ne sont composés que de suites absurdes de caractères, comme le souligne le narrateur au sujet de deux livres :

L’un de ceux-ci, que mon père découvrit dans un hexagone du circuit quinze quatre-vingt-quatorze, comprenait les seules lettres M C V perversement répétées de la première ligne à la dernière. Un autre (très consulté dans ma zone) est un pur labyrinthe de lettres, mais à l’avant-dernière page on trouve cette phrase : Ô temps tes pyramides.

Inlassablement, des bibliothécaires errent dans ce lieu d’apparence infini, tentant de trier les livres, de les classer, d’y trouver des informations utiles, et en fin de compte de mettre la main sur Le Livre, celui qui résume tous les autres et qui fera de son possesseur un Dieu.

La bibliothèque de Babel par Andrex DeGraff.
La bibliothèque de Babel par Andrex DeGraff.

Borges écrit dans une note :

Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe.

Et en ce sens il résume parfaitement la bibliothèque. Il existe, là-bas, un livre qui contient cet article, un autre qui le réfute, un autre qui le contient également mais rédigé intégralement à l’envers, un autre qui résume ma vie, mort y compris, la vôtre, la nôtre en tant que couple bien que nous n’en formerons peut-être jamais un, la totalité des œuvres perdues de l’Antiquité, l’intégralité des livres parus ou à paraître dans le futur sur tous les sujets, mais aussi tous les livres qui ne paraîtront tout simplement jamais. Au détour d’une phrase, un livre contient forcément la théorie physique ultime qui sera en mesure de réconcilier la mécanique quantique et la relativité générale, la vérité sur l’existence de Dieu, le secret pour parvenir à l’immortalité. Tant d’autres semblent divulguer les mêmes secrets – qui ne sont en fait que de parfaits mensonges.

Si cette nouvelle est la plus connue de Borges, c’est parce qu’elle en est la synthèse parfaite. Le lieu, déjà, est emblématique : l’auteur tient son goût des livres de la bibliothèque de son père, où se côtoyaient tous les genres et tous les styles, depuis la philosophie antique jusqu’aux mathématiques. Quelque part, l’intégralité des nouvelles de Borges est un condensé de cette fameuse bibliothèque. Comme le rappelle Laurent Nicolas, dans son article Borges et l’infini :

Le jeune Borges a donc grandi dans cet univers où Leibniz et Cantor côtoyaient Schopenhauer. Le monde des mathématiques le fascine, sûrement parce qu’il joue avec l’infini.

Mais est-elle vraiment infinie, cette bibliothèque ? Pas du tout, puisque le nombre de livres est fini. Petit rappel : chaque livre a 410 pages ; chaque page, 40 lignes ; chaque ligne, 80 caractères noirs. Le tout avec un alphabet de 25 signes. Combien de livres cela représente-t-il ?

  • Chaque livre contient 1 312 000 caractères (410 pages x 40 lignes de 80 caractères)
  • Avec 25 signes dans l’alphabet de Borges
  • Le total des combinaisons possibles est donc de 251 312 000, c’est aussi le nombre de livres dans la bibliothèque ; un nombre d’environ 1 800 000 chiffres de long !

La taille de cette bibliothèque est telle qu’elle ne tiendrait pas – et loin de là ! – à l’intérieur de l’univers observable. Il faudrait un nombre incroyablement élevé d’univers mis bout à bout pour pouvoir la contenir, un nombre si grand que l’esprit humain ne peut se le représenter.

A titre de comparaison, la quantité d’atomes dans l’Univers observable est estimé à « seulement » 1080 soit le chiffre 1 suivi de quatre-vingt zéros. Même si la taille d’un livre était celle d’un atome, l’univers serait loin de suffire pour accueillir cette imposante bibliothèque…

Les livres du vertige

Parmi les sources d’inspiration de Borges figure une nouvelle de l’auteur allemand Kurd Lasswitz intitulée La Bibliothèque Universelle et parue en 1904. Lasswitz est mathématicien : cela se ressent à la lecture du texte qui contient du jargon et des calculs. Lasswitz veut amuser le lecteur avec un jeu mathématique expliqué de manière pédagogique par un dialogue entre un professeur et une maîtresse de maison. Borges, lui, veut faire frissonner son lecteur, l’emmener jusqu’au bord du précipice de l’infini et lui faire contempler cet abîme.

Dès 1939, Borges publia dans la revue argentine SUR un texte partant d’un postulant similaire, intitulé La bibliothèque totale.

Par un procédé similaire à celui de La bibliothèque de Babel, Raymond Queneau publie en 1961 le livre Cent mille milliards de poèmes. Le titre est éloquent : le lecteur peut effectivement composer cent mille milliards de poèmes en combinant quatorze bandes de papier contenant chacune un vers, sur dix feuilles. Comme le précise Queneau dans sa préface :

Ce nombre, quoique limité, fournit de la lecture pour près de deux cents millions d’années (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre).

Le principe est simple à comprendre en image.
Le principe est simple à comprendre en image.

L’armée d’une infinité de singes

Avec cette bibliothèque dont le nom fait directement référence à la tour de Babel, Borges reprend en fait un paradoxe bien connu, et tout aussi vertigineux : celui du singe savant. Le postulat de départ est le suivant : un singe qui tape au hasard et durant un temps infini sur une machine à écrire finira presque sûrement par écrire l’intégrale des œuvres de Shakespeare.

Mathématiquement, il s’agit d’un paradoxe autour de la théorie des probabilités. En l’occurrence, ici, dans une séquence aléatoire de lettres, on retrouvera forcément un texte connu.

  • Par exemple, il y a une chance sur vingt-six (le nombre de lettres de l’alphabet) pour que le singe frappe la touche H sur son clavier (en omettant par simplification les accents, la ponctuation, etc.)
  • Il y a à nouveau une chance sur vingt-six pour qu’il frappe la touche A
  • Soit une chance sur 676 pour qu’il frappe les touches H et A successivement
  • Soit une chance sur 308 915 776 pour qu’il écrive le mot « HAMLET » !

Le paradoxe vu par les Simpsons.
Le paradoxe vu par les Simpsons.

Vous l’avez compris, une infinité de temps est bien nécessaire pour retrouver dans ces successions de lettres les œuvres de Shakespeare, et même un seul vers. En fait, la probabilité pour qu’un singe tape au hasard le texte d’Hamlet a bien été calculée, elle est de 1/(5×10267000).

Depuis sa première élaboration par le mathématicien français Émile Borel en 1913, ce paradoxe s’est largement diffusé dans la culture populaire.

Babel virtuel

Une bibliothèque aussi folle peut-elle, en définitive, exister ? Evidemment pas dans notre monde physique. Ni même dans un monde virtuel : la quantité d’informations qui y serait stockée nécessiterait un ordinateur d’une taille plus grande que celle de l’Univers…

Pourtant, un homme y est parvenu. Il s’appelle Jonathan Basile. Sa bibliothèque est quelque peu différente de celle de Borges :

Comment Basile est-il parvenu à ce tour de force ? Grâce à un algorithme qui génère chaque page. Il ne s’agit pas de contenu aléatoire : chaque page générera toujours le même contenu. Et il est également possible de rechercher un texte ou un mot précis dans la bibliothèque.

Comme dans la nouvelle de Borges, la bibliothèque est composée de pièces hexagonales. Sur quatre murs reposent les livres, au sein de cinq étagères de 32 livres chacun. Vous l’avez compris : tout ce que Dans la Lune contient et contiendra d’articles est déjà dans la bibliothèque, tout comme, pêle-mêle, le nom de votre femme, la cause de votre mort, toutes les théories scientifiques passées et à venir, ainsi que leur réfutations, les courriers confidentiels des agences de renseignement des Etats-Unis et de la Corée du Nord. Et cetera, évidemment. Vous ne me croyez pas ? Il suffit pourtant de chercher.

Les illustrations de la bibliothèque crée par Jonathan Basile : l'hexagone, le mur, l'étagère.
Les illustrations de la bibliothèque crée par Jonathan Basile : l’hexagone, le mur, l’étagère.

Allons, prenons un instant pour nous perdre ensemble dans ce dédale.

  • Les hexagones sont tous nommés : le premier est l’hexagone 0.
  • Le premier livre de la première étagère du premier mur de l’hexagone 0 s’appelle tig .xsw: ses 410 pages sont très certainement uniquement composées de caractères qui n’ont aucun sens.
  • Le nombre d’hexagones est tel que des suites de chiffres ne suffisent pas : leur nom mélange lettres et chiffres.

Le premier paragraphe de cet article (sans les caractères accentués), après l’introduction, apparaît par exemple à la page 275 du livre 19 de l’étagère 3 du premier mur de l’hexagone dont le nom contient 3254 caractères. Mais aussi dans 292542 autres pages !

La performance informatique derrière l’algorithme de Basile est en fait mineure.Mais cette curieuse bibliothèque virtuelle, qui n’existe que dans quelques lignes de code, nous fait entrevoir l’infini et l’éternité.

Pour sûr, Borges aurait aimé s’y égarer…

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Aux origines de la musique http://dans-la-lune.fr/2016/07/25/aux-origines-de-musique/ http://dans-la-lune.fr/2016/07/25/aux-origines-de-musique/#respond Mon, 25 Jul 2016 15:54:56 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=437 L’homme a-t-il d’abord appris à parler ou bien à jouer de la musique ? Peut-on considérer comme musicale l’expression du rythme de deux bâtons qui se frappent ou deux cailloux qui s’entrechoquent ? Quand faut-il placer le premier chant, la première mélodie, le premier rythme ? Et puis tout simplement : l’homme a-t-il inventé ou […]

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L’homme a-t-il d’abord appris à parler ou bien à jouer de la musique ? Peut-on considérer comme musicale l’expression du rythme de deux bâtons qui se frappent ou deux cailloux qui s’entrechoquent ? Quand faut-il placer le premier chant, la première mélodie, le premier rythme ? Et puis tout simplement : l’homme a-t-il inventé ou bien découvert la musique ?

L’homme et la musique

Qui de nous n’a cherché le calme dans un chant !
Qui n’a, comme une sœur qui guérit en touchant,
Laissé la mélodie entrer dans sa pensée !
Et, sans heurter des morts la mémoire bercée,
N’a retrouvé le rire et les pleurs à la fois
Parmi les instruments, les flûtes et les voix !

Victor Hugo, Les rayons et les ombres

Apprécier la musique, ce n’est pas apprécier un son, car un son n’est pas une musique. Le son devient musique au premier intervalle, c’est-à-dire lorsqu’un son est accolé à un autre son. Et c’est la notion que nous nous faisons du temps qui nous permet d’apprécier la musique. Nous gardons en effet en mémoire les sons passés, et pouvons parfois anticiper les sons à venir.

Si nous aimons la musique, c’est parce que nous vivons depuis toujours au milieu d’elle. Elle est autour de nous, et elle en nous. Le battement du cœur est déjà un rythme. Cité par Plutarque, le philosophe grec Démocrite, vers 400 avant Jésus-Christ, disait que la musique nous avait été transmise par les animaux, par le chant du cygne et du rossignol. Considérer le chant des animaux comme de la musique c’est faire preuve d’anthropocentrisme ; il est toutefois indéniable que certains sons émis par la nature ou par les animaux nous émeuvent profondément, nous rappellent des souvenirs d’enfance, des instants passés, perdus à jamais.

D’autres nous inspirent, nous font voyager.

L’histoire de la musique est difficile à établir, puisqu’elle est restée un art éphémère avant l’invention des partitions. La voix est le premier instrument de musique que l’homme maîtrisa. A vrai dire, personne n’est en mesure de dire si l’homme se mit d’abord à chanter ou bien à parler. Des spécialistes pensent que les deux sont apparus en même temps, qu’ils sont liés, que l’homme se mit d’abord à chanter un proto-language, à parler un proto-chant.

Les milliers de langues parlées actuellement dans le monde descendent-elles d'un langage commun, comme le suggère le mythe de la Tour de Babel (ici en peinture par Pieter Brueghel l'Ancien) ?
Les milliers de langues parlées actuellement dans le monde descendent-elles d’un langage commun, comme le suggère le mythe de la Tour de Babel (ici en peinture par Pieter Brueghel l’Ancien) ?

Echo des temps anciens

Dans une étude parue en 1988, Iégor Reznikoff et Michel Dauvois observent une corrélation entre les peintures rupestres qui ornent les murs de trois grottes et la géographie sonore de celles-ci. En d’autres mots : là où il y a des dessins, des signes, des peintures, il y a aussi une particularité sonore, le plus souvent une résonance, c’est-à-dire une amplification du son en durée et/ou en intensité. Les tribus du Paléolithique ont sans doute chanté et dansé durant leurs rituels, dans ces formidables caisses de résonance que sont les grottes. Nous savons apprécier la beauté visuelle offerte par les peintures rupestres, nous oublions cependant toute la beauté auditive qui y était associée. Dans ces grottes gigantesques, dans ces boyaux parfois très difficiles d’accès, où il devait être impossible d’y amener une torche, le son et l’écho faisaient office de guide. Reznikoff, dans la grotte du Portel, en Ariège, s’est aperçu que presque chaque point à forte résonance était marqué d’un trait rouge. Sans nul doute la compréhension du son de nos ancêtres différait de la nôtre. Leur acuité auditive était peut-être supérieure, parce qu’ils étaient toujours à l’affût du moindre bruit et à l’écoute des sons de la nature. La musique et son étrange voyage à travers les grottes prit peut-être pour eux des allures surnaturelles, rituelles ou chamaniques.

grotte-Chauvet
Le son derrière le dessin. Ici, la Caverne du Pont d’Arc, réplique de la grotte Chauvet.

Le plus vieil instrument conçu par l’homme et propre à émettre un son est un sifflet. Nous n’avons évidemment conservé aucune trace des premiers sifflets, qui ne devaient être que des brins d’herbe glissés entre les doigts ou bien des sifflets de roseaux, en revanche des fouilles archéologiques révèlent l’utilisation astucieuse d’os, des phalanges de rennes datées de 60 000 ans. L’homme de jadis régularisait le trou déjà percé dans ces phalanges par un croc de loup pour en tirer un son aigu. Le cruel loup, au chant si terrifiant, artisan involontaire d’un habile instrument. Ce sifflet n’avait pas une vocation artistique, mais utilitaire : entendu de loin, il devait se révéler particulièrement utile lors de la chasse, ou bien pour alerter un compagnon. Pourtant il était déjà possible de varier la hauteur de la note jouée ou bien de siffler en rythme. S’agit-il déjà de musique ?

La flûte de Divje Babe.
La flûte de Divje Babe.

D’un trou unique, ce sifflet se dotera ensuite d’un second trou, puis d’un troisième. La flûte est née. La plus ancienne jamais retrouvée est datée de 45 000 ans. C’est la flûte de Divje Babe. C’est un fémur d’ours parcouru de plusieurs trous, peut-être positionnés pour créer les notes do, ré, mi et fa. Mais cette interprétation est source de polémiques : pour certains spécialistes, ces trous sont ceux des crocs d’un prédateur. Si cette flûte en est bien une, alors l’homme de Neandertal serait le premier musicien connu.

D’autres flûtes ont été retrouvées dans la grotte d’Isturitz, dans les Pyrénées-Atlantiques. Celles-ci datent d’environ 30 000 ans. Elles sont fabriquées à partir d’os de rapaces, de gypaètes et de vautours. Elles comportent jusqu’à quatre trous, qui ne sont aucunement percés au hasard : certains ont en effet été modifiés, peut-être pour ajuster le son. La distance entre l’embouchure et le premier trou et entre chaque trou peut varier selon les fragments. La plupart des trous des différents fragments retrouvés sont percés sur les deux faces de l’os.

Ces fragments ont été pour certains reconstitués, puis reproduits : l’homme moderne a ainsi pu reproduire le son de ses ancêtres, devenus maîtres de la flûte après des générations de travail empirique sur le son.

Nous avons déjà dit que le sifflet était sans doute utilisé lors de la chasse par nos ancêtres. Parlons des armes. Il y a l’arc. Quelle différence, au fond, entre la corde de l’arc, la corde de la lyre, et la corde vocale ? Dans sa Rhétorique, Aristote cite l’expression suivante :

Un arc est une lyre à une seule corde.

Comme le sifflet est devenu flûte, l’arc est-il devenu lyre ? A quel moment l’outil pratique devient un instrument artistique ? En tendant un jour le mince boyau de corde entre les deux extrémités de la branche en bois de l’arc, en ajustant la torsion, un chasseur a-t-il soudainement pris conscience que son arme n’était pas seulement en mesure de lancer des flèches, mais qu’elle pouvait aussi lancer des sons harmonieux ?

Pourquoi Apollon est-il à la fois dieu de la musique et dieu des archers ? Pourquoi ses attributs sont-ils à la fois l’arc et la lyre ?

La fameuse peinture rupestre appelée Petit Sorcier de la grotte des Trois Frères semble présenter un homme tenant un instrument près de son nez en train de danser. Interprétation très polémique : en retournant la peinture l’homme semble plutôt en train de chasser à quatre pattes, un arc à la main… Peut-être cette double représentation est-elle voulue…

Le petit sorcier est-il debout, flûte nasale à la main? Est-il à quatre pattes, prêt à tendre son arc, comme le suggère notamment la position de la queue, repliée ? Les animaux à côté sèment le doute.
Le petit sorcier est-il debout, flûte nasale à la main? Est-il à quatre pattes, prêt à tendre son arc, comme le suggère notamment la position de la queue, repliée ? Les animaux à côté sèment le doute.

Il existe d’autres instruments préhistoriques, comme le rhombe, encore utilisé par beaucoup de peuples autochtones aujourd’hui. C’est un objet à la forme d’une feuille, fabriqué en os, en bois ou en ivoire, qui s’attache autour d’une cordelette. Le musicien vrille et dévrille la cordelette, produisant un son grave analogue à celui du vent. Au fond d’une grotte, il résonne particulièrement bien.

Un racleur.
Un racleur.

Les racleurs sont eux aussi des instruments en bois ou en os, et parcourues par des aspérités qui recouvrent leur surface. Il suffit de les frotter avec un autre objet, à la manière du médiateur de la guitare, pour y produire un son rythmique.

On peut supposer l’utilisation conjointe de la voix et d’un ou de plusieurs instruments au fond d’une grotte à des fins rituelles et sacrées.

La musique à travers le temps, à travers l’espace

Il ne nous reste évidemment aucune trace de partition de ces temps reculés. Rappelons que l’écriture de la musique n’intervient que très tardivement. La notation musicale que nous utilisons aujourd’hui, le solfège, date du Moyen-âge.

Toutefois, il semblerait que dès que l’homme se mit à vouloir consigner sa voix par écrit, il chercha de même à consigner la musique. La faisant entrer dans l’histoire par un accès à la postérité. Quelques fragments antiques nous sont parvenus, seuls vestiges de ces musiques perdues à tout jamais dans les tourbillons du temps. La plus ancienne mélodie date de 1 400 av. J.-C., et fut découverte dans les années 50 à Ougarit, dans l’actuelle Syrie. Il s’agit d’une tablette d’argile sur laquelle est gravé un texte en cunéiforme (considéré comme le plus vieil exemple de notation musicale), un hymne à la déesse Nikkal, ainsi que des instructions pour jouer le morceau à la lyre.

La plus vieille chanson dont la mélodie et les paroles ont pu être conservées date quant à elle du Ier siècle av. J.-C. C’est une épitaphe inscrite sur la stèle d’une tombe érigée par un certain Seikilos pour son épouse ou son père. Les paroles sont universelles :

Tant que tu vis, brille !
Ne t’afflige absolument de rien !
La vie ne dure guère.
Le temps exige son tribut.

Depuis, Seikilos est mort, ses descendants aussi, sa civilisation également, laissant à l’éternité cette chanson mélancolique. La vie ne dure guère, chacun le constate au crépuscule de sa vie : que penseront les civilisations du futur de nos chants ? Lorsque nos paroles se seront évanouies, nos monuments écroulés, nos textes perdus, restera-t-il, quelque part, un cantique ? Une chanson de rock ? Une chanson paillarde ? Le temps exige son tribut. Et, même si dans plusieurs millions d’années notre présence sur Terre aura été menacée par un quelconque bouleversement d’ordre écologique, technologique ou extraterrestre, la musique de notre monde, nos ondes radio, continueront à parcourir le cosmos à tout jamais…

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