Passé – Dans la Lune Vers l'infini, et au-delà ! Tue, 16 Oct 2018 12:26:02 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.8.2 https://i1.wp.com/dans-la-lune.fr/wp-content/uploads/2020/11/cropped-Dans-la-lune-favicon-couleur.jpg?fit=32%2C32&ssl=1 Passé – Dans la Lune 32 32 7541914 En quête d’une civilisation extraterrestre passée dans le Système solaire /2018/10/16/en-quete-dune-civilisation-extraterrestre-passee-dans-le-systeme-solaire/ /2018/10/16/en-quete-dune-civilisation-extraterrestre-passee-dans-le-systeme-solaire/#comments Tue, 16 Oct 2018 12:26:02 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=1840 La question de la vie extraterrestre et plus globalement de la pluralité des mondes agite les esprits depuis au moins plusieurs siècles. Aujourd’hui, il faut malheureusement s’y résoudre : sauf preuve du contraire, la vie n’a pas essaimé dans le Système solaire, tout du moins la vie intelligente. Nous sommes seuls. Il va donc falloir chercher […]

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La question de la vie extraterrestre et plus globalement de la pluralité des mondes agite les esprits depuis au moins plusieurs siècles. Aujourd’hui, il faut malheureusement s’y résoudre : sauf preuve du contraire, la vie n’a pas essaimé dans le Système solaire, tout du moins la vie intelligente. Nous sommes seuls. Il va donc falloir chercher plus loin. Plus loin dans l’espace, c’est entendu… Et pourquoi pas aussi plus loin dans le temps ?

Vastitude du temps

Pas besoin de grandes leçons d’astrophysique : il suffit de lever les yeux par une belle nuit d’été pour comprendre quelle est la place de l’homme dans l’Univers. Dérisoire, pourraient dire certains. La plus proche de toutes ces étoiles qui se dévoilent peu à peu à mesures que nos yeux s’habituent à l’obscurité, est tout de même située à plus de 4 années-lumière de la Terre : il faudrait envisager un voyage de près de 70 000 ans pour la rejoindre. Toutes les autres étoiles de notre galaxie, qui en comprend au total environ 200 milliards, sont par conséquent inaccessibles autrement que par la lumière qu’elles nous renvoient. Et l’Univers ne s’arrête pas là, comme on le croyait avant les années 30 : la galaxie la plus proche de la Voie Lactée s’appelle Andromède, elle est située à environ 2,5 millions d’années-lumière de la Terre. Elle aussi comporte des milliards d’étoiles. Notre Univers observable, contiendrait environ 2000 milliards de galaxies, selon les dernières observations menées grâce au télescope spatiale Hubble. Et au-delà de cet horizon à jamais infranchissable, qu’y a-t-il ? Nous n’en savons rien, nous sommes aveugles.

Bref, oui, l’espace est vaste, tant et si bien qu’on ne sait toujours pas s’il est infini ou non. Cela est, au choix, fascinant, frustrant, terrifiant, déprimant.

C’est cependant oublier un autre vertige : celui du temps. Notre Univers est vieux. 13,4 milliards d’années. Un nombre difficilement concevable pour l’esprit humain, tout comme ceux énumérés plus haut. Mais si nous sommes capables d’apprécier l’immensité de la voûte céleste durant la nuit, nous sommes contraints par la flèche du temps  qui nous empêche de voir le passé et le futur. Il est donc plus compliqué de bien saisir à quel point notre Univers est vieux – au regard de la vie humaine, de la vie tout court, et même de la Terre elle-même. Il faut donc utiliser des échelles de temps plus intuitives. C’est ce que fait, par exemple, le scientifique britannique Carl Sagan dans son livre Les Dragons de l’Eden (1977) puis dans le premier épisode de la série Cosmos. Il ramène toute l’histoire de l’Univers, depuis le Big Bang jusqu’à nos jours, sur le calendrier d’une année, où le 1er janvier équivaut au Big Bang et le 31 décembre à minuit à l’instant présent.

Le remake de Cosmos, présenté par Neil deGrasse Tyson, reprend le calendrier cosmique.

Sur ce calendrier, les premières galaxies se forment donc le 22 janvier, et la Voie Lactée le 16 mars. Ensuite, il se passe des choses, bien des choses, avant que le Système solaire ne se forme le 9 septembre, puis la Terre le 12 septembre seulement, par accrétion de poussière et de petits corps. La vie émerge le 25 septembre par un processus dont l’origine reste à ce jour inconnue. Les premiers invertébrés apparaissent le 17 décembre. Les premiers arbres le 23. Les dinosaures ? Seulement le 25 décembre. Et l’homme, alors ? Révisons notre place sur Terre, dont certains, et tout porte à croire qu’ils ont raison, diront qu’elle est dérisoire : il apparaît le 31 décembre aux alentours de 21 heures. A 23h56, c’est l’Homo sapiens qui fait ses premiers pas. Les premières villes se fondent à 23h59 et 35 secondes. Et à minuit, vous lisez cet article. En somme, notre histoire toute entière n’occupe que les dernières secondes de la dernière minute du calendrier cosmique…

Comme le dit lui-même si bien Carl Sagan :

Dans le vaste océan du temps que représente ce calendrier, tous nos souvenirs sont confinés à cette petite place. Chaque personne dont nous avons entendu parler a vécu là. Tous ces rois et batailles, migrations et inventions, guerres et histoires d’amour. Tout le contenu des livres d’histoire se passe ici, dans les 10 dernières secondes du calendrier cosmique.

Dès lors, peut-on imaginer qu’une autre vie intelligente ait émergée dans le Système solaire, en dehors de ces dix secondes ? Et si nous pouvions explorer le temps, à la recherche d’indices en faveur d’une telle civilisation ? Et si la Terre elle-même en fut le berceau, bien avant d’être celui des hommes ?

Le temps détruit tout

Pour savoir ce qu’il pourrait rester d’une éventuelle civilisation préhumaine, il faut d’abord se demander ce qu’il restera de l’homme quand la fin de son règne adviendra sur Terre, pour une raison ou pour une autre.

Dans un essai paru en 2007, Homo Disparitus, le journaliste américain Alan Weisman se pose la question de notre impact sur notre écosystème en partant d’un postulat original : du jour au lendemain, l’homme disparaît, instantanément.

Le temps n’épargne rien, et surtout pas la vanité de l’homme !
(crédits : Jonas De Ro)

Il passe en revue les conséquences d’un tel scénario, sur la faune, la flore, l’environnement, sur nos infrastructures inévitablement vouées à disparaître.

La plupart des constructions modernes de l’homme – les immeubles, les ponts, les routes – sont conçues pour durer entre 60 et 200 ans, en étant évidemment régulièrement entretenues. Lentement, année après année, les murs s’effritent, le bois pourrit, les vitres éclatent, les toits pourrissent et s’écroulent. Portées par le vent, des graines échouent au milieu des maisons, poussent et deviennent des arbres. Les métaux rouillent, le béton s’effrite, l’humidité pénètre partout et fait gonfler les structures, les bâtiments s’effondrent les uns après les autres sous leur propre poids, après une lente décomposition accentuée par la succession des saisons.

Le plastique est l’un de seuls matériaux conçus par l’homme qui ne soit pas pas à la merci de la nature. Il résiste aux éléments, hormis le feu, et n’est pas comestible. Des téléphones portables et des ordinateurs intacts gisent, ici ou là, avant d’être enterrés sous les feuilles.

Qu’en est-il de la pollution causée par l’excès de CO2 dans l’atmosphère ? Et bien, ses effets se font encore longtemps sentir. Durant au moins un siècle, augmentant la température mondiale de quelques dixièmes de degrés. Les effets sont vite régulés par la planète même si le taux de CO2 ne reviendra pas pour autant à la normale aussi rapidement.

Après 150 ans, la plupart des villes ne ressemblent plus qu’à un champ de ruines.  A Londres, la Tamise a repris ses droits. La capitale anglaise est redevenue le marais qu’elle était avant que l’homme ne s’y installe, tout comme à Paris. Las Vegas est redevenue un désert, privée de ses pompes électriques. L’île de Manhattan se transforme peu à peu en forêt.

Après 200 ans, ce sont d’autres édifices massifs qui montrent des signes de faiblesse : les barrages. Certains, fatigués par l’érosion, lâchent, libérant des milliers de mètres cubes d’eau.

Les monuments antiques, comme les pyramides de Gizeh, la muraille de Chine ou encore le Parthénon, sont ceux qui résistent le mieux aux affres du temps. Si la tour Eiffel a tenu plus longtemps que les gratte-ciels de béton, privée de sa peinture qui s’est écaillée peu à peu, victime de la rouille causée par les pluies,  elle s’écroule elle aussi, environ 230 années après la disparition de l’homme.

Après 1000 ans, la seule structure quasiment intacte de l’homme demeure le Tunnel sous la Manche, même s’il est en partie inondé. La planète, dans un lent mouvement continuel, se débarrasse peu à peu de tout notre ouvrage. Elle recouvre, elle avale, elle broie, elle réduit en poussière. Comme une vague qui, très lentement mais inéluctablement, emporte tout.

Après 5000 ans, les bombes thermonucléaires se fissurent et laissent échapper des substances radioactives.

Après 25 000 ans, et bien, est-il nécessaire d’insister sur l’état ce que nous avons construit ? Peut-être qu’une nouvelle période glaciaire aura d’ici là terminé de recouvrir sous des mètres de neige tout l’hémisphère nord.

Tous nos ouvrages seront-ils donc engloutis par le temps, condamnant l’humanité à l’oubli ? Non, des traces indirectes de notre activité pourraient subsister longtemps, très longtemps. Ce sont des techno-signatures : les conséquences de la civilisation industrielle, qui en quelques siècles impactent durablement l’environnement.

L’hypothèse silurienne

Dans un article intitulé The Silurian Hypothesis (L’hypothèse silurienne, sur laquelle nous reviendrons) et paru en 2018, les scientifiques américains Gavin A. Schmidt et Adam Franck, tentent de recenser de telles signatures :

  • Des anomalies dans le ratio des isotopes de carbone, oxygène, hydrogène et nitrogène
  • La disparition massive de certaines espèces, et la prolifération d’autres, plus invasives (nuisibles) dans les futurs fossiles
  • Certains produits chimiques de synthèse
  • Les micro et nanoparticules de plastique
  • Certains isotopes radioactifs, dans le cas d’une catastrophe majeure ou d’une guerre nucléaire

Quelque part, et c’est assez effrayant, les mêmes technologies qui contribueront peut-être à tous nous enterrer nous permettront peut-être aussi de passer à la postérité géologique, comme le suggère l’article :

Plus une civilisation dure longtemps, plus ses pratiques doivent être durables pour qu’elle puisse survivre. Plus une société est durable (par exemple, dans la production d’énergie, la production ou l’agriculture), plus son empreinte sur la planète est mince. Mais plus l’empreinte au sol est mince, moins le signal est intégré dans l’histoire géologique. Ainsi, l’empreinte de la civilisation pourrait se limiter sur une échelle de temps relativement courte.

En dernier lieu, plusieurs milliards d’années après que le dernier homme aura fermé les yeux, les vestiges de l’exploration spatiale survivront sans doute, notamment sur la Lune où l’activité géologique est très faible.

Le rover de la mission Apollo 17.
(crédits : NASA)

Dans ce cadre, L’hypothèse silurienne suggère qu’une civilisation préhumaine aurait pu exister sur Terre bien avant l’émergence de l’homme, et que des techno-signatures similaires pourraient être détectées. Elle tire en fait son nom d’un épisode de la série britannique Doctor Who diffusé en 1970, dans lequel une ancienne civilisation de reptiles humanoïdes s’est réfugiée sous la Terre suite à une série de cataclysmes.

Pour Schmidt et Franck, il existe des similarités indéniables entre certains événements survenus dans  passé lointain et les effets de notre civilisation sur l’environnement. Ces événements sont par contre contemporains de phénomènes ou de catastrophes naturels, ils ne constituent donc absolument pas une preuve en faveur de l’hypothèse silurienne.

Dans La Nuit des temps (1968), René Barjavel imagine une civilisation technologique sur Terre éteinte depuis 900 000 ans.

C’est une question que je me suis souvent posée, enfant : pourquoi les dinosaures, qui ont vécu si longtemps sur Terre, n’ont-ils pas accédé à la conscience et à l’intelligence ? A priori, donc, rien n’indique que ce ne soit pas le cas, même si c’est fort peu probable. Bon, peu importe, mon rêve de voir des dinosaures conduire des voitures volantes ou flotter dans l’espace ne s’est pas totalement évanoui, et c’est ce qui compte !

A présent, éloignons-nous de la Terre. Selon les dernières études en vigueur, des planètes comme Mars et Vénus auraient eu par le passé des conditions environnement bien plus hospitalières et favorables à la vie. Peut-on imaginer qu’elle ait effectivement émergée là-bas, ou même encore plus loin, et qu’on puisse un jour retrouver d’éventuels artefacts extraterrestres ?

Mars et Vénus

L’astronome américain Jason T. Wright a publié en 2017 un article qui finalement se révèle être précurseur de l’hypothèse silurienne. Intitulé Prior Indigenous Technological Species, il questionne la possibilité de retrouver des artefacts d’une ancienne civilisation extraterrestre ayant émergé dans le Système solaire, sur la Terre ou ailleurs. Son papier, comme celui de Schmidt et Franck, recense quelques techno-signatures qui pourraient survivre à l’épreuve du temps, et tente d’appliquer ce modèle à d’autres corps du Système solaire.

Vénus et Mars font office d’excellentes candidates. Selon une étude de l’Institut Goddard de la NASA, parue en 2016, Vénus aurait pu être la première planète habitable du Système solaire, et ce pendant au moins deux milliards d’années, laissant le temps à la vie d’apparaître, de se développer, puis de disparaître il y a de cela environ 750 millions d’années, lorsque les conditions ont commencées à se dégrader, pour devenir ce qu’elles sont actuellement (globalement, un enfer).

Dans un article, la NASA précise :

Il semble qu’il y ait eu suffisamment d’eau pour favoriser une vie abondante, avec assez de terres émergées pour réduire la sensibilité de la planète aux changements provoqués par la lumière solaire.

Sous l’épaisse atmosphère de Vénus, l’enfer !
(crédits : JAXA)

De toute évidence, selon Wright, d’éventuelles technologies développées à l’époque sont aujourd’hui inopérantes, ce qui complique leur détection, et nécessite une analyse in-situ, particulièrement compliquée au vu des conditions (voir à ce sujet le programme soviétique Venera).

Concernant la planète rouge, elle aurait eu un océan d’eau liquide à surface il y a environ 4 milliards d’années. Les spéculations vont bon train sur la présence de vie passée. Ce sont principalement des structures microbiennes qui sont évoquées.

Wright va plus loin. L’érosion étant plus faible sur Mars que sur Terre, de potentielles structures extraterrestres relativement épargnées par le temps pourraient reposer sous la surface.

Et sinon ? Comme dans le cas de l’humanité, l’espace demeure le meilleur sanctuaire pour s’abriter du passage du temps. Il s’agit en fait du meilleur endroit pour envisager de telles recherches. Des artefacts sur des lunes ou des astéroïdes pourraient être détectables. Pour des objets en orbite (des satellites ou des sondes), ce serait a priori plus compliqué :

Si les artefacts sont inertes, manquent de propulsion, ils seront soumis au chaos dynamique du Système solaire et à la pression du rayonnement solaire.

En 2011, deux chercheurs qui débattaient déjà de la question expliquaient que notre technologie était de toute façon incapable de détecter des objets aussi petits dans l’espace.

En conclusion, Wright cite quelques technologies qui permettraient de favoriser les découvertes d’artefacts extraterrestres passés :

Peut-être que l’imagerie radar utilisée pour étudier la géologie des surfaces planétaires pourrait révéler des traces de structures enterrées, ou d’autres artefacts. La photométrie et les spectres des astéroïdes, des comètes et des objets de la ceinture de Kuiper pourraient révéler des anomalies d’albédo, de forme, de rotation, de composition ou autres, dues au fait que les cibles hébergent, ou sont, des artefacts.

Ce sujet, hautement spéculatif, fait rêver. Et incite à la réflexion sur notre propre place dans le Système solaire. Sur notre impact impact environnemental et ses funestes conséquences. Sur notre impact dans le temps, le temps long, celui qui détruit tout. Postulat de science-fiction : si de futurs archéologues extraterrestres explorent un jour la Terre à la recherche d’artefacts de notre civilisation et ne retrouvent, de notre histoire, de nos arts, de nos guerres, de nos amours, que quelques microscopiques particules de plastique, qu’en concluront-ils ?

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La proto-science-fiction /2017/06/05/proto-science-fiction/ /2017/06/05/proto-science-fiction/#comments Mon, 05 Jun 2017 10:21:12 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=702 Raconter le futur par le récit n’est pas un art réservé aux temps qui ont suivis la Révolution Industrielle. Retour, depuis l’aube de la littérature, sur ces fragments d’imaginaires du lendemain qui ont peu à peu contribué à la naissance d’un genre majeur : la science-fiction. Avant la genèse  Lorsqu’un genre culturel nouveau apparaît, on […]

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Raconter le futur par le récit n’est pas un art réservé aux temps qui ont suivis la Révolution Industrielle. Retour, depuis l’aube de la littérature, sur ces fragments d’imaginaires du lendemain qui ont peu à peu contribué à la naissance d’un genre majeur : la science-fiction.

Avant la genèse 

Lorsqu’un genre culturel nouveau apparaît, on se rend parfois compte qu’il n’est pas apparu à partir de rien, ex-nihilo, mais qu’il est issu d’influences plus anciennes.  On accole donc à tout ce qui est historiquement antérieur à un jalon posé officiellement le préfixe « proto » du grec protos, premier.

Si l’histoire commence officiellement avec l’écriture, celle-ci n’apparaît pas simultanément partout dans le monde. Globalement, la protohistoire va de la fin de la préhistoire jusqu’au début de l’Antiquité.

Soyons honnêtes : je n’aurais pas deux fois l’occasion sur Dans la Lune de parler des Stooges et de leur album Fun House, parfois considéré comme un album de proto-punk.

Si la révolution musicale punk en Angleterre est survenue en 1976, appelée d’ailleurs l’Année Zéro du punk, en revanche de nombreux groupes des années 60 pratiquaient déjà ce style de rock particulièrement dépouillé. Les voilà donc appelés par l’histoire des groupes « proto-punk ».

Vous avez compris la logique.

Ainsi de la proto-science-fiction. Pour savoir ce que cache ce terme, il faut d’abord tenter de définir ce qu’est la science-fiction. Compliqué. Disons, pour résumer, qu’il s’agit d’un genre particulièrement vaste qui à partir des connaissances scientifiques actuelles, cherche à fonder des hypothèses sur le futur. On parlait autrefois de « merveilleux scientifique » par opposition au fantastique qui contient une part d’inexplicable, ou encore de « fiction spéculative. » En somme, de l’irrationnel acceptable. Certaines thématiques reviennent régulièrement, comme par exemple les questions liées au voyage dans le temps et dans l’espace, ou la modification de l’homme par la technologie. Riche de sous-genres, comme le post-apocalyptique qui décrit la Terre après une catastrophe globale, ou bien l’uchronie, qui présente une réécriture de l’Histoire par la modification d’un fait passé (par exemple « et si Hitler avait gagné la guerre »), la science-fiction interroge le présent en imaginant le futur.

Mad Max : Fury Road, (2015) ou la folie post-apocalyptique selon George Miller.

On situe généralement l’apparition de la science-fiction au début du XXe siècle. Hugo Gernsback, Américain d’origine luxembourgeoise, passionné par le devenir des sciences, édite en 1908 un magazine de vulgarisation scientifique, Modern Electrics. Il publie ensuite des nouvelles pour tenter d’anticiper le futur. Le terme scientific fiction est né, rapidement contracté en scientifiction puis science-fiction. Le genre connaîtra son âge d’or dans les années 50 et 60.

Voilà. Alors maintenant, peut-on tenter de trouver ici et là, avant l’apparition du terme, des ébauches de science-fiction, de la proto science-fiction ? Nous voici partis pour un très long voyage dans le passé, accrochez-vous.

Histoire de l’éternité

Le tout premier récit de science-fiction est généralement attribué à Lucien de Samosate, célèbre satiriste du IIe siècle. Il est appelé Histoire Véritable. Lucien en est le personnage principal. Dans ce récit, son navire gonflé par les voiles le mène jusqu’au ciel, puis sur la Lune, où il rencontre ses habitants, les Sélénites, leur mode de vie et leur technologie. Son voyage le mène ensuite vers d’autres planètes, à la rencontre d’espèces extraterrestres diverses, comme les Tritonomendètes, les Hippomyrmèques ou encore les Néphélocentaures. Plus tard, un conflit oppose les habitants de la Lune à ceux du Soleil. Une véritable épopée spatiale.

Il faut néanmoins rester mesuré : le but avoué de Lucien n’était pas d’imaginer le futur au regard des technologies de l’Antiquité, mais plutôt de moquer la société et les auteurs de son époque. Rien que le titre du récit, Histoire Véritable, est éloquent, puisque tout ce qui y est raconté est faux. Lucien le précise d’ailleurs lui-même dès le départ : puisque les philosophes et les poètes mentent, pourquoi pas lui ? Souhaitant passer à la postérité, mais n’ayant rien de mémorable à raconter, il va mentir, pour mieux moquer son temps.

Il écrit :

Je vais donc raconter des faits que je n’ai pas vus, des aventures qui ne me sont pas arrivées et que je ne tiens de personne ; j’y ajoute des choses qui n’existent nullement, et qui ne peuvent pas être : il faut donc que les lecteurs n’en croient absolument rien.

De la même manière que nous voyons dans les nuages des formes animales, par identification nous voyons dans ce récit de la science-fiction, à l’aune de nos connaissances actuelles. Cela n’enlève aucunement à Lucien son génie et son imagination.

Les Histoires Véritables, vues par Mirjana Farkas.

Le spécialiste en science-fiction Pierre Versins va plus loin : pour lui, le premier récit de l’histoire de l’humanité qui ait été conservé, L’Epopée de Gilgamesh, est déjà un récit de science-fiction. Autrement dit, ce serait le genre originel. Les Métamorphoses d’Ovide ou bien Beowulf sont aussi régulièrement cités comme contenant des éléments proches de la science-fiction. Mais les mythes n’ont-ils pas toujours contenus une part de merveilleux et de fantastique ? Ne s’approcheraient-ils pas plutôt de la fantasy ? C’est sans doute raisonner à l’envers que de penser cela. Ce sont au contraire nos récits modernes qui font constamment référence aux mythes fondateurs, qui s’en inspirent et s’en nourrissent.

Citons cependant la mythologie indienne, dont certains textes nous sont parvenus en langue sanskrite. On y trouve de nombreuses références à des vimana, des palais ou des machines volantes, capables de voyager dans l’espace et dotées d’armes technologiques particulièrement impressionnantes, capables de rayer des villes entières…

Pour quelques spécialistes de l’ésotérisme et du paranormal, ces mentions sont la preuve d’un conflit extraterrestre dont nos ancêtres auraient été témoins… C’est là encore porter un regard biaisé sur les textes anciens !

Le Moyen-âge n’est pas non plus dénué de visions futuristes. Les Milles et une nuits contiennent de nombreux éléments s’approchant de la science-fiction : quête de l’immortalité, voyages à travers le cosmos, civilisations détruites par un cataclysme… En somme, space opera et post-apocalypse à gogo. Toutefois, il serait plus judicieux de parler pour ces récits de « merveilleux scientifique », dans le sens où les arbres parlants, les djinns et les momies sont légion. Ainsi, dans ces automates mystérieux, il est possible de voir les précurseurs des robots, mais aussi tout simplement les maléfices des sorciers.

Ce mélange de merveilleux et de science prédomine dans la proto-science fiction du Moyen-âge, notamment dans les écrits de chevalerie française comme Le Pèlerinage de Charlemagne ou bien Le Roman de Troie. Les figures de l’automate et des engins volants sont alors récurrentes.

Frontispice de Histoire comique des États et Empires de la Lune (édition de 1709)

Les avancées scientifiques qui accompagnent la Renaissance inspirent évidemment les auteurs de cette époque, stimulés par les idéaux humanistes et la redécouverte des sagesses antiques. La proto-science-fiction s’intègre discrètement à plusieurs genres alors en vogue, comme le conte philosophique ou le récit de voyage imaginaire. Histoire comique des États et Empires de la Lune, écrit par Cyrano de Bergerac vers 1650, raconte le voyage de l’auteur, qui est aussi le narrateur, sur la Lune, à l’aide d’une sorte de fusée. Le livre évoque aussi des mondes extraterrestres habités, au sein d’un univers infini. Ce concept, appelé celui de la pluralité des mondes, à le vent en poupe à l’époque. Fontenelle y consacrera un livre, appelé Entretiens sur la pluralité des mondes. Et Micromégas de Voltaire, paru en 1752, raconte le voyage sur Terre d’êtres venus d’ailleurs. La visée est la même que celle de Lucien dans l’Antiquité : faire réfléchir, par l’étonnement, sur l’état du monde, et non pas imaginer un futur ou un événement scientifique probable.

Notons-le, cette science-fiction, si elle peut être appelée ainsi, semble encore très archaïque. Ces minces éléments servent avant tout à impressionner le lecteur, ils ne décrivent nullement un futur ou une technologie que l’auteur croit vraisemblable. Le genre s’épanouit lorsque la technologie s’épanouit : ainsi, dans l’Antiquité et dans la Renaissance, et donc durant la Révolution Industrielle, où il naît véritablement, bien que son nom reste alors à inventer.

Le triomphe de la science

Pour Jean-Luc Rivera, spécialiste des littératures de l’imaginaire, dans le mot science-fiction il y a le mot science. Le genre ne peut donc que naître avec la science moderne, à la fin du XVIIIe siècle. D’après lui, le premier roman de SF est donc Frankenstein ou le Prométhée moderne, de l’anglaise Mary Shelley, paru en 1818. Le récit épistolaire d’un scientifique, Victor Frankestein, qui parvient à donner la vie à un être surhumain. Magie, alchimie ou bien science ? Récit surnaturel dans la veine des auteurs fantastiques, ou alors véritable réflexion sur les progrès technologiques de l’époque ? En tout cas, Mary Shelley fait constamment allusion à la science dans son roman, aujourd’hui devenu une pierre angulaire de la littérature moderne.

Et puis arrive Jules Verne. Faut-il encore le présenter ? Vulgarisateur de génie, il présente dans ses romans d’aventure des innovations technologiques, et tâche de pressentir l’utilisation qui pourrait en être faite dans un futur proche. Avec Jules Verne, le lecteur voyage dans un sous-marin, sur la Lune, ou bien au centre de la Terre, et cela uniquement grâce aux prodiges de la science !

Les illustrations des romans de Jules Verne participent à faire voyager le lecteur. Ici, Vingt mille lieues sous les mers par Alphonse de Neuville.

Le génie de Jules Verne a éclipsé totalement le reste de la production littéraire de science-fiction de l’époque, ce qui est dommage. Il faut lire ou relire par exemple tous ces écrits précurseurs, comme Les Xipéhuz, nouvelle écrite par Rosny aîné en 1887, sur la guerre entre une tribu nomade préhistorique et une forme de vie non-organique, ou bien les romans d’Albert Robida, auteur à la fin du XIXème siècle d’une trilogie d’anticipation présentant des inventions parfois curieusement proche de nos outils technologiques modernes ! Et puis comment ne pas citer ce livre de 1854, Star ou Ψ de Cassiopée : Histoire merveilleuse de l’un des mondes de l’espace, nature singulière, coutumes, voyages, littérature starienne, poëmes et comédies traduits du starien (oui c’est bien le titre) roman de Charlemagne Ischir Defontenay. L’histoire est celle d’un rouleau de métal qui tombe du ciel au Népal. A l’intérieur se trouve un texte qui décrit la planète Star, sa civilisation, son histoire, puis la création d’une civilisation interplanétaire…

Sur la terre de Star, la mélodie erre de tous côtés presque aussi répandue que l’air qui rase le sol et bruit dans les herbes. Non-seulement la nature y a fait naître des multitudes d’oiseaux doués presque tous d’un gosier musical, des animaux mammifères même font entendre comme un cri d’amour, des chants que le voyageur écoute de loin avec ravissement.

Au-delà de la Manche, c’est H.G. Wells, sous l’impulsion de Lucien et de Mary Shelley, qui au début du XXème siècle, donne à ses romans une teinte futuriste, aujourd’hui devenu des classiques et régulièrement portés au cinéma, comme La Machine à explorer le temps ou La Guerre des mondes.

Et si. If, en anglais. Et si la science, pour notre bien, pour notre mal, menait l’homme vers ceci, ou cela. A l’aube d’un siècle tragique qui connaîtra deux guerres, un nouveau genre est né. Un genre qui essaimera du livre vers le cinéma et la bande-dessinée. Et qui poussera l’homme a réfléchir sur cet outil, la science, qui peut aussi bien mener à la découverte d’un monde lunaire, qu’au champignon atomique.

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Giordano Bruno – 3 – Le bûcher de l’immortalité /2016/12/20/giordano-bruno-3-bucher-de-limmortalite/ /2016/12/20/giordano-bruno-3-bucher-de-limmortalite/#comments Tue, 20 Dec 2016 18:51:36 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=558 Il fut une époque où oser se tourner vers le ciel pour y contempler l’infini était considéré comme un crime passible de mort… Les bourreaux de Giordano Bruno auront échoué dans leur tentative de brûler l’homme pour étouffer ses idées. Quatre siècles plus tard, la pensée de cet éternel martyr de la science infuse encore […]

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Il fut une époque où oser se tourner vers le ciel pour y contempler l’infini était considéré comme un crime passible de mort… Les bourreaux de Giordano Bruno auront échoué dans leur tentative de brûler l’homme pour étouffer ses idées. Quatre siècles plus tard, la pensée de cet éternel martyr de la science infuse encore parmi l’esprit des hommes.

1 – Éloge de l’errance
2 – Prophète de l’infini
3 – Le bûcher de l’immortalité

Retour au pays des vertes années

Petit rappel : en 1591, après des années d’errance à travers l’Europe, Giordano Bruno – dit « le Nolain » (parce qu’il est originaire de la ville de Nola) – accepte l’invitation d’un jeune noble, Giovanni Francesco Mocenigo, à se rendre en Italie, à Venise, pour lui inculquer les secrets de sa formidable science de la mémoire. L’Italie… Bruno n’a pas revu sa terre natale depuis 1578. Il sait combien elle est dangereuse, et met plusieurs mois avant de se décider. Au-delà d’un retour nostalgique, c’est sans doute l’illusion de pouvoir vivre et enseigner sans subir de persécutions dans une république vénitienne relativement libre qui lui force le pas.

En 1591, Bruno arrive donc à Venise, à l’âge de quarante-trois ans, épuisé après deux décennies d’errance.

Le Grand Canal à Venise, huile sur toile de Canaletto (1726-1727)
Le Grand Canal à Venise, huile sur toile de Canaletto (1726-1727)

Il se rend bientôt à Padoue, où il enseigne durant quelques mois à l’Université, en espérant sans doute obtenir la chaire de mathématiques. En mars 1592, il retourne à Venise, auprès de Mocenigo, pour y dispenser comme convenu sa science de la mémoire. Le 21 mai, Bruno informe Mocenigo qu’il souhaite se rendre à Francfort pour y faire imprimer des œuvres ; Mocenigo refuse et le séquestre, pensant que ce voyage n’est qu’un prétexte pour abandonner les leçons. Le 23 mai, Mocenigo dénonce Bruno à l’Inquisition, l’accusant de blasphème, et non des moindres. Il porte vingt accusions contre le philosophes, parmi lesquelles :

  • Le mépris des religions
  • La réfutation de la Trinité divine et de la transsubstantiation
  • La négation de la virginité de Marie et des punitions divines
  • La croyance dans l’éternité du monde et dans l’existence de mondes infinis
  • La pratique des arts magiques

Le soir même, Bruno est arrêté et enfermé dans les prisons de l’Inquisition vénitienne. Il se défend face à ses juges, se faisant pédagogue sur ses idées, sans jamais les renier : il confesse ainsi ne croire ni dans le géocentrisme ou l’unicité du système solaire en ce qui concerne la physique ; ni dans la Trinité ou la virginité de Marie en ce qui concerne la religion. Il nie cependant tout blasphème. Il est peut-être torturé, bien que cela ne soit pas avéré.

Comme il l’aura toujours fait durant sa vie, Bruno se défend devant l’Inquisition en se présentant comme un philosophe :

Le contenu de tous mes livres en général est philosophique et […] j’y ai toujours parlé en philosophe, suivant la lumière naturelle, sans me préoccuper de ce que la foi nous commande d’admettre.

Résistances

Le supplice d'Algieri, gravure de Jean Luyken (1685)
Le supplice d’Algieri, gravure de Jean Luyken (1685)

Devant la gravité des faits, le pape Clément VIII ordonne à l’Inquisition vénitienne que Bruno soit extradé à Rome. Quelques années plus tôt, un autre habitant de Nola fut extradé de Venise vers Rome, le luthérien Pomponio Algieri, qui fut bouilli dans une chaudière remplie d’huile, le 22 août 1556 :  il survécut quinze minutes avant de succomber. Pourtant pour Bruno, c’est une aubaine : il demande justement à parler au Pape en personne pour lui exposer ses vues. Il n’en aura pas l’occasion : il est enfermé sitôt transféré. Et pour longtemps, très longtemps. Le procès de Bruno, comme sa vie toute entière, est une longue errance, faite de suspensions, de longs moments d’interruption, de répit. Un répit pour le récit, certainement pas pour Bruno qui s’évertue à prouver son innocence. Ah ! On imagine la peine de ce philosophe, qui ne demanda jamais rien d’autre que de pouvoir étudier et enseigner en paix, obligé de débattre avec les pires des sophistes !

Un sort d’autant plus regrettable qu’il est empiré par une nouvelle dénonciation. Le cas de Giordano Bruno s’aggrave. Le frère capucin Celestino de Vérone, son codétenu à Venise, porte de graves accusations : Bruno aurait affirmé que le Christ n’est pas mort sur une croix, que tous les prophètes sont des hommes faux et menteurs ayant donc mérité leur sort, que l’Enfer n’existe pas, et tant d’autres hérésies. Plus tard, pourtant libre, Celestino de Vérone s’auto-dénoncera à l’Inquisition de Venise, sur des accusations tellement graves qu’elles furent gardées secrètes. Il mourra de la même manière et au même endroit que Bruno, sur le Campo dei Fiori à Rome, très exactement cinq mois avant le philosophe Nolain. Un autre codétenu, Francesco Graziano, de la ville d’Udine, ajoute que Bruno méprise les saintes reliques.

Bruno face à ses juges, dans la série documentaire Cosmos.
Bruno face à ses juges, dans la série documentaire Cosmos.

La déposition est envoyée à Rome : Bruno est désormais suspecté de douze nouveaux chefs d’accusation, en plus des dix premiers. Sa ligne de défense reste alors la même : en pédagogue, Bruno explique sa pensée, et nie les accusations dont il fait l’objet, qui ne sont principalement que des déformations simplistes. Érudition, rigueur, honnêteté du philosophe face à ses adversaires. En 1594, les cardinaux chargés de prononcer leur sentence décident d’examiner l’intégralité des œuvres du Nolain afin de mieux en percer le sens. Il leur faudra plus de deux ans. Errance, disions-nous.

En 1597, Bruno est à nouveau interrogé, à la suite de quoi sont émises huit censures, c’est-à-dire des contestations de ses opinions. Mais le procès est encore une fois reporté, parce que le pape Clément VIII s’absente de Rome durant près de huit mois.

Le 18 janvier 1599, finalement, la Congrégation demande à Bruno d’abjurer ces huit propositions. Il faut alors imaginer notre philosophe, reclus au fond de sa cellule, dans l’obscurité. Si son corps est enfermé, en revanche toute sa vie son esprit a conservé sa liberté. L’exil, d’abord, plutôt que la soumission. La prison, ensuite, une fois revenu au pays. Alors, faut-il abjurer, faut-il refuser de lever les yeux pour contempler les vertiges de l’infini, regarder plutôt ses pieds en courbant l’échine devant le dogme ? Bruno hésite.

Vers la postérité

Puisque l’histoire adore les duels, il faut évoquer l’adversaire de Bruno dans ce terrible procès : le cardinal Robert Bellarmin. Il serait trop simpliste de résumer l’opposition entre ces deux hommes comme un combat du savoir contre l’obscurantisme : Bellarmin est loin du stéréotype habituel de l’inquisiteur. Il converse longuement avec Bruno, cherchant à le faire revenir sur ses positions, et donc à lui sauver la vie.

Mais Bruno tergiverse :

  • Le 10 septembre, il se déclare prêt à abjurer les huit propositions
  • Le 16 septembre, il se rétracte
  • Le 21 décembre, il annonce finalement qu’il refusera toute abjuration, n’ayant rien à repentir

Le 8 février 1600, à genoux, il écoute sa sentence : la mort sur le bûcher. Il dit à ses juges :

Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à la recevoir.

Et cette phrase historique résume finalement parfaitement le combat de Bruno et son abnégation face à l’adversité. Jamais il n’aura renoncé à ses idées, contrairement à d’autres, comme le rappelle un peu sévèrement Jacques Attali, dans un article consacré au Nolain :

Un peu plus tard, Galilée, confronté à la même menace, proférée d’abord en 1616 par le même Bellarmin, puis en 1633 par son successeur, pour des thèses beaucoup moins audacieuses, se rétractera en tremblant, à genoux, marmonnant seulement entre ses dents le trop célèbre « et pourtant elle tourne », signe ultime de sa lâcheté.

Galilée devant le Saint-Office au Vatican, de Joseph-Nicolas Robert-Fleury (1847)
Galilée devant le Saint-Office au Vatican, de Joseph-Nicolas Robert-Fleury (1847)

La fin de cette histoire est si tragique qu’elle ne mérite guère plus que quelques phrases : Bruno est emmené le 17 février sur le Campo de’ Fiori, à Rome, où il meurt brûlé. Ultime geste d’insoumission, toutefois : il détourne le regard de la croix qu’on lui tend. Ses cendres sont jetées dans le Tibre, le fleuve qui traverse Rome.

L’histoire s’applique parfois à porter à la postérité ceux dont leur leurs contemporains n’ont pas voulu. Ainsi d’Erostrate, l’incendiaire du  temple d’Artémis à Éphèse, dont on n’a gardé que le seul nom, ce nom qu’il était pourtant devenu interdit de citer sous peine de mort. Et ainsi de Bruno, porté par les flammes vers l’immortalité.

Aujourd’hui, sur le Campo de’ Fiori, à Rome, une statue en bronze de Bruno encapuchonné tient un livre entre ses mains. A ses pieds, une inscription en italien précise :

A Bruno. Le siècle par lui deviné. Là où le bûcher l’a brûlé.

L'inauguration de la statue, en 1889.
L’inauguration de la statue, en 1889.

Sculptée par Ettore Ferrari, un franc-maçon italien, elle fut inaugurée en 1889. Source de nombreuses controverses, notamment de la part du Pape qui avait alors menacé de quitter Rome, elle demeura pourtant là, imperturbable. L’errance est terminée. Malgré les éternelles réticences de l’Eglise (le cardinal Poupard refusa en 2000 de réhabiliter le Nolain), Bruno est définitivement installé au firmament des savants.

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