L’espace, indispensable à l’environnement
Près de 300 000 ans après son apparition, le seul représentant survivant du genre Homo, l’Homo sapiens, est parvenu à s’arracher de l’attraction gravitationnelle de la planète dont il est issu et à s’élancer vers les étoiles. Près de 300 000 ans après son apparition, pourtant, il se retrouve au bord du gouffre, sur une planète dont les conditions deviennent de plus en plus hostiles, et qui pourraient à terme menacer son existence. Doit-il cesser de lever les yeux vers le ciel pour les ramener vers le sol ?
La lettre de la discorde
Le 25 juin dernier, une lettre adressée à Thomas Pesquet est publiée sur le site de Libération. Provocateurs, leurs auteurs lui demandent de s’engager publiquement contre la poursuite de l’exploration spatiale et d’annuler son retour sur la Station spatiale internationale (ISS), prévu vers la fin de l’année 2020. C’est en fait suite à l’annonce faite par la NASA de l’ouverture de la station aux touristes, avec des billets au prix évidemment astronomique, que ces chercheurs de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse ont décidé de prendre la plume.
Les arguments avancés sont d’ordre écologique. L’exploration spatiale polluerait et amplifierait le dérèglement climatique qui, dans un futur proche, sera responsable de l’exil forcé et de la mort de millions de personnes sur la planète. Elle alimenterait un rêve inaccessible et mortifère, celui qui veut que l’espace puisse constituer une sorte de plan B, où l’humanité pourrait trouver une exoplanète aux conditions de vie favorables.
Elle détournerait en fait les humains des dangers réels et actuels qui menacent la Terre :
L’humanité n’a pas une nécessité urgente à quitter la Terre, mais elle a une nécessité urgente à trouver comment y rester avec des conditions de vie décentes pour tous.
Au bord du gouffre, peut-être que l’humanité devrait cesser de lever les yeux vers le ciel, au moins momentanément, et garder les pieds sur terre, pour assurer sa survie et celle de tous les autres êtres avec qui elle partage son existence sur cette planète bleue… Non ? Non !
Prenons de la hauteur
L’exploration spatiale est intimement liée à la fin de la Seconde guerre mondiale, avec la course à l’armement et le développement des premières fusées, et à la guerre froide qui a suivi et permis son essor, dans la lutte technologique qui opposait les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Née au milieu des guerres, elle est pourtant depuis longtemps un facteur de paix.
C’est que là-haut, l’homme a enfin pu contempler de l’extérieur cette planète bleue qu’il habite depuis déjà quelques millions d’années. Certes, par le génie de son intuition, grâce aux outils mathématiques et à d’habiles observations, il avait déjà découvert qu’elle était ronde, qu’elle tournait autour du Soleil, qui lui-même n’était qu’une étoile parmi les milliards d’étoiles de la Voie Lactée, qui elle-même n’était qu’une galaxie parmi tant et tant d’autres dans l’Univers. Oui, tout cela, il le savait déjà l’homme qui, le 12 avril 1961, embarqua à bord d’une fusée pour devenir le premier homme à avoir jamais voyagé dans l’espace. Ils le savaient aussi, ceux qui découvrirent les superbes photographies des missions Apollo, et notamment ce lever de Terre observé depuis l’orbite lunaire, ou la fameuse Bille bleue qui flotte au milieu de l’obscurité.
Dans un article consacré au sujet sur le site Space.com, l’historienne des sciences Lisa Ruth Rand rappelle :
[Avant que l’exploration spatiale ne commence] il n’y avait pas de perception de la Terre comme étant une entité unique, et certainement pas dans un contexte spatial. C’était révolutionnaire à l’époque : nous découvrions que nous étions seuls dans cet espace vide, hostile et stérile, mais aussi que nous étions tous dans le même bateau.
Le voici, l’homme nouveau de la deuxième moitié du XXe siècle : c’est celui qui comprend combien la Terre est fragile, combien nous sommes tous ensemble sur ce petit vaisseau spatial, et combien nous sommes seuls, perdus dans ce vaste environnement froid et désespérément vide. Ils sont nombreux, les témoignages des astronautes revenus changés à tout jamais par ce phénomène qui porte un nom : l’Overview effect.
Ce tournant inspirera au scientifique britannique Carl Sagan un poème resté célèbre, Un point bleu pâle, d’après une photographie de la Terre prise à une distance de 6,4 milliards de kilomètres par la sonde Voyager de la NASA, et qui se termine ainsi :
On a dit que l’astronomie incite à l’humilité et fortifie le caractère. Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette lointaine image de notre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir le point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue.
Le bilan carbone de l’exploration spatiale
Mais ce changement de paradigme vaut-il la pollution engendrée par les fusées ? Parce que le décollage d’une fusée est visuellement très impressionnant, avec le dégagement de ce qui semble être une énorme quantité de fumée, on a tendance à croire que le bilan carbone de l’exploration spatiale est lourd.
Mais est-ce bien réellement le cas ? Tout dépend évidemment du type de fusée, et du propergol utilisé pour propulser son moteur. Il faut tout d’abord rappeler qu’une centaine de fusées environ sont lancées dans l’espace chaque année. L’impact en termes d’émissions de dioxyde de carbone est négligeable, selon les experts.
Interrogé sur le sujet dans un article du site The Verge, Martin Ross, ingénieux chez Aerospace Corporation, explique :
L’activité de fusées pourrait être multipliée par 1 000 que les émissions de dioxyde de carbone et de vapeur d’eau resteraient faibles comparées à d’autres sources industrielles.
Un autre problème est parfois évoqué : la destruction de la couche d’ozone, le bouclier chargé de protéger la Terre contre les rayons ultraviolets nocifs du Soleil, par les gaz dégagés par les moteurs-fusées. Une étude parue en 2009 estime que les lancements de fusées appauvrissent la couche d’ozone de quelques centièmes d’un seul pourcent… Est-ce inquiétant ? Pas vraiment, en tout cas pour le moment. L’exploration spatiale défriche, explore l’inconnu : tout est à inventer, au risque de commettre des erreurs. Cela a été le cas avec les débris spatiaux qui encombrent l’orbite terrestre, source de risques d’impact longtemps négligée. Alors que l’industrie spatiale privée (incarnée notamment par SpaceX et Blue Origin), en plein essor, s’apprête à multiplier le nombre de lancements annuels, il serait donc temps que les agences spatiales et les gouvernements s’emparent du sujet des impacts des lancements sur la couche d’ozone et décident d’une éventuelle réglementation avant que des problèmes ne surgissent. La planification et la réflexion, en somme, plutôt que l’interdiction…
Le stéthoscope de la Terre
Il est légitime de s’interroger sur les impacts environnementaux de l’exploration spatiale. Il est tout aussi important de souligner ses apports dans notre connaissance de notre planète et des dégâts que les activités humaines lui causent.
Dans un message publié sur Twitter, le journaliste Norédine Benazdia s’insurge :
Sur les 58 indicateurs qui permettent d’évaluer les modification écologiques sur Terre, il y en a plus de la moitié qui ne peuvent être réalisés que depuis l’espace !
Et des dizaines d’articles ne suffiraient pas pour résumer combien l’exploration spatiale est indispensable pour comprendre comment fonctionne notre planète, pour la surveiller et pour alerter l’humanité sur son état. En fait, sans elle, sans doute ne serions nous même pas au fait de ses blessures, en tout cas nous serions bien moins informés. C’est en ce sens que la lettre adressée à Thomas Pesquet est absurde : sans l’exploration spatiale qu’ils dénigrent, sans ses apports quotidiens à la cause environnementale, ils ne seraient pas au courant des dégâts causés à la faune, la flore, les océans, les terres, et n’auraient donc sans doute pas pu l’écrire !
Si les débuts de l’exploration spatiale ont permis aux hommes d’obtenir enfin une vue complète et détaillée de leur planète depuis l’espace, modifiant leur vision de celle-ci, le développement des satellites a permis de comprendre précisément la manière dont elle fonctionne. Evidemment, l’observation depuis le sol reste indispensable. Mais l’espace offre bien des avantages.
Dans sa leçon inaugurale prononcée au Collège de France en 2013, la scientifique française Anny Cazenave revient sur les atouts de l’observation spatiale :
- Elle offre une vision globale de la planète, pouvant se focaliser sur des zones difficiles d’accès
- Les observations effectuées peuvent couvrir de larges périodes de temps pour mesurer des évolutions
- Différents satellites peuvent observer la même zone, et ainsi surveiller différents paramètres
- Le quasi-temps réel offert par les satellites permet de mieux appréhender les catastrophes naturelles
Anny Cazenave détaille ensuite les technologies développées depuis les débuts de l’exploration spatiale, ainsi que leurs intérêts. L’altimétrie satellitaire permet ainsi de mesurer le relief des océans, pour établir des cartes très précises des fonds marins, mesurer le niveau de la mer, décrire les perturbations du système climatique. L’altimétrie a permis de démontrer que la hausse du niveau de la mer n’est pas uniforme partout sur le globe, et qu’elle est bien une conséquence directe du réchauffement climatique.
D’autres techniques permettent de mesurer avec une grande précision la variation de la masse des calottes glaciaires, c’est-à-dire de constater que les glaces fondent, d’observer la quantité de glace qui est déversée dans les océans et de surveiller son évolution avec les années.
Ces observations permettent de modéliser des projections pour l’avenir, en prévoyant les niveaux futurs de la mer.
Outre les mesures, la collecte d’images depuis l’espace permet une quantité innombrable d’applications diverses et variées, dans tous les domaines imaginables : le suivi des océans et de leur écosystème, la gestion des forêts et l’étude de la végétation, la surveillance de l’étalement urbain, le contrôle de l’agriculture ou de la pêche, le suivi des phénomènes météorologiques et des catastrophes naturelles (au travers notamment de la Charte internationale Espace et Catastrophes majeures)… Autant de domaines indispensables : peut-on réellement affirmer vouloir combattre le réchauffement climatique avec un bandeau sur les yeux, sans en observer sa dynamique et son évolution, sans identifier clairement ses conséquences, sans le comprendre de manière globale, ce que seul permet l’observation depuis l’espace ?
Dans la conclusion de sa leçon, Anny Cazenave résume :
Aujourd’hui, grâce à l’espace, nous ne décrivons plus seulement une Terre statique mais une Terre dynamique, en évolution permanente sous l’effet de phénomènes naturels et de la pression anthropique.
Doit-on se débarrasser de ces outils indispensables aujourd’hui pour comprendre notre monde et qui seront fondamentaux demain, sur une planète à dix milliards d’habitants, menacés par la montée des eaux, l’effondrement de la biodiversité et la diminution des terres agricoles fertiles ? Doit-on privilégier l’idéologie à la science ?
L’enseignement de la modestie
Ce que la lettre semble décrire, c’est l’exploration spatiale telle que pensée et théorisée durant les années 60 et 70, en plein affrontement entre les deux grands blocs, pleine d’espérances et de projets fous, ou encore celle de Elon Musk ou de Jeff Bezos, qui se rapproche pour le moment (et sans doute pour longtemps) plus de la science-fiction que de la science. Est-ce de la mauvaise foi ? De l’ignorance ? Reste le tourisme spatial, critiquable à bien des égards, mais qui ne saurait justifier de remettre en cause l’exploration spatiale toute entière.
Les astronautes de la Station spatiale internationale sont de formidable porte-voix de la cause écologique, à commencer par Thomas Pesquet qui déclarait à son retour :
J’ai vu depuis la station spatiale la beauté de la Terre mais aussi sa fragilité.
L’exploration spatiale, et plus généralement les sciences et les techniques de l’étude du ciel, invitent à la modestie plus qu’à la vanité. Car plus nos connaissances s’affinent, et plus nous comprenons combien l’Univers est grand, combien ses mystères résistent même à nos théories les plus solides. « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » disait Socrate, cette maxime s’applique aussi au cosmos, dont les origines, les desseins et le destin nous échappent. Rappelons-le : une éternelle Révolution copernicienne s’attache, patiemment, à déloger la place de l’homme dans l’Univers : la Terre est une planète comme une autre, qui orbite autour d’une étoile comme une autre, dans une galaxie comme une autre et peut-être, selon les théories les plus audacieuses, dans un Univers comme un autre.
Quiconque lève les yeux au ciel le sait : il n’y aura pas d’échappatoire pour l’humanité là-haut. L’espace est trop froid, trop vide, trop hostile, trop grand. Nous ne sommes que poussières dans l’Univers. Le temps nous manque. Rejoindre l’étoile la plus proche prendrait des dizaines de milliers d’années avec les technologies actuelles, et nous ne savons rien ou presque de l’habitabilité des planètes qui s’y trouvent. Il nous faudra bien des siècles pour que notre ingénierie parvienne à y accéder dans des délais raisonnables à l’échelle d’une vie humaine, si tant est que cela soit possible. D’ici là, notre planète sera devenu inhabitable, si nos conditions de vie n’évoluent pas.
C’est cela, la leçon de l’exploration spatiale. Dans l’immensité du cosmos, une petite planète bleue, située pas trop loin ni trop proche de son étoile, offre les conditions idéales pour que l’homme y vive et s’y épanouisse : c’est la Terre. La Terre, un environnement complexe, le fruit de plusieurs milliards d’années d’évolution géologique et biologique, berceau et maison de l’homme, qui dispose désormais de la technologie nécessaire pour mesurer combien elle est unique et précieuse.
Ainsi que le rappelait le marcheur lunaire Alan Bean, changé depuis son retour de la mission Apollo 12 :
Je ne me suis pas plaint une seul fois du temps qu’il fait. Je suis heureux qu’il y ait du temps. Je ne me suis pas plaint du trafic. Je suis heureux qu’il y ait des gens autour de moi. Voilà une des choses que j’ai faites quand je suis rentré à la maison – je suis allé dans un centre commercial, je me suis acheté un cornet de glace, puis j’ai regardé les gens passer en pensant : « Eh bien, nous avons de la chance d’être ici. Pourquoi les gens se plaignent-ils de la Terre ? Nous vivons dans le jardin d’Eden ! »
Mouais, le bilan total de l’entrainement de Thomas Pesquet, fait des nombreux déplacements en avion et utilisation de matériel en tous gens à forte teneur en énergie grise, me fait dire que le bilan de cycle de vie complet reste très négatif pour le climat.
Alors évidemment ce n’est pas l’ESA ou Thomas Pesquet qui émettent bcp de CO2 par rapport à émissions globales, mais le bilan doit être très mauvais malgré tout