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Un été en Grèce Antique – Les gymnosophistes

L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges.

Aujourd’hui, ceux qui philosophent nus : les gymnosophistes.

L’anecdote pour héritage

Une chose acquiert-elle une existence à partir du moment où un nom lui est donné ? Une chose dont il ne reste plus qu’un nom existe-t-elle ? Voilà le problème que posent les gymnosophistes, dont il ne reste plus que quelques mentions ici ou là. L’érudit, plume et papier en main, en quête de savoirs oubliés, en ressortira frustré, car l’Histoire a oublié ces gens-là.

Qui sont-ils ? Diogène Laërce en fait mention au tout début de son œuvre, lorsqu’il énumère les origines possibles de la philosophie. On en apprend peu, malheureusement. Comme toujours, le doxographe ne cherche pas l’exhaustivité.

Ainsi ils disent que les gymnosophistes et les druides s’énonçaient en termes énigmatiques et sentencieux, qu’ils recommandaient d’honorer les dieux, de s’abstenir du mal et de s’exercer au courage. On trouve aussi dans le douzième livre de Clitarque que les gymnosophistes professaient le mépris de la mort[1].

Les peut-être tous premiers sages, ceux qui sortirent la pensée humaine de l’ombre, et qui léguèrent leur esprit aux philosophes présocratiques, n’eurent pas le droit à la postérité. Ils n’ont pas non plus été condamnés à l’oubli, puisque leur nom demeure à travers les siècles.

Pourtant, maigre consolation, menue pitance destinée aux amateurs, il nous reste quelques anecdotes, parsemées ici et là.

On nous dit donc de ces Indiens qu’ils philosophent nus (d’où leur nom). Aristote le péripatéticien philosophait en marchant, les gymnosophistes, eux, le font nus. Cela est peut-être du au climat de leur pays[2]. Comme tant d’autres, ils prônent l’ascétisme : la Souda parle des « ascétiques nus[3]. » De fait, il est possible de rapprocher le mode de vie des gymnosophistes de celui de l’école cynique qui apparut à Athènes avec Antisthène au IVème siècle avant Jésus-Christ.

Certaines ascètes indiens ont conservé la nudité, comme les Naga sādhu.

La mort, naissance de la vie heureuse

Les gymnosophistes vivent en accord avec la nature. Il faut distinguer deux types de philosophes indiens : les Brahmanes et les Garmanes[4]. On dit justement des premiers que la conduite qu’ils mènent est plus en accord avec les principes qu’ils dictent (la philosophie antique est, on le sait, une philosophie en actes), c’est pourquoi ils sont plus honorés que les seconds. Par ailleurs les brahmanes reçoivent leur statut par hérédité[5]. Des deux l’on dit qu’ils vivent dans les bois, se nourrissant de repas frugaux, dormant sur des couches médiocres. Ils s’abstiennent des plaisirs de la chair. Cependant, à l’âge de 37 ans, les Brahmanes peuvent s’affranchir de ces contraintes, tout du moins en partie, pour jouir d’une vie un brin moins austère. Ils peuvent en effet se retirer dans leur propriété, et se trouver autant de concubines qu’ils le désirent. Les Garmanes vivent de l’hospitalité des autres. Ils ont un rôle politique : ils conversent avec les Rois, et les conseillent. Une foule de métiers leur est associé : médecins, sorciers, physiciens…

Leur vision de la mort se fonde sur un refus absolu de la vieillesse et du dépérissement du corps. Plutôt que d’attendre, dans la crainte et l’appréhension, une mort lente et certaine, ne vaut-il mieux pas en terminer immédiatement ? N’est-il pas préférable de finir sa vie au sommet plutôt qu’après une douloureuse descente ? Ils professent de toute manière que la mort est la naissance de la vie heureuse. Une affirmation en contradiction avec ce que dit Diogène Laërce.

Ils souhaitent avec empressement que leurs âmes soient délivrées de leurs corps. Il arrive souvent, que lorsqu’ils paraissent se bien porter et n’avoir aucun sujet de chagrin, ils sortent de la vie : ils en avertissent les autres ; personne ne les en empêche[6].

C’est ainsi que périt Calanus. Ce gymnosophiste est le seul qui accepta de suivre Alexandre le Grand dans sa conquête de l’Inde. Il fut d’ailleurs critiqué par ses compères. Blessé en Perse alors qu’il a déjà dépassé les quatre-vingt ans, plutôt que de supporter l’infirmité il choisit d’être brûlé.

On admire le courage de Calanus qui demeure immobile au milieu des flammes. Néarque rapporte qu’au moment où l’on mit le feu, les trompettes sonnèrent par l’ordre d’Alexandre. Toute l’armée poussa le cri des combats, et les éléphants même firent entendre un frémissement belliqueux qui semblait applaudir à Calanus[7].

Ses derniers mots auraient été destinés à Alexandre, qui chercha en vain à l’empêcher de se donner aux flammes : « Nous nous retrouverons à Babylone », aurait-il dit, prophétisant ainsi le lieu de la mort du grand Roi.

Faut-il donc blâmer l’histoire, pour n’avoir pas gardé trace plus forte des gymnosophistes ? Ou se réjouir en pensant à ces autres philosophies obscures dont il ne reste pas même le nom ? La sagesse inviterait plutôt à penser que le voile de mystère qui entoure ces esprits est digne de la simplicité et la modestie avec laquelle ils paraissaient conduire leurs vies. Et que leur empressement à mourir n’incitait pas leur doctrine à connaître la postérité…

 

[1] Diogène Laërce, Vie et doctrines des philosophes illustres, I, 3
[2] Diderot, Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, VII, p.1022
[3] La Souda, Ἀπολλώνιος, alpha, 3420
[4] Strabon, Géographie, XV, 1, 59
[5] Phorphyre, Traité sur l’abstinence, V, 17
[6] Phorphyre, Traité sur l’abstinence, V, 18
[7] Arrian, Expéditions d’Alexandre, VII, 1

(Image de couverture : Jean-Baptiste de Champaigne – Alexandre recevant l’annonce de la mort du philosophe gymnosophiste indien Calanus immolé par le feu (1673)).

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