Un été en Grèce Antique – Erostrate
L’été, sur DLL, on aime bien sortir un peu des sentiers battus. Il ne sera donc point question ici de cosmos, de trous noirs ou de gravitation quantique à boucles dans ces articles. Je vous propose plutôt un voyage vers la Grèce Antique, à la découverte de personnages fondateurs, géniaux ou étranges.
Aujourd’hui, pour bien commencer, un criminel : Érostrate.
Un incendie pour la postérité
Qui est Érostrate ? Personne ne le sait. Qu’à fait Érostrate ? Peu de monde l’ignore. Il a brûlé l’une des sept merveilles du monde, le temple d’Artémis à Ephèse, 356 années avant notre ère. Pourquoi ? Pour laisser une empreinte de pas sur la grande route de l’Histoire. D’aucuns, afin d’être célèbres, poussent la chansonnette. D’autres préfèrent écrire des romans à l’eau de rose. Certains choisissent d’assassiner des célébrités. Des choix que nous ne saurions remettre en cause.
Érostrate, lui, a choisi de brûler un temple vénéré. Le site sur lequel il a été construit, et qui a déjà vu s’ériger un temple plus ancien, est depuis longtemps déjà un lieu sacré. Le temple brûlé est lui bâti au VIème siècle avant Jésus-Christ, et financé par Crésus lui-même. Deux cent vingt ans de travaux, nous dit Pline L’Ancien. Une masse de travail si titanesque que l’architecte songea à se tuer devant l’ampleur de la tâche. Avant de recevoir une aide divine d’Artémis elle-même. 155 mètres de long, 60 de large, 127 colonnes superbement sculptées ; en somme, du bon boulot qui ne manque pas d’attirer de très nombreux visiteurs venus rendre hommage à la déesse de la chasse.
Érostrate est-il fou ? Toujours est-il qu’il prit donc une nuit la décision d’incendier ce temple. La raison invoquée, c’est de devenir immortel. Une préoccupation récurrente chez les Anciens, tant la mort les obsède. Les écoles philosophiques ne sont-elles pas que des remèdes apportés à la terrible question : « Comment bien vivre sachant que l’on meurt un jour ? » ? La punition fut sévère : notre pauvre bougre fut torturé, tué et, châtiment plus terrible encore, on interdit toute prononciation de son nom par quiconque durant 23 ans, sous peine de mort, pour qu’il ne puisse pas accéder à son désir de gloire éternelle. Peine perdue, cet article en est la preuve.
Aurait-it donc atteint son objectif ? Oui et non. Certes, le nom de ce monsieur nous est parvenu. Érostrate a parcouru les siècles. Mentionné ici ou là, il a fait son chemin dans la littérature antique et moderne, d’une page à l’autre.
Un nom pour seule mémoire
Le dialogue suivant, de Sartre, énonce bien de manière comique tout le bizarre de cette affaire :
— Je le connais votre type, me dit-il. Il s’appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n’a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d’Éphèse, une des sept merveilles du monde.
— Et comment s’appelait l’architecte de ce temple ?
— Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu’on ne sait pas son nom.
— Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d’Érostrate ? Vous voyez qu’il n’avait pas fait un si mauvais calcul.[i]
En réalité les noms de ces architectes, puisqu’ils sont trois, sont connus, mais bien moins que celui du pyromane sacrilège. En somme, mieux vaut détruire que construire pour être célèbre. L’Abbé Barthélémy, à ce sujet, dans son Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, écrit fort justement :
Dans ce long intervalle de paix dont jouit l’Attique, elle produisit sans doute des cœurs nobles et généreux […], ils sont oubliés, parce qu’ils n’eurent que des vertus. S’ils avaient fait couler des torrents de larmes et de sang, leurs noms auraient triomphé du temps […]. Faut-il donc écraser les hommes pour mériter des autels ![ii]
D’un autre côté, Érostrate n’est qu’un nom et rien de plus. Fut-il esclave, politicien, prêtre ou philosophe ? N’était-il qu’un badaud éternellement destiné à l’anonymat, et rongé par le désir d’être quelqu’un ? Qui peut le dire ? Il n’est qu’un nom associé à un acte historique, n’a pas d’existence en tant que tel, et ne peut pas être détaché de l’histoire du Temple. Qui sait même s’il a existé ?
J’en veux pour preuve les propos de tous les historiens, poètes et écrivains qui, depuis l’Antiquité, se sont penchés sur le sujet. Le géographe Strabon parle d’un « certain Érostrate[iii], l’écrivain Lucien d’ « un fou[iv]. » Bien plus récemment, Marcel Schwob lui a consacré une de ses Vies Imaginaires[v]. Et Auguste Barbier un poème satirique[vi] qui fait parler le criminel devenu mélancolique, et qui s’achève sur ces mots :
Ah ! quel que soit mon sort, je n’ai plus l’âme en peine !
Comme Ajax, j’ai trouvé dans une autre Ilion
Le linceul glorieux qui doit couvrir mon nom.
Ironie ou coup du sort, simple coïncidence ou mensonge d’un historien imaginatif[vii], cette fameuse nuit où les flammes dévorèrent le Temple est né Alexandre Le Grand. Un autre personnage, lui aussi devenu presque mythique, mais pourtant bien plus réel, et aussi bien plus ancré dans l’Histoire. Alexandre qui, 23 ans plus tard, fit reconstruire le temple, et lui redonna toute sa beauté.
Le temps, malheureusement, a accompli son terrible méfait : de cette merveille il ne reste plus aujourd’hui qu’une seule colonne encore debout, laide et abîmée, tel un vieillard dans ses derniers jours contemplant les rares vestiges de souvenirs qui lui restent.
Alors, Érostrate, monstre ou génie ? Personne n’est en mesure de répondre à cette question. Une chose est sûre, Érostrate est seulement ce que l’on sait de lui, ou plutôt ce que l’on ne sait pas de lui, c’est-à-dire tout.
[i] Jean-Paul Sartre, Erostrate, Le Mur
[ii] Barthélémy, Voyage du jeune Anacharsis en Grèce dans le milieu du quatrième siècle avant l’ère vulgaire
[iii] Strabon, Géographie, XIV, 1, 22
[iv] Lucien, Sur La Mort de Pérégrinus, 22
[v] Marcel Schwob, Vies Imaginaires
[vi] Auguste Barbier, Erostrate au Temple d’Ephese, Revue Des Deux Mondes
[vii] Plutarque, Vies Parallèles, Vie d’Alexandre, III, 5
(crédits image de couverture : Fire Temple par x345-art)