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Les cent pulsations de Joy Division

Cent lignes blanches sur fond noir dessinent un étrange relief montagneux sur la pochette du premier album du groupe britannique Joy Division, paru en 1979. Elles figurent en fait cent pulsations issues d’un des objets cosmiques les plus mystérieux, le pulsar.

Genèse de l’icône

Une pochette noire ornée d’une série de lignes horizontales qui oscillent. Aucune mention du groupe, du nom de l’album ni des titres qui y figurent. Le procédé n’est pas inédit, mais il a surtout été utilisé par des groupes dont la popularité le permet (exemple typique : le White Album des Beatles). Or il s’agit ici du premier album d’un groupe encore inconnu, Joy Division. Au-delà de ses qualités musicales indéniables, l’esthétique sombre et mystérieuse  de la pochette participera énormément au culte naissant autour de Unknown Pleasures. Depuis, cette image iconique du rock a été reprise partout : sur des vêtements, des tatouages, des posters.

En fait, c’est le guitariste du groupe, Bernard Sumner, qui tombera sur l’image par hasard en feuilletant l’édition de l’année 1977 de l’encyclopédie astronomique de Cambridge. L’artiste Peter Saville la reprendra en inversant les couleurs : les traits noirs sur fond blanc deviennent des traits blancs sur fond noir. Pouvait-il en être autrement ? Unknown Pleasures est un album sombre, crépusculaire, hanté par la voix sépulcrale de Ian Curtis, le chanteur du groupe qui mettra fin à ses jours en 1980 à l’âge de 23 ans.

Un film à voir absolument pour qui s’intéresse à Joy Division : le film Control, de Anton Corbijn (2007), qui raconte les dernières heures de la vie de son leader, Ian Curtis.

Le titre de l’image, indiqué dans l’encyclopédie, est le suivant : « 100 pulsations consécutives  du pulsar CP 1919 » (soit en anglais 100 consecutive pulses from the pulsar CP 1919). Car c’est bien ce qui se dissimule derrière ces cent lignes aux allures d’esquisses de montagne : le tout premier pulsar découvert par l’homme.

Dance, dance, dance, dance, dance, to the radio

En 1967, l’étudiante britannique Jocelyn Bell détecte un étrange signal à l’aide d’un radiotélescope initialement conçu pour étudier des quasars. C’est un signal périodique, qui se répète toutes les 1,33730113 secondes, et qui provient de la constellation du Petit Renard, à près de 212 années-lumière de la Terre. En janvier 1968, d’autres signaux similaires sont découverts. Puisque leur nature est inconnue, ils sont baptisés LGM, pour Little Green Men (petits hommes verts)… Ce qui n’était sans doute qu’une boutade est évidemment pris très au sérieux par la presse généraliste, qui parle bientôt de signaux envoyés par une civilisation extraterrestre !

La plaque embarquée à bord des sondes Pioneer à destination d’une éventuelle civilisation extraterrestre contient notamment les périodes de quatorze pulsars, permettant de déterminer la position de la Terre !
(crédits : NASA)

En réalité, les pulsars sont des signaux émis par le rayonnement électromagnétique des étoiles à neutrons. Lorsqu’une étoile massive agonise, après avoir épuisé son combustible nucléaire, elle s’effondre gravitationnellement. Selon sa masse et selon d’autres caractéristiques encore hypothétiques, la dite-étoile formera une naine blanche, un trou noir ou bien une étoile à neutrons. Dans ce dernier cas l’étoile en question, en se contractant, acquiert une densité extraordinairement élevée, et voit sa vitesse de rotation augmenter progressivement. Une étoile à neutrons porte ce nom tout simplement car protons et électrons se combinent durant ce processus pour former des neutrons. De même, le champ magnétique de ce résidu d’étoile est amplifié. C’est ce champ qui est détecté sur Terre, à la manière d’un phare – je n’invente rien puisque cet effet est appelé…. Effet de phare.

Comme le résume l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet dans son livre Le destin de l’Univers :

A chaque tour, une pulsation est reçue sur Terre au moment où le faisceau balaie la ligne de visée du radiotélescope.

Pour la petite histoire, ce n’est pas Jocelyn Bell qui recevra le prix Nobel de physique en 1979 pour cette découverte, mais son directeur de thèse Antony Hewish, au prétexte que son étudiante n’avait fait que suivre ses instructions !

Comme la légende de l’encyclopédie astronomique de Cambridge l’indique, le graphique représente cent pulsations consécutives de ce pulsar, alors appelé CP 1919 (depuis, la désignation des pulsars a été unifiée, celui-là porte maintenant le nom charmant de PSR B1919+21).

La quête des origines

Tout ceci est formidable. Mais d’où vient l’image originale ? Qui en est l’auteur ? C’était jusqu’à il y a peu un mystère.

En 2011, un blogueur, Adam Cap, mène l’enquête alors qu’il désire réutiliser la pochette pour la parodier et souhaite donc savoir si elle est protégée par le droit. En fait, les cent pulsations ont été publiées pour la première fois dans l’édition de janvier 1971 du magazine Scientific American, créditées de Jerry Ostriker. Elles pulsent sur un fond bleuâtre qui n’est pas du plus bel effet, en toute honnêteté. Seconde publication trois ans plus tard dans le livre Graphis Diagrams, un livre très étrange, rempli comme son nom l’indique de diagrammes que les amateurs de courbes, de lignes et de pourcentages sauront apprécier. Le fond est noir, cette fois-ci, comme sur la pochette d’Unknown Pleasures.

L’article du Scientific American de janvier 1971.

Adam Cap fouille les méandres du net, se perd dans des articles scientifiques de l’époque, entre en contact avec Ostriker qui doute avoir créée l’image devenue culte. Et puis il relit la légende du Scientific American, qui précise qu’elle a été générée sur ordinateur à l’observatoire d’Arecibo (Porto Rico) ! Mais ses recherches n’aboutissent pas…

Il faudra attendre 2015 pour connaître le fin mot de l’histoire, grâce à un article de Jen Christiansen publié dans… le Scientific American (la boucle est bouclée). Christiansen retrouve une thèse publiée par un certain Harold D. Craft Jr en septembre 1970 et intitulée « Observations radio de profils d’impulsion et mesures de dispersion de douze pulsars. » Les cent pulsations y figurent. Craft en est bien l’auteur. Christiansen le rencontre, il lui détaille le processus de création.

L’image originale, tirée de la thèse de Craft.

Est-il au courant que son image est devenue culte ? Oui. Il s’exprime d’ailleurs sur le sujet :

J’ai été au magasin de disques et, en effet, il y était. Donc j’ai acheté un album, et puis il y avait un poster de l’album, alors j’en ai acheté un également, sans raison, simplement parce que c’est mon image, et que je devais en avoir une copie.

Fallait-il révéler le mystère de cette pochette, justement choisir parce qu’elle reflétait parfaitement le côté mystérieux, sombre et chaotique de l’album ? Chacun jugera. Et verra peut-être autre chose, désormais, en posant les yeux sur un t-shirt reprenant l’image : la représentation graphique des pulsations d’un événement cosmique survenu bien au-delà des frontières du Système solaire. Les pulsars dissimulent encore bien des choses qui échappent à notre compréhension actuelle de la physique. Un objet mystérieux, parfait pour illustrer les chansons de Unknown Pleasures et la personnalité de Ian Curtis. Il en va des mystères du cosmos comme des mystères de l’homme…

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