L’hypothèse du zoo
Si nous semblons si isolés, si nous n’avons pas eu l’honneur de recevoir la visite d’une éminente civilisation extraterrestre, c’est peut-être parce que nous ne sommes que des singes derrière des barreaux, dans l’immense zoo de notre Système Solaire, isolés de nos gardiens à jamais invisibles…
E.T. Téléphone maison
Où se cachent donc les extraterrestres ? Les dimensions de l’Univers étant ce qu’elles sont, il n’est pas déraisonnable de penser que la vie existe ailleurs, ne serait-ce que dans notre galaxie, composée de 400 milliards d’étoiles et au moins autant de planètes. L’âge de l’Univers étant en plus ce qu’il est, soit 13,7 milliards d’années, la vie existe sans doute ailleurs depuis bien plus longtemps que sur la Terre, faisant apparaître des civilisations à la technologie autrement plus avancée que la nôtre. Le genre homo est apparu voici presque 3 millions d’années, l’espèce Homo Sapiens il y a 200 000 ans, et l’âge de notre civilisation est estimée à 10 000 ans environ. Quelles prodiges technologiques serait capable d’accomplir une civilisation avec plusieurs milliers ou millions d’années d’évolution ?
Selon le paradoxe de Fermi, il ne suffirait que de quelques millions d’années à une civilisation pour coloniser entièrement la Voie Lactée. C’est une période de temps qui peut sembler longue, elle est pourtant courte face à l’âge de notre galaxie, environ 10 milliards d’années. Si la vie a émergé et évolué sur ne serait-ce qu’un pourcent des 400 milliards de planètes de la Voie Lactée, cela représente 4 milliards de civilisations potentiellement colonisatrices.
Pourtant, le ciel demeure silencieux. La Terre est à ce jour le seul exemple de vie dans l’Univers.
Face à ces doutes, plusieurs réponses peuvent être envisagées, en voici quelques-unes :
- La vie est un accident, nous sommes effectivement seuls dans l’Univers
- Les civilisations extraterrestres s’éteignent avant de pouvoir parvenir au voyage interstellaire
- Nous recevons la visite discrète d’extraterrestres (observations d’ovnis, phénomènes d’abductions, etc.)
- Corollaire de l’idée précédente : les extraterrestres connaissent notre position dans la galaxie, mais ne souhaitent pas nous rendre visite
C’est à travers de larges grilles…
C’est John A. Ball qui sera en mars 1973 le premier à émettre cette hypothèse, dans un article paru dans la revue Icarus, intitulé The Zoo Hypothesis. Ball part de trois prémisses absolument cruciales pour valider son hypothèse. Autrement dit, si l’une de ces trois prémisses est incorrecte, alors l’hypothèse du zoo est infirmée.
Premièrement, la vie apparaîtra si les conditions sont réunies pour que cela soit le cas.
Deuxièmement, il existe beaucoup d’endroits dans le cosmos sur lesquels la vie est en mesure d’apparaître. Lorsque Ball publia son article, l’existence des exoplanètes n’avait pas encore été confirmée par l’observation. C’est le cas depuis 1995, et régulièrement la NASA communique (parfois avec un peu trop d’entrain !) sur la découverte de planètes dites « habitables », ce critère étant mesuré par un indice de similarité avec la Terre. La découverte sur notre planète d’organises extrêmophiles est également encourageante sur la capacité de la vie à apparaître et se développer dans des conditions jugées auparavant extrêmement défavorables (températures très chaudes ou très froides, milieux radioactifs, etc.).
Troisièmement, nous n’avons pas connaissance d’une civilisation extraterrestre. C’était le cas en 1973, c’est toujours le cas en 2016.
Si ces trois prémisses sont vérifiées, alors l’hypothèse du zoo peut être envisagée.
Selon Ball, trois grandes catégories définissent l’évolution d’une civilisation :
- la destruction (de l’intérieur ou de l’extérieur)
- la stagnation technologique
- le progrès technologique quasi-continu
Cette dernière catégorie est entendue comme la capacité croissante d’une civilisation à contrôler son environnement. Comme Ball le rappelle, notre action en tant qu’êtres humains sur Terre influe la quasi-totalité de notre environnement, des virus jusqu’aux éléphants. Corollaire de cette action colonisatrice parfois négative, notre éthique nous pousse à vouloir parfois isoler certaines espèces ou mêmes civilisations pour leur permettre de se développer naturellement, c’est-à-dire en interagissant peu ou pas avec l’homme. Ainsi des réserves naturelles, des zoos ou des zones entières laissées à l’état sauvage.
Ball explique :
Le zoo parfait […] serait celui dans lequel la faune qui y vit n’interagit pas avec ses gardiens, et n’est même pas au courant de leur existence.
Derrière les barreaux, le vide de l’éternité
Dans cette optique, la dernière prémisse est déterminante. Selon l’hypothèse du zoo, Nous n’aurons jamais de contact avec une civilisation extraterrestre, car nous sommes mis à l’écart. Toute interaction est empêchée, au moyen d’une technologie supérieure que nous ne serons jamais en mesure de détecter.
Les critiques à l’encontre de cette hypothèse étonnante n’ont pas manquées :
- En fin d’article, Ball lui-même la juge pessimiste et déplaisante, en précisant toutefois que l’histoire des sciences contient de nombreux exemples d’hypothèses pessimistes qui se sont avérées par la suite.
- Peut-on tout simplement croire que toutes les civilisations extraterrestres, de concert, décident de notre isolement ? Cette règle serait-elle unanime, inviolable, sans possibilité d’être transgressée ?
- Et puis, quel crédit accorder à une hypothèse par essence invérifiable ? Peut-on la qualifier de scientifique ?
Ces critiques n’ont pas empêché scientifiques et philosophes de revenir sur l’idée de Ball, tantôt en la développant, tantôt en en fournissant une version alternative.
Du zoo à Matrix
Commençons par évoquer l’hypothèse du laboratoire, antérieure à celle du zoo, et d’ailleurs considérée par Ball comme grotesque et morbide. Elle stipule que la vie sur Terre ne serait qu’une expérience de laboratoire menée par des chercheurs extraterrestres, qui n’auraient donc aucun intérêt à la parasiter. Une idée quasiment créationniste !
Poussant plus loin l’idée de Ball et sortant du cadre du zoo stricto sensu, l’hypothèse de la quarantaine cosmique : cet isolement est peut-être une sorte de test de la population terrestre, mise en quarantaine le temps qu’elle parvienne à un stade technologique suffisant, évite sa propre autodestruction ou résolve les problèmes de l’humanité. Là encore, toutefois, il faut partir du principe que la ou les civilisations extraterrestres exercent un pouvoir hégémonique.
Idée similaire : l’hypothèse de l’interdit. Sous-entendu, l’interdiction pour les civilisations extraterrestres d’accéder à la Terre. Voilà qui résout la principale objection émise au sujet de l’article original : pourquoi demeurent-ils malgré tout silencieux, pourquoi aucune civilisation ne brise-t-elle la règle, pourquoi aucune faction extraterrestre dissidente ne cherche-t-elle pas à passer sa tête entre les barreaux ? Martyn J. Fogg, dans un article paru en 1986, explique : il s’agirait d’un pacte galactique conclu entre civilisations. Reprenant ainsi l’idée de Carl Sagan (grand scientifique et vulgarisateur américain) et Newman (physicien et mathématicien américain) dans un article commun en 1981 :
La mise en place d’un Codex Galactica inviolable, qui impose des injonctions strictes contre la colonisation ou la prise de contact avec des planètes déjà peuplés, n’est en aucun cas exclus.
En somme, tout contact avec la Terre serait interdit tant que nous n’aurions pas atteint un certain stade technologique. En fait, la colonisation deviendrait même totalement inutile : Sagan et Newman proposent en effet que les civilisations très anciennes auraient résolu depuis longtemps les questionnements tels que le contrôle des territoires, l’accroissement de la population, le vieillissement ou même la mort, propres à nos sociétés terrestres immatures. La ressource principale d’une telle civilisation deviendrait alors tout simplement… le savoir, la connaissance. Dès lors, quel besoin de venir coloniser la Terre pour sa technologie et ses ressources si primaires ?
Autre développement intéressant, et très stimulant pour la science-fiction : l’hypothèse de l’apartheid cosmique. Les civilisations extraterrestres nous observent et nous accompagnent dans notre évolution sans toutefois se manifester ouvertement, tels des tuteurs venus d’ailleurs, exerçant leur influence au travers des religions, par exemple.
Le développement peut-être poussé encore plus loin, bien plus loin… Comme par exemple avec les hypothèses du planétarium ou des cerveaux matriochka : le Système Solaire tout entier ne serait qu’une réalité virtuelle… Idée similaire à l’hypothèse de simulation qui a déjà eu les faveurs d’un article ici-même.
Et si nous découvrions bientôt une forme de vie, même bactérienne, et pourquoi pas dans le Système Solaire, sur un satellite de Jupiter ou de Saturne ? A l’inverse, et si nous étions la toute première civilisation technologique de la galaxie, chargée d’accomplir une mission panspermique et de la diffuser partout dans la Voie Lactée ? Croisons les doigts pour que l’exobiologie, domaine fascinant de l’étude de l’apparition et de la diffusion de la vie dans l’Univers, puisse nous fournir quelques réponses avant la fin du siècle…
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[…] le podcast, l’hypothèse du zoo est évoquée – cet article en parlait déjà sur la site. De même pour l’hypothèse développée dans le roman La […]