La science d’Interstellar – 5 – Le cylindre O’Neill
Ce dossier se compose d’une série d’articles autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar.
1 – Les trous de ver
2 – Le trou noir, Gargantua
3 – Le tesseract
4 – Eux, les êtres du bulk
5 – Le cylindre O’Neill
Aujourd’hui, la station Cooper, qui sert de décor à la séquence finale, fortement inspirée d’un cylindre O’Neill.
O’Neill ? Comme April ?
Non, pas tout à fait. Je parle du professeur O’Neill. Le professeur Gerard K. O’Neill est optimiste et ambitieux. Après la réussite du programme Apollo qui vit la NASA envoyer l’homme sur la Lune, on pouvait l’être. A l’époque, la conquête spatiale a le vent en poupe, et de multiples projets ambitieux sont envisagés.
Dans l’article « La Colonisation de l’Espace » publié en septembre 1974 dans la revue Physics Today[i], O’Neill résume le travail entrepris depuis 1969 avec ses étudiants, initialement dans le cadre d’une introduction à son cours de physique.
O’Neill est clair: nous pouvons coloniser l’espace, et si l’effort est mis en place rapidement, d’ici un siècle toute l’activité industrielle humaine pourrait être déplacée hors de la fragile biosphère de la Terre. O’Neill ne fait pas dans la prospective ou le futurisme : il conçoit ainsi une structure composée de deux gigantesques cylindres, construite avec les technologies de l’époque, et destinée à faire vivre en autosuffisance. une communauté de plusieurs millions d’hommes dans l’espace.
O’Neill commence par énumérer les conditions requises par un tel projet : une gravité normale, un cycle jour et nuit, une lumière naturelle (issue du soleil), une apparence proche de celle de la terre, une utilisation efficace de l’énergie solaire. Et il en vient à la conclusion que la seule structure géométrique capable de répondre à ces exigences est un cylindre, ou plutôt une paire de cylindre tournant autour de leurs axes. Ces cylindres sont composées de six tranches alternées : trois tranches de terre (destinées à l’agriculture ou aux habitations) et trois tranches de verre (des miroirs destinés à faire entrer la lumière du Soleil). L’axe des cylindres est toujours pointé vers le Soleil. La période de rotation des cylindres est de deux minutes.
Les cylindres O’Neill ont évidemment essaimé la science-fiction, aussi bien en littérature (Rendez-vous avec Sama d’Arthur C. Clarke), qu’au cinéma (Elysium de Neil Blomkamp et donc Interstellar).
La représentation d’Interstellar
Kip Thorne a été élève du professeur O’Neill. Rien d’étonnant donc à ce que le cylindre présenté à la fin d’Interstellar soit assez fidèle à ses travaux. Cette scène est évidemment déroutante : Copper, à travers la fenêtre de sa chambre d’hôpital, observe le lancer d’un jour de base-ball : la balle atteint la vitre d’une maison située au-dessus de lui ! Une scène qui n’est pas sans rappeler Inception et les toits de Paris qui se renversent.
Comment diable un tel tour de force est possible ?
Rappelez-vous. Dans Interstellar, deux plans pour sauver l’humanité sont évoqués par le professeur Brand.
- Le Plan A est le plan idéal. Aller dans le trou de ver, visiter les trois planètes potentiellement habitables, en trouver une qui puisse accueillir l’humanité, puis envoyer des données vers la Terre, permettant de résoudre la fameuse équation de Brand et donc d’organiser un sauvetage massif de l’humanité grâce à ce cylindre que Cooper visite avec le professeur Brand peu avant son départ.
- Le Plan B consiste à démarrer une nouvelle colonie sur une planète habitable à l’aide d’embryons congelés stockés dans l’Endurance, laissant donc la Terre et ses habitants à l’abandon.
En réalité, Brand le confesse à sa fille sur son lit de mort, le plan A n’a jamais existé, il ne s’agissait que d’une ruse pour convaincre Cooper de sauver sa fille (et l’humanité, tout de même). Brand ne pouvait résoudre son équation sur la gravité, ne réussissant pas à réconcilier les lois de la relativité générale avec celles de la mécanique quantique.
OK, soit. Et donc ?
La clé réside évidemment dans les données que le robot TARS récupère dans la Singularité du trou noir Gargantua, et que Cooper transmet à sa fille Murph en morse sur les aiguilles de sa montre. Murph apprend ainsi à contrôler les anomalies gravitationnelles. Selon Kip Thorne, elle découvre même comment réduire la constante gravitationnelle de Newton (G) et ainsi s’échapper de l’attraction de la Terre.
Permettons-nous une petite équation : g = Gm/r².
- G est donc la constante gravitationnelle de Newton, c’est la proportionnalité de l’attraction entre deux masses, par exemple une planète et son étoile.
- m est la masse de la Terre.
- r² est le rayon au carré de la planète, c’est-à-dire la distance entre le centre et la surface.
- g représente l’intensité de la gravité à la surface de la Terre.
En vertu de cette équation, diviser G par deux c’est réduire la gravité de la Terre par deux. Diviser G par 100, c’est réduire la gravité de la Terre par 100. C’est diminuer donc la vitesse de libération[ii] nécessaire pour qu’un objet, par exemple une station spatiale, échappe à l’attraction gravitationnelle de la Terre et s’en aille dans l’espace.
Ça c’est de la science, mon bonhomme. S’est passé quoi ensuite ?
Tout cela n’est pas montré ou expliqué dans le film, mais Kip Thorne le précise dans son livre : on ne réduit pas ainsi à la volée la constante gravitationnelle sans quelques dégâts. Le cœur de la Terre, n’étant plus soumis au poids énorme des couches qui l’entourent, s’est violemment déplacé, entraînant de nombreux cataclysmes (tremblements de terre, tsunamis, etc.).
Un prix terrible à payer, mais comme l’écrit Kip Thorne :
L’humanité était sauvée.
[i] http://www.askmar.com/Massdrivers/1974-9%20Space%20Colonization.pdf
[ii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Vitesse_de_lib%C3%A9ration
[…] 1 – Les trous de ver 2 – Le trou noir, Gargantua 3 – Le tesseract 4 – Eux, les êtres du bulk 5 – Le cylindre O’Neill […]
[…] plusieurs projets, évidemment jamais concrétisés, ont été couchés sur le papier, tels que le cylindre O’Neill ou le projet Orion… Plus récemment, le web s’est enflammé autour d’un soi-disant projet de […]
[…] plusieurs projets, évidemment jamais concrétisés, ont été couchés sur le papier, tels que le cylindre O’Neill ou le projet Orion… Plus récemment, le web s’est enflammé autour d’un soi-disant projet de […]
« Rendez vous avec Rama » de A.C.Clarck
[…] ! Il s’avère que Rama est en réalité une superstructure extraterrestre similaire au cylindre O’Neill, concept inventé par le scientifique du même nom dans les années 60 pour faciliter les voyages […]
[…] 1 – Les trous de ver 2 – Le trou noir, Gargantua 3 – Le tesseract 4 – Eux, les êtres du bulk 5 – Le cylindre O’Neill […]
[…] de Christopher Nolan, sorti en 2014 – nous en avions d’ailleurs déjà parlé ici. La force centrifuge des cylindres qui pivotent permet de créer une gravité artificielle – […]
[…] En fait, l’un des principaux inspirateurs de Jeff Bezos à ce sujet est le physicien américain Gerard O’Neill, qui conçut dans les années 70 plusieurs concepts de vaisseaux spatiaux capables d’accueillir des dizaines de milliers, voire des millions de personnes. Les cylindres qui portent son nom ont essaimé dans la science-fiction, notamment dans le film Interstellar (Christopher Nolan, 2014), dont j’ai déjà parlé dans un précédent article. […]