{"id":2558,"date":"2022-06-06T14:35:04","date_gmt":"2022-06-06T13:35:04","guid":{"rendered":"https:\/\/dans-la-lune.fr\/?p=2558"},"modified":"2022-06-06T14:35:06","modified_gmt":"2022-06-06T13:35:06","slug":"les-cylindres-oneill","status":"publish","type":"post","link":"http:\/\/dans-la-lune.fr\/2022\/06\/06\/les-cylindres-oneill\/","title":{"rendered":"Les cylindres O’Neill"},"content":{"rendered":"\n

La course \u00e0 l’espace qui oppose les Etats-Unis et l’Union Sovi\u00e9tique de la fin des ann\u00e9es 50 au milieu des ann\u00e9es 70 et qui a culmin\u00e9 par les missions Apollo bouleverse l’imaginaire des hommes, qui pour certains voient d\u00e9j\u00e0 l’humanit\u00e9 essaimer dans l’espace. Le physicien G\u00e9rard O’Neill proposera un concept ambitieux pour coloniser l’espace : de gigantesques cylindres proposant un environnement similaire \u00e0 celui de la Terre, capables d’abriter des millions de personnes.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Les ambitions spatiales<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Si l\u2019exploration spatiale est exaltante, elle r\u00e9v\u00e8le aussi combien les technologies d\u00e9velopp\u00e9es par l\u2019homme peuvent difficilement combler les distances qui s\u00e9parent les plan\u00e8tes les unes des autres, d\u2019une part, et les \u00e9toiles les unes des autres, d\u2019autre part. Il faut plusieurs mois pour rejoindre Mars, et plusieurs dizaines de milliers d\u2019ann\u00e9es pour rejoindre l\u2019\u00e9toile la plus proche du Soleil, Proxima du Centaure. Autrement dit, le voyage interplan\u00e9taire est extr\u00eamement co\u00fbteux et compliqu\u00e9, tandis que le voyage interstellaire est lui inaccessible avec les technologies existantes. Si l\u2019homme veut quitter le berceau d\u2019o\u00f9 il est issu, il doit donc envisager autre chose.<\/p>\n\n\n\n

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Eug\u00e8ne Cernan, dernier homme \u00e0 avoir march\u00e9 sur la Lune, en 1972. (cr\u00e9dits : Harrison J. Schmitt\/Nasa)<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Ce ne sont pas les id\u00e9es qui ont manqu\u00e9 pour poursuivre sur cette formidable lanc\u00e9e des missions Apollo. De multiples concepts de vaisseaux ont \u00e9t\u00e9 th\u00e9oris\u00e9s. Concr\u00e8tement, on pourrait les scinder en deux cat\u00e9gories\u00a0: les vaisseaux permettant de se d\u00e9placer beaucoup plus rapidement, et ceux permettant d\u2019envisager des voyages au tr\u00e8s long cours, voire carr\u00e9ment une installation de l\u2019homme dans l\u2019espace. Combler l\u2019espace, ou combler le temps. Le cylindre O\u2019Neill s\u2019inscrit dans cette deuxi\u00e8me cat\u00e9gorie.<\/p>\n\n\n\n

La nouvelle fronti\u00e8re<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Derri\u00e8re le concept visionnaire du cylindre O\u2019Neill, il y a l\u2019homme qui lui donnera son nom : G\u00e9rard K. O\u2019Neill<\/a>, un physicien am\u00e9ricain n\u00e9 en 1927 et mort en 1992, professeur \u00e0 l\u2019universit\u00e9 de Princeton, dans le New Jersey (Etats-Unis).<\/p>\n\n\n\n

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G\u00e9rard O’Neill<\/figcaption><\/figure><\/div>\n\n\n\n

Dans les ann\u00e9es 70, les probl\u00e9matiques \u00e9cologiques sont devenues largement accept\u00e9es par la communaut\u00e9 scientifique. O\u2019Neill consid\u00e8re que l\u2019\u00e9puisement des ressources terrestres est l\u2019un des probl\u00e8mes majeurs que doit affronter l\u2019humanit\u00e9. A ce titre, trois grandes id\u00e9es feraient selon lui consensus : celle que les activit\u00e9s humaines sont concentr\u00e9es \u00e0 la surface de la Terre, que les ressources mat\u00e9rielles et \u00e9nerg\u00e9tiques \u00e0 notre disposition sont celles que nous pouvons exploiter sur Terre, et qu\u2019aucune ressource ne peut \u00eatre obtenue par une nation sans \u00eatre pr\u00e9lev\u00e9e sur une autre, entra\u00eenant forc\u00e9ment des conflits et des rapports in\u00e9galitaires.<\/p>\n\n\n\n

Le bon sens voudrait alors que pour pallier ces probl\u00e8mes fondamentaux, un arrangement mondial des gouvernements soit mis en place, avec une gestion et un partage strict des ressources, au risque de cr\u00e9er des famines et de limiter le d\u00e9veloppement technologique (fond\u00e9 sur l\u2019utilisation croissante, voire exponentielle, des ressources de la Terre).<\/p>\n\n\n\n

Or, O\u2019Neill pense que les trois id\u00e9es \u00e0 la base de ce postulat sont erron\u00e9es. Une nouvelle fronti\u00e8re existe pour l\u2019humanit\u00e9, dont la superficie et la richesse est sans commune mesure avec la Terre. Cette fronti\u00e8re est accessible techniquement,  et peut permettre d\u2019une part d\u2019apporter de nouvelles ressources \u00e0 l\u2019humanit\u00e9, mais aussi de prot\u00e9ger la Terre des ravages de l\u2019industrialisation.<\/p>\n\n\n\n

Cette nouvelle fronti\u00e8re, c\u2019est bien s\u00fbr l\u2019espace. Et non pas l\u2019exploration de l\u2019espace proche ou lointain \u00e0 vis\u00e9e scientifique, mais bien la colonisation de l\u2019espace, afin de cr\u00e9er ce qu\u2019il appelle une fronti\u00e8re haute, situ\u00e9e \u00e0 proximit\u00e9 de la Terre, et construite \u00e0 partir de mat\u00e9riaux et de ressources disponibles dans l\u2019espace. De v\u00e9ritables colonies spatiales.<\/p>\n\n\n\n

Les colonies spatiales<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Et forc\u00e9ment, port\u00e9 par son \u00e9poque, O\u2019Neill est ambitieux. Il estime que de telles colonies spatiales pourraient \u00eatre plac\u00e9es en orbite d\u2019ici les ann\u00e9es 90, et abriter des dizaines de milliers de personnes, vivant dans un environnement avec des maisons, des plaines, des rivi\u00e8res, des champs, des animaux. C\u2019est donc bien pour cette raison qu\u2019il s\u2019agit de colonisation spatiale : ce sont plus que de simples vaisseaux, ce sont des petits morceaux de la Terre envoy\u00e9s dans l\u2019espace.<\/p>\n\n\n\n

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Conscient des d\u00e9fis que repr\u00e9sente un tel projet, O\u2019Neill va \u00e0 l\u2019essentiel : ces vaisseaux, construits avec la m\u00eame technologie que celle qui propulse la navette spatiale dans l\u2019espace, seraient plac\u00e9s \u00e0 un point de Lagrange<\/a>, L5, afin de toujours pouvoir disposer d\u2019\u00e9nergie solaire, et seraient construits \u00e0 partir de mat\u00e9riaux r\u00e9cup\u00e9r\u00e9s sur la Lune. O\u2019Neill souhaite r\u00e9utiliser des technologies existantes, tout en soutenant en parall\u00e8le le d\u00e9veloppement de technologies plus avanc\u00e9es. Il souhaite ainsi proposer une solution \u00e9conomiquement viable et r\u00e9alisable \u00e0 court terme.<\/p>\n\n\n\n

Dans un article<\/a> paru en 1976, il explique :<\/p>\n\n\n\n

Sur Terre, nous sommes des \u00ab d\u00e9savantag\u00e9s gravitationnels \u00bb. Nous sommes au fond d’un puits gravitationnel de 6 500 kilom\u00e8tres de profondeur, \u00e0 partir duquel des mat\u00e9riaux ne peuvent \u00eatre soulev\u00e9s dans l’espace qu’\u00e0 grand co\u00fbt. L’\u00e9nergie n\u00e9cessaire pour amener les mat\u00e9riaux de la Lune vers l’espace libre n’est que d’un vingti\u00e8me de plus que celle de la terre, et les \u00e9chantillons ramen\u00e9s par les missions Apollo indiquent que la Lune est une riche source de m\u00e9taux, de verre, d’oxyg\u00e8ne et de sol. Le manque d’atmosph\u00e8re de la Lune r\u00e9duit encore le co\u00fbt du transport des mat\u00e9riaux lunaires vers les colonies spatiales en orbite.<\/p><\/blockquote>\n\n\n\n

O\u2019Neill estime que 2 000 ouvriers et six ann\u00e9es de travail seraient n\u00e9cessaires pour acheminer 500 000 tonnes de mat\u00e9riaux depuis la Lune jusqu\u2019au point L5, ce qui repr\u00e9senterait une excavation d\u2019une surface de 400 m\u00e8tres carr\u00e9s et d\u2019une profondeur de 5 m\u00e8tres, environ, \u00e0 la surface de notre satellite. Une petite balafre, en somme. A plus long terme, des mat\u00e9riaux pourraient aussi \u00eatre r\u00e9cup\u00e9r\u00e9s depuis des ast\u00e9ro\u00efdes qui contiennent d\u2019autres ressources, moins abondantes sur la Lune.<\/p>\n\n\n\n

Les colonies comporteraient des zones industrielles, r\u00e9sidentielles et agricoles. Elles se pr\u00e9sentent sous diff\u00e9rentes formes \u2013 tore, sph\u00e8re, et bien s\u00fbr cylindre \u2013 et tournent toutes tr\u00e8s lentement sur elles-m\u00eames afin de simuler une gravit\u00e9 proche de celle en vigueur \u00e0 la surface de la Terre. En fait, il s\u2019agit de cr\u00e9er pour les colons un habitat proche de celui de la Terre : gravit\u00e9 habituelle, cycle du jour et de la nuit, lumi\u00e8re naturelle du Soleil, et apparence terrestre.<\/p>\n\n\n\n

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Selon O\u2019Neill, le cylindre est la forme la plus efficace, mais pas la plus \u00e9conomique. La premi\u00e8re colonie pourrait donc \u00eatre de forme torique, et les suivantes de forme cylindrique. Chaque colonie serait compos\u00e9e de deux cylindres reli\u00e9s entre eux par un c\u00e2ble de tension et tournant dans des directions oppos\u00e9es. Des bandes de gigantesques fen\u00eatres et des bandes de terres se succ\u00e9deraient sur toute la longueur du cylindre, qui au total approcherait les 30 kilom\u00e8tres de long, pour un diam\u00e8tre de plus de 6 kilom\u00e8tres, et pourrait abriter des millions de personnes… O\u2019Neill pr\u00e9voit la mise en place de ces cylindres – si gigantesques qu\u2019ils pourraient inclure un ciel bleu et des nuages ! – pour les ann\u00e9es 2020.<\/p>\n\n\n\n

G\u00e9rard O\u2019Neill n\u2019est pas qu\u2019un r\u00eaveur amateur de science-fiction. Il estime son projet r\u00e9aliste, techniquement et \u00e9conomiquement. Il le chiffre \u00e0 hauteur de 100 milliards de dollars pour la construction de la premi\u00e8re colonie, soit l\u2019\u00e9quivalent d\u2019apr\u00e8s lui d\u2019une mission habit\u00e9e sur Mars. Ce chiffre, en dollars de l\u2019\u00e9poque, peut sembler \u00e9lev\u00e9, mais il vise \u00e0 envoyer des milliers de personnes durablement dans l\u2019espace, pour un co\u00fbt 4 fois seulement sup\u00e9rieur au programme Apollo, qui n\u2019aura envoy\u00e9 que douze hommes sur la Lune pour quelques jours seulement\u2026<\/p>\n\n\n\n

Avec un tel budget, la construction de la premi\u00e8re colonie prendrait six ans, et les colonies suivantes suivraient au rythme d\u2019une toutes les deux ans.<\/p>\n\n\n\n

Puisque les questions \u00e9nerg\u00e9tiques \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 une pr\u00e9occupation dans les ann\u00e9es 70, surtout apr\u00e8s le premier choc p\u00e9trolier, O\u2019Neill pr\u00e9cise :<\/p>\n\n\n\n

L’\u00e9nergie nucl\u00e9aire est mod\u00e9r\u00e9ment ch\u00e8re mais s’accompagne des probl\u00e8mes de prolif\u00e9ration nucl\u00e9aire et du stockage des d\u00e9chets radioactifs. Les combustibles fossiles sont plus rares maintenant, et l’exploitation intensive du charbon \u00e0 ciel ouvert endommagera presque in\u00e9vitablement l’environnement. L’\u00e9nergie solaire sur terre est une source peu fiable, adapt\u00e9e aux pics de charge diurnes dans le sud-ouest am\u00e9ricain, mais clairement pas comp\u00e9titive dans la plupart des applications \u00e0 l’heure actuelle.<\/p><\/blockquote>\n\n\n\n

Les colonies spatiales pourraient revendre l\u2019\u00e9nergie solaire qu\u2019elles produisent pour se financer, d\u2019une part, et pour approvisionner la Terre en \u00e9nergie propre, d\u2019autre part. Les colonies spatiales ont donc vocation \u00e0 \u00eatre auto-suffisantes en \u00e9nergie, mais aussi en agriculture : leur climat rigoureusement contr\u00f4l\u00e9 permettra de disposer d\u2019une productivit\u00e9 largement sup\u00e9rieure aux cultures terrestres, le tout sans recours aux pesticides.<\/p>\n\n\n\n

En d\u00e9finitive, O\u2019Neill estime que ce type de colonisation spatiale permet de r\u00e9soudre cinq des probl\u00e8mes majeurs auxquels doit faire face l\u2019humanit\u00e9 :<\/p>\n\n\n\n