Science-fiction

Devs – la somme des possibles

Prudence : cet article révèle des éléments de l’intrigue !

Si les mots suivants vous parlent – multivers, physique quantique, transhumanisme, intelligence artificielle – alors la minisérie en huit épisodes Devs est faite pour vous !

Le démon de Laplace

Dans l’épisode-pilote de Devs, Sergueï, un brillant ingénieur travaillant pour la firme Amaya, spécialisée dans l’informatique quantique, est recruté pour travailler dans le service recherche et développement (surnommé Devs), qui suscite bien des fantasmes parmi les salariés. A l’issue de sa première journée, après avoir découvert une partie des recherches troublantes menées dans ce département, Sergueï disparaîtra brutalement. La série suivra dès lors l’enquête de sa petite amie, Lily Chan, qui doute de la version des faits fournie par les enquêteurs qui lui expliquent, preuve à l’appui, que Sergueï s’est donné la mort.

De loin, Devs, la nouvelle série d’Alex Garland (réalisateur d’Ex-Machina et d’Annihilation) pourrait ressembler à un très long épisode de Black Mirror. On y retrouve l’ambiance froide et clinique qui a fait le succès de la série britannique, ainsi que la critique des dérives de nos technologies numériques. Les grandes start-up de la Silicon Valley au discours volontiers utopique et qui sont devenues avec les années des monstres à la volonté démiurgique, en prennent pour leur grade. Sorte de thriller de science-fiction se déroulant dans un futur proche, Devs va toutefois beaucoup plus loin en n’hésitant pas à aborder de profondes questions métaphysiques, le tout sublimé par une réalisation de haute volée (mention spéciale à la photographie classe et épurée, ainsi qu’aux musiques qui mélangent chants grégoriens et musique électronique).

Ambitieuse, réaliste, Devs va piocher dans la physique quantique pour aborder de nombreux thèmes fascinants, parmi lesquels la question des multivers, l’hypothèse de simulation, et bien sûr le déterminisme. Quelle place pour le libre-arbitre de l’homme dans un univers où le mouvement de chaque particule peut-être prédit grâce à la technologie ?

En ce sens, toute l’idée derrière la technologie présentée dans Devs peut finalement être résumée à la fameuse phrase de Pierre-Simon de Laplace, d’ailleurs citée dans l’épisode 7 (et faussement attribuée par l’un des personnages à Shakespeare) :

Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux.

L’interprétation des mondes multiples

En réponse au problème de la mesure en mécanique quantique, Devs choisit une hypothèse audacieuse, confirmée par son scénario mais aussi par quelques scènes visuellement impressionnantes : l’interprétation des mondes multiples de Hugh Everett.

Erwin Shrödinger

En mécanique quantique, un objet – par exemple une particule – peut se retrouver dans deux états ou deux positions à la fois. C’est la mesure, l’observation, qui viendra déterminer l’état de l’objet. Le célèbre paradoxe du chat de Schrödinger illustre cette étrangeté contre-intuitive de la manière suivante. Le physicien autrichien Erwin Shrödinger (1887 – 1961) a proposé de mettre un chat dans une boîte avec un dispositif qui casse une fiole de poison dès qu’est détecté la désintégration d’une particule. Or, selon les lois de la mécanique quantique, tant que la particule n’a pas été observée (mesurée), elle se trouve simultanément dans l’état désintégré et dans l’état non désintégré. Donc le chat est à la fois vivant et mort. Et c’est au moment où l’observateur ouvre la boîte que l’état de la particule est déterminé, et donc que le chat est vivant ou mort.

Le physicien américain Hugh Everett (1930 – 1982) a proposé en réponse que l’Univers bifurque lorsque la particule est observée, qu’il se scinde en deux : dans l’un, le chat est mort, dans l’autre, il est vivant. Il n’y a pas en soi de problème de mesure, mais simplement une multitude d’univers dans lesquels chaque particule a un état bien déterminé.

Les conséquences sont absolument vertigineuses : il existerait une infinité d’univers parallèles qui se créent à partir de chaque résultat de mesure quantique. Une infinité d’univers avec une infinité de copies de nous-mêmes vivant des existences complètement différentes, ou très fortement similaires à celle que nous vivons quotidiennement. Dès lors, plus de place pour le hasard, pour l’aléatoire, pour le choix, pour le libre-arbitre. Dans une infinité d’univers, vous êtes déjà morts, dans une infinité d’autres, vous êtes encore vivants, et vous avez pris toutes les décisions que vous avez choisi de ne pas prendre, dans cet univers. Dans un nombre incalculable d’univers, vous êtes mort, dans un autre, vous n’êtes jamais né. Dans un autre, vous n’avez pas cliqué sur cet article. Dans un autre, vous n’avez pas regardé Devs.

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