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De la patience : le télescope James Webb

C’est une nouvelle déception, mais pas vraiment une surprise : le lancement du télescope spatial James Webb est à nouveau retardé. Mars 2021, annonce désormais la NASA. Multiplication des retards, explosion des budgets, polémiques scientifiques et politiques à répétition : va-t-on finalement réussir à ouvrir cette nouvelle fenêtre sur l’Univers ?

De Edwin à James

Difficile de succéder au télescope spatial Hubble, une réussite absolue dont les sublimes photographies ont complètement chamboulé notre vision du cosmos. Quelque part, Hubble a contribué à poursuivre la révolution copernicienne, en délogeant un peu plus la place auparavant centrale de l’homme dans l’Univers. En témoigne notamment l’une des images les plus emblématiques prises par Hubble : le fameux Champ Profond, la photo d’une minuscule région du ciel où apparaissent des milliers de galaxies de couleurs, de formes et de tailles diverses. Plus l’ingénierie spatiale progresse, et plus nous sommes pris de vertiges devant l’infini… Les premières réflexions sur le successeur de Hubble sont lancées dès le début des années 90, mais il faudra attendre 2002 pour que le projet soit officiellement baptisé James Webb Space Telescope (raccourci en JWST dans le reste de l’article), du nom de l’administrateur de la NASA entre 1961 et 1968, homme-clé du programme Apollo.

Le champ ultra-profond de Hubble : une minuscule région du ciel contient des milliers de galaxies.
(crédits : NASA / ESA / N. Pirzkal / HUDF)

Une différence de taille, toutefois, sépare les deux télescopes spatiaux : le JWST effectuera des observations uniquement dans le spectre infrarouge, alors qu’Hubble les effectue également dans le spectre visible et ultraviolet. Un manque d’ambition ? Absolument pas : le JWST sera en mesure de révolutionner pratiquement toutes les branches de l’astronomie. Et révéler l’invisible, par exemple les étoiles qui se cachent derrière des nuages de poussière qui absorbent le spectre visible de la lumière.

Sa mission est décomposée en quatre objectifs généraux :

  • Capter la lumière des toutes premières étoiles créées après le Big Bang
  • Observer les galaxies à tous les stades de leur développement, depuis le Big Bang jusqu’à nos jours
  • Etudier la naissance et la formation des étoiles au sein des nébuleuses
  • Et étudier les systèmes planétaires et la potentielle habitabilité des planètes
Le joli miroir parfaitement poli du JWST.
(crédits : NASA)

Concrètement, le JWST est équipé d’un miroir de 6,5 mètres de diamètre (contre 2,4 pour Hubble) composé de dix-huit segments assemblés. Il sera placé à près de 1,5 millions de kilomètres de la Terre (contre seulement 570 pour Hubble !), au point Lagrange L2. Pourquoi cela ? Afin que l’immense bouclier thermique dont le télescope est muni puisse le protéger de la lumière venue de la Terre, du Soleil et de la Lune, qui seront tous trois toujours orientés du même côté du télescope, qui doit rester froid (à -220°C environ) pour effectuer correctement ses observations dans l’infrarouge.

C’est donc un petit chef-d’œuvre d’ingénierie qui sera prochainement lancé. Mars 2021, n’est-ce pas ? Difficile de dire si cette date sera tenable. Car le JWST est un projet connu pour ses multiples retards… En 1997, il était prévu de le lancer en 2007, pour un budget total d’un demi-milliard de dollars. Nous en sommes donc maintenant à 2021, pour un budget de près de 9,7 milliards de dollars ! Et rien que cette année, il a déjà été repoussé deux fois ! Si le calendrier initial avait été tenu, le JWST serait aujourd’hui à la retraite… Comment en est-on arrivé là ?

Le nouveau pionnier

Il faut dire que les manœuvres pour envoyer le JWST à destination sont pour le moins complexes. Le télescope se détachera du lanceur de la fusée Ariane 5 à environ 10 000 kilomètres de la Terre. Il étalera peu après ses panneaux solaires, puis son antenne qui permet de communiquer avec la Terre. A près d’un demi-million de kilomètres, les bras de son bouclier thermique se déploieront, et six couches de polymère tendues viendront se fixer dessus. Le miroir pourra ensuite être déployé à son tour. Plusieurs corrections de trajectoires permettront au télescope de parvenir jusqu’à sa destination, grâce à des petits moteurs. Tout cela en omettant de vous préciser les innombrables détails techniques.

Ne dit-on pas que le diable se cache justement dans les détails ? Car avec le JWST, la NASA n’a pas le droit à l’erreur. Il sera en effet impossible d’intervenir à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Si quelque chose ne fonctionne pas correctement, la mission sera un échec. Et l’histoire est porteuse de leçons : les premières photos fournies par Hubble étaient floues à cause d’un problème de fabrication du miroir, qui fut corrigé seulement trois ans plus tard, lors de la première mission d’entretien ! Dans le cas du JWST, il faudra multiplier les tests sur Terre pour être sûr que tout se déroule parfaitement dans l’espace.

La galaxie M100 photographiée par Hubble avant et après la mission d’entretien !

C’est une commission d’enquête indépendante qui a indiqué à la NASA que les délais impartis n’étaient pas suffisants et qu’il fallait par conséquent repousser le lancement à 2021. Le rapport tiré de leur enquête est consultable sur le site de l’agence spatiale américaine.

Il revient d’abord sur les raisons des retards successifs ainsi que les sources de risques :

  • L’aspect pionnier du JWST : premier télescope avec un bouclier thermique, avec un miroir segmenté, premier engin de la NASA lancé avec une fusée Ariane 5, premier télescope envoyé aussi loin de la Terre…
  • Les erreurs humaines : des valves de propulsion ont par exemple dû être remplacées car elles avaient été nettoyées avec un mauvais solvant, ou encore un câblage mal réalisé, source d’un voltage trop élevé d’un transmetteur…
  • Les retards successifs s’expliquent aussi par la complexité générale du télescope et par un excès d’optimisme

Suivent une série de recommandations, qui ont toutes été acceptées par la NASA. L’entreprise Northrop Grumman, principal contracteur du projet pour la NASA, s’est elle voulue rassurante : la construction des éléments les plus complexes est terminée, il s’agit maintenant de s’assurer que tout fonctionnera correctement en temps voulu.

Le rapport de la commission est clair, il faut poursuivre le développement du JWST :

Le JWST doit être maintenu, au vu de son extraordinaire potentiel scientifique, et son rôle critique dans le maintien du leadership américain en astronomie et astrophysique.

Au vu du budget déjà investi, et alors que la construction du télescope est pratiquement terminée, cela semble en effet évident… Et pourtant ! En 2011, déjà, lors d’un débat sur la préparation des budgets, une proposition prévoyait de réduire drastiquement celui de la NASA, et cela passait notamment par l’annulation pure et simple du télescope, dont le budget atteignait déjà près de 6,5 milliards de dollars… Face notamment au soutien de la communauté scientifique, le Sénat adoptera finalement en septembre de la même année un budget permettant de continuer à soutenir le projet.

Puisque le budget dépasse le plafond initialement fixé, la NASA devra s’expliquer devant le Congrès. Une formalité : le JWST sera lancé. Mais à quel prix ?

Le JWST sera capable d’analyser la composition chimique de l’atmosphère des exoplanètes !
(crédits : NASA Ames / SETI Institute / JPL-Caltech)

L’échec n’est pas une option

Qu’il révolutionne l’astronomie ou qu’il explose en plein vol, le JWST, de par son histoire compliquée, aura nécessairement des conséquences sur le futur du secteur astronautique.

En 2010, la revue Nature publiait un article au titre éloquent : The Telescope That Ate Astronomy (soit en français, le télescope qui a mangé l’astronomie), introduit de la manière suivante :

L’observatoire spatial de la prochaine génération de la NASA promet d’ouvrir de nouvelles fenêtres sur l’Univers – mais son coût pourrait en fermer beaucoup plus.

Car un tel budget a forcément des répercussions sur d’autres projets qui sont ou bien annulés ou bien retardés. Et il sera sans doute plus difficile de financer des missions aussi ambitieuses à l’avenir.

Dans un article publié par le Scientific American, un astronome anonyme explique :

Ma crainte maintenant est que la communauté aura tellement peur du coût qu’elle ne recommandera aucun gros télescope dans la prochaine décennie.

Et un retard dans ce domaine où les projets s’échelonnent sur des décennies entières, continue-t-il ensuite, signifie que des débuts de réflexions sérieuses autour d’un successeur du JWST pourraient être entamées en 2030, pour un lancement en 2050… Tout cela, bien sûr, sans aucune certitude que l’argent économisé serve à d’autres projets cosmiques !

Il conclut :

Si nous ne faisons pas attention, cela pourrait conduire à la fin de l’âge d’or de l’astronomie spatiale américaine.

Et si jamais il ne parvenait pas à destination, pour une raison parmi tant de raisons ? Alors un bijou de technologie à près de 10 milliards de dollars sera à tout jamais perdu, errant sans but dans l’espace. Difficile d’imaginer toutes les répercussions scientifiques et politiques que cela impliquerait pour les décennies à venir…

Dans un autre article du Scientific American, Jack Burns, professeur d’astronomie, tremble :

Les conséquences sont trop horribles pour être envisagées. […] Donc l’échec n’est pas vraiment une option – ou, comme nous l’avons autrefois entendu, durant la Grande Récession [de 2008], JWST est « trop gros pour échouer. »

C’est l’approche mise en place par la NASA depuis les années 90 pour ses projets : « plus rapides, mieux, moins chers. » Au risque qu’ils soient moins ambitieux, surtout au regard des missions Apollo. Et que l’agence soit fatalement désarçonnée lorsqu’un projet est retardé et nécessite des augmentations de budget, comme cela est souvent le cas dès qu’il s’agit d’exploration spatiale.

De toute façon, dans un monde où le court-termisme et l’individualisme règnent, l’humanité est-elle encore prête à se lancer des projets spatiaux qui courent sur plusieurs décennies, et dont seulement nos enfants verront peut-être l’aboutissement ? En attendant, gardons les yeux rivés vers le ciel, croisons les doigts et attendons patiemment que le JWST nous fasse rêver…

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