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Le mythe de la Terre plate au Moyen-Âge

Dans l’imaginaire collectif, le Moyen-Âge est souvent considéré comme une période sombre de l’humanité. Disparition du savoir antique,  obscurantisme religieux, misères et injustices… Comme si les hommes s’étaient perdus dans un long tunnel de près d’un millénaire, loin des lumières de l’Antiquité et de la Renaissance. Parmi les poncifs qui reviennent souvent, celui qui veut que les savants du Moyen-Âge croyaient que la Terre était plate, et qu’il aurait fallu attendre le voyage de Christophe Colomb pour les convaincre qu’elle était sphérique…

Le miracle grec

C’est là l’un des nombreux mérites qui firent entrer l’homme grec dans l’histoire : tenter de comprendre  le monde par la raison, il y a de cela plus de deux millénaires et demi. Remplacer le mythe par la science, ne plus seulement voir dans ces points qui illuminent le ciel lorsque la nuit tombe des actions divines, mais bien des phénomènes naturels, explicables, démontrables, prévisibles. Après avoir délogé les dieux de leur trône, c’est grâce à la réflexion et à l’intuition que le savant grec put notamment :

  • Découvrir la sphéricité de la Terre
  • Calculer son diamètre
  • Placer le Soleil au centre de l’Univers
  • Ou encore supposer l’existence des atomes
Aristote

Généralement, c’est à Pythagore, ou en tout cas à  l’école qu’il a fondé, que l’on attribue la découverte de la sphéricité de la Terre, vers le Ve siècle avant Jésus-Christ. Près d’un siècle plus tard, du temps de Platon, c’est admis : la Terre est une sphère. Son élève Aristote fournira même plusieurs arguments, parmi lesquels celui de l’ombre portée de la Terre sur la Lune lors d’une éclipse, de forme circulaire. Plus tard, un autre argument devenu célèbre fera autorité : lorsqu’un navire s’éloigne vers l’horizon, sa coque disparaît et il semble s’enfoncer dans l’eau tandis que son mât demeure visible.

Dans son Histoire Naturelle, paru vers 77, Pline explique :

Du pont d’un navire, on n’aperçoit pas la terre alors qu’on la voit du haut des mâts, et que quand un vaisseau s’éloigne, un objet éclatant, placé au sommet du mât paraît descendre peu à peu, et ne devient invisible qu’après tout le reste.

Les Anciens ne s’arrêtent pas au simple concept :

  • Cratès de Mallos conçoit le premier globe
  • Ératosthène de Cyrène détermine avec une précision remarquable le rayon de la Terre
  • Dicéarque quadrille la Terre en longitude et latitude afin de faciliter le repérage

Et puis survient le crépuscule des humanités antiques. Les bibliothèques s’écroulent. Les parchemins brûlent. Le savoir antique, perdu dans la nuit, est peu à peu oublié. La Terre redevient plate, et il faudra attendre la grande expédition de Christophe Colomb, en 1492, pour que la découverte fortuite de l’Amérique en rappelle sa sphéricité. C’est en tout cas ce qui est souvent raconté, n’est-ce pas ? Et bien c’est à tort. Colomb savait pertinemment que la Terre était ronde, comme tous les savants de son époque.

Yep, il savait qu’elle était ronde. (tableau de 1862 de Dióscoro Puebla)

Aux antipodes

La Terre n’a jamais cessé d’être ronde. Elle est comparée à un œuf, à une balle, une orbe, voire à une pelote. Les textes de l’époque sont formels. Les représentations des artistes également, y compris sur des vitraux, des retables ou des tableaux religieux. Evidemment, quelques esprits la croient plate – c’était déjà le cas durant l’Antiquité – mais ils sont minoritaires et leur influence est faible.

Déjà, dans l’Antiquité tardive, le théologien africain Lactance, écrivait :

Y a-t-il quelqu’un d’assez extravagant pour se persuader qu’il y a des hommes qui aient les pieds en haut et la tête en bas […] et que la pluie et la grêle puissent tomber en montant ?

Car oui, la controverse ne portait pas tant sur la forme de la Terre que sur les antipodes (un point diamétralement opposé à un autre point sur une sphère). Comment diable serait-il possible de vivre de l’autre côté sans tomber ? Pour certains penseurs, c’est impossible. D’autres sont plus mesurés. On suppose l’existence d’une terra australis incognita, une région inconnue qui serait située dans l’hémisphère sud mais reste de toute façon inaccessible à cause des chaleurs de l’Equateur.

Là encore, rien de nouveau ! La question agitait déjà les savants de l’Antiquité… D’ailleurs Pline, encore lui, y répondait avec humour :

Le vulgaire demande pourquoi les hommes placés à l’opposite ne tombent pas : comme s’il n’était pas facile de répondre qu’eux aussi ont le droit de s’étonner que nous ne tombions pas !

L’invention de la Terre plate

Bon, c’est entendu, la Terre est restée ronde – ou plus exactement sphérique – durant le Moyen-Âge. Ouf. Mais d’où peut bien provenir cette légende si tenace qui veut qu’on la croyait alors plate ? Difficile à dire.

« Limage du monde » – représentation de la Terre dans un manuscrit de Gossuin de Metz, vers 1304.

Le Moyen-Âge est coincé entre deux périodes qui sont souvent considérées comme des « âge d’or » de l’humanité, à savoir l’Antiquité et la Renaissance. Les œuvres de fiction qui s’y déroulent insistent plus souvent sur ses horreurs – certes bien réelles – que ses avancées, entretenant l’image de siècles obscurs. Peut-on leur en vouloir ? Les historiens ont eux aussi pendant longtemps entretenu à tort cette image de l’Âge sombre

Pour le philologue autrichien Rudolf Simek, qui revient sur l’affaire en 2003 dans un numéro du magazine Pour la Science, les cartes géographiques parfois très rudimentaires utilisées au Moyen-Âge, qui figuraient dans un simple cercle toutes les terres connues, ont également contribué à l’essor du mythe. Mais n’est-ce pas le cas également de nos cartes modernes ?

Enfin, un argument plus controversé affirme que ce mythe aurait été inventé sciemment à des fins idéologiques. Dans son livre Inventing the Flat Earth (L’invention de la terre plate), paru en 1991, l’historien américain Jeffrey Burton Russell revient sur le débat qui opposa l’Eglise et la science pendant la seconde moitié du XIXème siècle, à propos de la théorie de l’évolution de Darwin. L’Eglise y est bien sûr farouchement opposée. Pour décrédibiliser l’Eglise, quelques auteurs américains populaires décident alors de répandre l’idée dans leurs œuvres qu’elle s’est également opposée à une autre vérité durant tout le Moyen-Âge – la sphéricité de la Terre : ces siècles de foi devaient forcément être des siècles d’ignorance !

Dans tous les cas, espérons que dans quelques siècles, il ne faille pas à nouveau un article de ce genre pour préciser que la majorité des humains de notre siècle savaient que la Terre était sphérique, et que la croyance dans une Terre plate n’était qu’une lubie de quelques illuminés !

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