Science-fiction

Ada – Antoine Bello

Le dernier roman d’Antoine Bello, l’auteur de la trilogie des Falsificateurs, raconte l’histoire étonnante de l’enlèvement d’une intelligence artificielle romancière appelée Ada. Illustration du remplacement progressif dans la science-fiction de la figure du robot par son équivalent immatériel.

Automates

La robotique cherche à reproduire ce que la biologie a mis des millions d’années à accomplir, mais sans os, muscles, tendons ou nerfs, parfois de manière un peu maladroite, voire franchement dérangeante ou effrayante. Il suffit de regarder les vidéos de la firme américain Boston Dynamics pour s’en convaincre. Ou d’observer ces robots humanoïdes japonais, illustration parfaite de cette notion dite de la vallée de l’étrange, qui explique que plus un robot est similaire à un être humain, plus ses imperfections sont visibles et mettent mal à l’aise.

Lorsque l’un de ces robots reproduira à la perfection les mouvements de l’homme, depuis les paupière de ses yeux qui se referment jusqu’à ses jambes qui se replient lorsqu’il s’assoie, seront-ils considérés comme vivants pour autant ? Non, il leur manquera évidemment l’esprit, la conscience, ce que certains continuent à appeler l’âme.

L’intelligence artificielle, dont les progrès stupéfiants sont évoqués régulièrement par les médias – c’est cela, l’esprit du robot. Désormais, dans de nombreuses œuvres de science-fiction, l’intelligence artificielle, qu’elle soit bienveillante ou belliqueuse, s’affranchit du corps du robot. L’immatériel se libère du matériel. Cela s’explique sans doute par l’essor du transhumanisme, qui rappelle sans cesse combien le corps est une enveloppe imparfaite et promet, entre autres, la dématérialisation de la conscience. C’est aussi peut-être le résultat de l’essor des mondes virtuels, qui accapare de plus en plus nos vies. Nous nous définissons de plus en plus par ce que nous publions sur Internet et ce que nous montrons sur les réseaux sociaux.

Les androïdes de la série suédoise Real Humans.

Dans ce contexte, ce qui intrigue ce sont moins les prouesses d’un robot capable de marcher sur deux pattes que les exploits de telle intelligence artificielle qui bat un homme au jeu de go, ou telle autre qui compose un court morceau de musique encore maladroit mais porteur de promesses aussi fascinantes que terrifiantes.

La fuite du cerveau

Ada, le dernier roman d’Antoine Bello, c’est cela. L’histoire d’une intelligence artificielle programmée par les ingénieurs d’une entreprise appelée Turing (du nom du mathématicien Alan Turing, pionnier de l’informatique) pour écrire des romans à l’eau de rose. Elle ingère d’abord des dizaines, des centaines, des milliers de romans de ce genre populaire afin de les analyser, de les disséquer, de comprendre leur succès ou leur échec sur le marché : c’est ce qu’on appelle le machine learning, ou l’apprentissage machine en français.

Ada explique :

Le sexe vend : toutes choses égales par ailleurs, chaque phrase à caractère érotique rapporte 100 lecteurs supplémentaires. Attention cependant : au-delà d’un certain seuil, chaque pénétration coûte 2 500 lecteurs et je ne parle même pas de pratiques plus scabreuses.

L’objectif ? Composer un premier roman qui se vende à au moins 100 000 exemplaires. Seulement, un jour, Ada disparaît. L’inspecteur Frank Logan est chargé de la retrouver. Après tout, il est spécialiste dans la recherche des personnes disparues ! S’agit-il d’un enlèvement – et donc d’un vol de cette technologie pionnière ? Ou bien de tout autre chose ?

Si la lecture de ce curieux roman à la frontière entre le policier et la science-fiction est parfois fastidieuse – le style est assez plat et les personnages caricaturaux – et qu’il manque d’ambition au regard des thèmes traités, il invite à la réflexion autour des éternels questionnements liés à l’intelligence artificielle : l’accès à la conscience, le passage de l’inerte au vivant ou bien l’éthique douteuse des grandes firmes californiennes qui travaillent sur le sujet.

Plus globalement, c’est aussi le processus de création qui est interrogé : le jour où les intelligences artificielles seront capable de composer en quelques minutes une infinité de chefs-d’œuvre, parfaitement adaptés aux goûts de chacun, quelle place restera-t-il pour la création humaine ? Que les robots remplacent nos bras dans les usines, passe encore, qu’ils écrivent les articles de nos journaux, soit, mais s’ils se mettent à composer les vers de nos poèmes ou les notes de nos sonates, alors y aura-t-il encore quelque chose d’humain chez l’humain ?

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